×

65 ans de la Vème République

Réforme constitutionnelle : une tentative impuissante et réactionnaire de relégitimer la Vème République

A l’occasion du 65ème anniversaire de la Vème République, Macron a rendu hommage aux institutions anti-démocratiques de 1958 et esquissé des pistes de réforme pour relégitimer le régime. Des propositions impuissantes, cherchant à offrir des gages à la gauche, mais surtout à la droite.

Joshua Cohn

4 octobre 2023

Facebook Twitter
Réforme constitutionnelle : une tentative impuissante et réactionnaire de relégitimer la Vème République

Crédit photo : Capture d’écran, BFMTV

« Cette Constitution représente l’avènement d’un régime qui combine la liberté et l’autorité, l’ordre et le pluralisme, la démocratie et l’unité dans un mélange heureux, français, républicain ». C’est avec ces mots que Macron a rendu hommage à la Constitution bonapartiste du 4 octobre 1958, pour le 65ème anniversaire de la Vème République. Alors que la bataille contre la réforme des retraites du printemps a mis en lumière le caractère totalement anti-démocratique de ce texte, né d’un coup d’État, Macron a tenu à insister : « notre Constitution, hier comme aujourd’hui, peut-être même aujourd’hui davantage qu’hier, est pleinement démocratique ».

Un exercice d’auto-conviction face à la crise du régime, avant d’annoncer une série de mesures prévues dans le cadre d’un projet de « réforme constitutionnelle ». Prévue depuis des années, celle-ci doit permettre d’assurer la défense de la Constitution, «  bien précieux à préserver  », par un toilettage à la marge. Une réforme qui à toutes les chances de ne pas aboutir, et pour laquelle Macron a cherché à donner des gages à la gauche, mais surtout à la droite et à l’extrême-droite.

Référendums : un renforcement de la logique autoritaire de la Vème pour répondre à la crise de régime

Dans un contexte marqué depuis plusieurs années par une crise de régime et une critique de la nature anti-démocratique de la Vème République, Macron a mis au cœur de ses annonces l’extension du champ du référendum. Aujourd’hui, l’article 11 de la Constitution limite son utilisation aux « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation » et à la ratification de traités internationaux.

Pour Macron, « [il] existe encore des domaines importants pour la vie de la nation qui échappent au champ de l’article 11 ». Un constat qui vise directement l’absence de possibilité actuelle de consultation sur les sujets régaliens comme la police, la justice ou l’immigration. Or, justement, un référendum sur l’immigration est réclamé par Les Républicains et le RN.

En proposant cet élargissement du champ du référendum, Macron espère donc entraîner avec lui la droite et l’extrême-droite dans son projet de réforme constitutionnelle, tout en élargissant les possibilités offertes par ce qui est une prérogative présidentielle. Très loin de tout enjeu démocratique, la pratique du référendum s’inscrit en effet dans l’héritage de l’exercice plébiscitaire du pouvoir de de Gaulle, qui avait à lui seul convoqué quatre des neuf référendums de l’histoire de la Vème République, afin de légitimer son pouvoir personnel.

IVG et RIP : un vernis progressiste dérisoire

En accompagnement de cette mesure qui vient renforcer la logique bonapartiste de la Constitution et le pouvoir présidentiel, Macron a cherché à mettre en avant quelques écrans de fumée « progressistes ». Alors que le gouvernement avance son agenda austéritaire et autoritaire, ces mesures d’affichage entendent séduire la gauche.

C’est le cas de la proposition d’introduction du droit à l’IVG dans la Constitution déposée l’an dernier, qui patine faute d’accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Macron a réaffirmé sa volonté de l’y intégrer « dès que possible ». Une mesure qui ne coute pas un centime à l’État et ne sécurise en rien l’accès réel à l’IVG qui nécessite des moyens, des services et des soignants formés. Or, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 (PLFSS) ne prévoit rien en la matière et approfondit la logique austéritaire de la politique du gouvernement.

Autre proposition qui n’a d’autre utilité que de donner une coloration progressiste à la réforme constitutionnelle et à la faire approuver par une partie de la gauche, Macron voudrait réviser la procédure du Référendum d’initiative parlementaire qui selon lui « doit être plus simple » avec des seuils qui «  devraient être revus  ». Aujourd’hui, le déclenchement d’un RIP requiert un cinquième des membres du Parlement, députés ou sénateurs, et un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit plus de 4,7 millions d’électeurs. Abaisser ces seuils semble donc à première vue rendre cette procédure plus accessible.

