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Sénégal : mobilisation d’ampleur contre le coup d’État institutionnel de Macky Sall

Ce vendredi, le Sénégal est le théâtre de mobilisations d’ampleur contre le décret de Macky Sall, repoussant la date des élections présidentielles. Un soulèvement qui vient approfondir la crise de l’impérialisme français dans la région.

Lisa Mage

9 février

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Sénégal : mobilisation d'ampleur contre le coup d'État institutionnel de Macky Sall

Crédit Photo : Compte X (anciennement twitter) @thomasdietrich0

Alors que le Sénégal avait déjà été le théâtre de soulèvements importants en juin dernier, contre la condamnation par le régime du principal opposant politique à Macky Sall, Ousmane Sonko. Le décret, reportant la date des élections présidentielles au 25 août 2024 et voté à la quasi-unanimité au parlement Sénégalais (qui a au passage rallongé le délai au 15 décembre), a remis le pays en ébullition. Un geste, qualifié par certains de « Coup d’état constitutionnel », qui vient remettre le feu aux poudres dans un pays déjà secoué depuis plusieurs années par des révoltes dénonçant la corruption des élites politiques, au service de l’impérialisme français.

Un coup d’État institutionnel qui vient remettre le feu aux poudres dans un pays déjà en crise

Le 3 février 2024, quelques heures avant l’ouverture de la campagne électorale, Macky Sall a promulgué un décret, ajournant les élections présidentielles prévues le 25 février. Un acte inédit depuis 1962 qui a provoqué une indignation générale de la société sénégalaise. Ce vendredi, des manifestations d’ampleur sont ainsi attendues dans tout le pays, à l’appel des différents secteurs de l’opposition politique, mais aussi de la « Société Civile », regroupant des dizaines d’organisations syndicales, religieuses et étudiantes, mais aussi des associations et des ONG. Le collectif « Aar Sunu Election » (protégeons notre élection), qui revendique une quarantaine de syndicats et de groupes citoyens et religieux, a par ailleurs appelé à un « rassemblement pacifique » à 15 heures à Dakar et dans tous les pays où vivent des membres de la diaspora sénégalaise, qui fera suite aux multiples manifestations ayant commencé à 11 heures dans tout le pays.

Des images de la violente répression policière que subissent les manifestants arrivent à nous parvenir malgré la coupure des réseaux sociaux par le régime. Les mobilisations d’aujourd’hui ont par ailleurs été fortement réprimées par la police, certains témoignages font même état de tirs à balles réelles sur des manifestants. Sur le terrain parlementaire, la forte répression de la contestation s’est notamment illustrée par l’arrestation de députés de l’opposition au sein même de l’hémicycle lors du vote, qui devraient être libérés mardi dans la soirée. De plus, en dépit de l’annulation de l’élection et de l’interdiction de toutes les manifestations, les partisans de Sonko continuent leur campagne électorale. En réaction, le régime a arrêté cinq d’entre eux mardi dans un quartier de la banlieue de Dakar. Les représentants religieux du pays appellent, eux aussi, au respect du processus électoral. C’est le cas de la Ligue des Imams et Oulémas et le Cadre unitaire de l’islam au Sénégal, appelant au maintien du processus électoral traditionnel, mais aussi de l’Archevêque de Dakar, qui s’est prononcé pour le respect de la Constitution. Les musulmans sont ainsi appelés à se rendre à la mosquée habillés tout en blanc en arborant les couleurs du drapeau national ; les chrétiens sont quant à eux appelés à manifester leur attachement au respect de la constitution à la messe ce dimanche.

Les revendications portées par les différents blocs d’opposition sont simples, le rétablissement du processus électoral au 25 février 2024 et la fin de la présidence de Macky Sall. En ce sens, une manifestation nationale est aussi appelée mardi prochain. Certain es personnalités, à l’image du journaliste Babacar Fall, membre de l’initiative « Aar Sunu élection », appellent même à la grève générale, symptôme de la crise profonde dans laquelle s’enlise la Sénégal. Une crise, à la fois économique, dans ce pays fortement touché par la crise du Covid et les répercussions de la guerre en Ukraine, mais aussi politique, avec un fort rejet de la corruption des élites, au service de l’ingérence française dans la région. En effet, le ralentissement du taux de croissance du PIB réel, qui est tombé à 4,2 % en 2022, par rapport aux 5,5 % prévus, cumulés à une inflation atteignant près de 10 % en 2022 et 15 % sur les produits alimentaires a créé une situation d’insécurité économique dans le pays. De plus, le taux de chômage avoisine toujours les 20 % en 2023 et le taux de pauvreté est estimé à près de 40 %. Une situation explosive donc, où la responsabilité de Macky Sall est largement pointée du doigt.

Un soulèvement qui illustre la crise de l’impérialisme français

Dans la continuité des coups d’États au Mali, au Burkina Faso et au Niger, ayant déstabilisé la région du Sahel et entrainé le départ de la Cédéao de ces pays, les mobilisations au Sénégal revêtent une forte tonalité anti-française et plus largement une hostilité à la domination étrangère de la région. Ainsi, si Washington se positionne clairement sur la condamnation d’un procédé qui « ne peut être considéré comme légitime », Paris est beaucoup plus timoré en appelant au « respect des règles de la démocratie sénégalaise ». Un symptôme de l’impasse dans laquelle se trouve la France, alors que le Sénégal, principal allié de l’impérialisme français et présenté comme le pays le plus stable et démocratique de la région, est à son tour traversé par d’intenses révoltes. La Cédéao, véritable administrateur de l’impérialisme français dans la région, a quant à elle appelé à « à prendre de toute urgence les mesures nécessaires pour rétablir le calendrier électoral », une position soutenue par l’Union Européenne.