Or, comme l’a démontré la séquence de la réforme des retraites et ses deux projets de RIP retoqués, le Conseil constitutionnel constitue un véritable verrou à cette procédure en contrôlant la validité de l’objet du référendum d’une manière particulièrement stricte. En quinze ans d’existence du RIP, sur cinq procédures déposées devant le Conseil, une seule - contre la privatisation des aéroports de Paris - a été validée avant d’échouer à l’étape de récolte des signatures des électeurs.

Par ailleurs, la procédure de RIP restera soumise in fine au bon vouloir du gouvernement puisque la proposition de RIP ne fait l’objet d’un référendum qu’à la condition que le texte n’ait pas été examiné par les deux chambres du Parlement dans un délai de six mois. Le gouvernement contrôlant largement l’ordre du jour parlementaire, écarter cette condition n’est qu’une simple formalité.

Corse, Kanaky, outre-mers : une tentative de canalisation des aspirations à l’auto-détermination

Dernier volet de ces affichages, la révision constitutionnelle projetée devrait également comporter une « nouvelle étape de décentralisation », avec un statut particulier pour la Corse, un nouveau statut pour la Kanaky, voire pour les autres territoires ultra-marins, afin « donner plus de libertés mais aussi de responsabilités » aux collectivités territoriales. L’idée n’est pas nouvelle. Elle répond à la crise croissante de l’impérialisme français, qui s’est traduite par les révoltes en Guadeloupe et en Martinique à l’hiver 2021, le boycott du dernier référendum en Kanaky ou encore les mobilisations en Corse en mars 2022.

A chaque fois, les promesses « d’autonomie » ont été une façon de répondre par en haut, de manière contrôlée (et souvent très floue) aux aspirations à l’auto-détermination dans ces territoires, alors que les nationalistes sont majoritaires à l’Assemblée de Corse depuis 2017 et que le gouvernement kanak est majoritairement indépendantiste depuis 2021. Dans les faits, ces grands discours cachent au mieux des mesures totalement symboliques, au pire des arnaques sur toute la ligne, et à chaque fois un déni du droit légitime à l’auto-détermination des peuples opprimés par l’État français.

Une tentative impuissante de rélégitimer la Vème République face à une crise de régime

En définitive, les annonces de Macron apparaissent comme une tentative de relégitimer la Vème République, avec des mesures dérisoires ou au service du renforcement de la logique bonapartiste de la constitution gaullienne face à la contestation croissante du régime.

Celle-ci s’est manifestée en 2018 avec le mouvement des gilets jaunes, dans lequel des revendications démocratiques telles que le référendum d’initiative citoyenne (RIC) se sont rapidement agrégées aux revendications économiques initiales, ou au printemps 2023, avec l’importante réaction provoquée par le passage en force de la réforme des retraites par un 49.3 venant s’ajouter à la liste déjà longue des 49.3 du gouvernement Borne. Une expression des impasses d’un régime qui doit dévoiler toujours plus son visage anti-démocratique pour se maintenir dans une situation de crise et de polarisation sociale croissante.

Dans un tel contexte, aussi cohérent avec la logique gaulliste soit-il, le projet constitutionnel de Macron ne peut apparaître que totalement impuissant à regénérer ce régime pourrissant. Une situation face à laquelle la bataille pour en finir avec Macron et la Vème République est plus que jamais d’actualité.


Facebook Twitter
Chili : défaite du référendum de l'extrême droite, Boric annonce la fin du processus constituant

Chili : défaite du référendum de l’extrême droite, Boric annonce la fin du processus constituant

Pour Finkie, « avec Nuit Debout, l'islam radical disparaît, l'ennemi, ça redevient la domination, la bourgeoisie »

Pour Finkie, « avec Nuit Debout, l’islam radical disparaît, l’ennemi, ça redevient la domination, la bourgeoisie »

Franck Gaudichaud. « Un moment historique pour le Chili »

Franck Gaudichaud. « Un moment historique pour le Chili »

L'état d'urgence prolongé de 3 mois : mais pourquoi faire ?

L’état d’urgence prolongé de 3 mois : mais pourquoi faire ?


Constitutionnalisation de l'IVG : la défense de l'avortement dépendra de nos luttes

Constitutionnalisation de l’IVG : la défense de l’avortement dépendra de nos luttes

Offensive coloniale contre le droit du sol à Mayotte : Darmanin annonce une réforme constitutionnelle

Offensive coloniale contre le droit du sol à Mayotte : Darmanin annonce une réforme constitutionnelle

Macron promet la constitutionnalisation de l'avortement : nous ne sommes pas dupes !

Macron promet la constitutionnalisation de l’avortement : nous ne sommes pas dupes !

Réforme constitutionnelle : une tentative impuissante et réactionnaire de relégitimer la Vème République

Réforme constitutionnelle : une tentative impuissante et réactionnaire de relégitimer la Vème République