Macky Sall incarne, pour beaucoup de Sénégalais, l’assujettissement du pays aux intérêts français. L’exemple le plus criant en est le Franc CFA qui permet à la France de contrôler l’économie de ses anciennes colonie. Dans la même veine, l’appel d’offre pour la création du chemin de fer allant de l’aéroport jusqu’au cœur de Dakar, qui bénéficiera essentiellement à l’élite de la capitale, a été remporté par la France malgré un « ratio au kilomètre le plus cher du monde », selon Nicolas Charbonneau, militant du collectif anti-colonial Survie. Un exemple parmi d’autres qui vient rappeler au quotidien à la population sénégalaise que, pour le président sortant, enrichir la France est plus important que de continuer au développement du pays. En témoigne la liste interminable d’infrastructures sénégalaise exploitées par des compagnies française et étrangère, des péages détenus par Eiffage, le port autonome de Dakar détenu par Bolloré, sans oublier que la France détient 88 % du stock d’investissement direct à l’étranger, et plus d’une centaine d’entreprises, représentant un quart du PIB du Sénégal.

Les liens militaires entre la France et le Sénégal sont par ailleurs centraux pour comprendre le rejet de la domination impérialiste dans la région. Les éléments français au Sénégal (EFS) constituent, à Dakar, un « pôle opérationnel de coopération » (POC) à vocation régionale, selon le ministère de la défense. De plus, près de 1 000 soldats français sont à ce jour déployé dans la plus grande base française au Sénégal. Un chiffre qui devrait descendre à 350 selon la nouvelle loi de programmation militaire. Finalement, il faut aussi garder à l’esprit que la France est un des principaux formateurs et fournisseurs de l’armée sénégalaise. Ainsi, la répression sanglante par le régime sénégalais des manifestations des 1er et 2 juin dernier contre l’arrestation d’Ousmane Sonko, qui avait fait au moins 23 morts selon Amnesty International, a été orchestrée avec le soutien financier et militaire de l’armée française.

Quelles perspectives pour les travailleurs et la jeunesse sénégalaise ?

Le Sénégal est ainsi traversé par une crise politique sans précédent, illustré par les multiples démissions des différents responsables de la coalition présidentielle, la dernière en date étant la démission de la ministre d’État et ancienne ministre de la Santé Eva Marie Coll Seck, qui fait suite à celle d’Abdou Latif Coulibaly, Secrétaire général du gouvernement. Dans ce contexte, Ousmane Sonko représente, pour beaucoup de jeunes Sénégalais, la seule perspective pour en finir avec la crise économique et la spoliation des richesses par l’État français. Sonko affirme vouloir renégocier les contrats pétroliers et gaziers avec la France, abandonner le Franc CFA, mettre fin aux allègements fiscaux pour les grandes entreprises et plus généralement suivre un chemin de développement plus nationaliste, et vouloir développer une bourgeoisie industrielle nationale forte. Cependant, la perspective défendue par Sonko et son parti petit-bourgeois Pastef, ne représentent en rien une issue progressiste pour les travailleurs et la jeunesse sénégalaise en lutte. Les révoltes de 2021, suite à son arrestation, avaient été très illustratrices de cette logique. Ousmane Sonko, suite à sa libération, avait appelé à ne pas se battre pour la démission de Macky Sall et à attendre les élections de 2024 pour changer de président. Il avait aussi « annulé » les mobilisations prévues les 9 et 10 mars 2021.

Une volonté de calmer la contestation par la rue au profit d’une logique parlementariste, qui vient encore s’exprimer dans les récents événements au Sénégal par le camp Sonko qui interpelle le conseil constitutionnel, garant du décret de Macky Sall, pour faire annuler ce dernier. Alioune Tine, expert indépendant des Nations unies sur les droits humains et fervent défenseur d’Ousmane Sonko précise ainsi que «  la seule voie de salut pour sauvegarder la République, l’ordre constitutionnel rompu et relancer le processus électoral passe aujourd’hui par le Conseil constitutionnel. Si le Conseil constitutionnel donne une suite favorable et annule le décret qui reporte l’élection présidentielle, il crée les conditions légales et constitutionnelles de sortie de crise ».

Il apparaît donc plus qu’évident qu’une perspective progressiste ne peut pas venir d’un président corrompu et totalement soumis à la France tel que Macky Sall. Mais elle ne pourra pas non plus venir d’un bloc petit-bourgeois qui cherche à canaliser la colère sur un terrain institutionnel et parlementaire dont la seule perspective est l’accession au pouvoir d’Ousmane Sonko. Comme nous le rappelions déjà dans nos colonnes en 2021, la seule perspective pour répondre aux aspirations de liberté, mais aussi d’élèvement économique des travailleurs et de la jeunesse sénégalaise, se trouve dans l’organisation démocratique à la base, en indépendance totale de tous les secteurs bourgeois du régime.


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