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Moyen-Orient

Paix avec le Yémen ou alignement sur les Etats-Unis : l’Arabie saoudite à la recherche d’une troisième voie

Alors que l’Arabie saoudite prend ses distances avec Washington, se tourne vers la Russie et la Chine et que la normalisation de ses relations avec Israël est gelée, Mohammed Ben Salmane semble chercher une troisième voie.

Mariam Amel

26 février

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Paix avec le Yémen ou alignement sur les Etats-Unis : l'Arabie saoudite à la recherche d'une troisième voie

Depuis le 7 octobre, le réchauffement des relations entre l’Arabie saoudite et l’État d’Israël est en pause. Alors que le royaume saoudien est engagé dans des pourparlers avec le mouvement Houthi et tente de trouver une issue diplomatique à la guerre qui les oppose depuis 2015, la réponse états-unienne aux attaques en Mer rouge inquiète Mohammed Ben Salmane (MBS). Allié historique des Etats-Unis qui le pressent de rejoindre la coalition anti-Houthis, le royaume semble vouloir chercher à obtenir une paix durable à ses frontières quitte à prendre ses distances avec Washington

Nouant d’autre part des relations de plus en plus forte avec la Russie et avec la Chine, l’Arabie Saoudite paraît vouloir s’émanciper partiellement de la tutelle étatsunienne. Si la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël n’est plus à l’ordre du jour, le royaume saoudien est néanmoins de facto engagé aux côtés d’autres pays arabes dans la construction de plusieurs routes terrestres commerciales qui se substitueraient à la voie maritime en mer Rouge pour approvisionner Israël. Entre l’alignement total sur les Etats-Unis et le passage à l’Est, MBS semble chercher une troisième voie en profitant du sort tragique des Palestiniens pour renforcer son autonomie stratégique.

Les négociations avec le Yémen face à la montée des tensions régionales

Depuis les attaques des Houthis en mer Rouge, les Etats-Unis et le Royaume-Uni s’inquiètent de la paralysie du trafic maritime. Alors que les puissances impérialistes bombardent massivement le Yémen, l’Arabie saoudite est engagée dans des pourparlers avec le Yémen pour mettre fin à la guerre qui dure depuis 2015. En dépit de la réaction nord-américaine, l’Arabie saoudite ne souhaite pas entrer dans un conflit qui pourrait compromettre ces pourparlers et s’inquiète de l’escalade qui menace ses infrastructures pétrolières qui bordent la frontière sud du pays. Malgré l’importance qu’ils accordent à ces négociations, les États-Unis ont durci leur réponse militaire au Yémen en faisant pression sur l’Arabie saoudite pour qu’elle participe à la force de protection navale multinationale en mer Rouge. Ces appels ont été ignorés par Riyad.

Cette situation place l’Arabie saoudite dans une position contradictoire. Elle ne veut pas compromettre le processus de paix sous médiation omanaise avec ses voisins, même si elle s’oppose aux frappes des Houthis contre les navires en mer Rouge.

Au début du mois dernier, les pourparlers de paix sous médiation omanaise ont repris après avoir été suspendus en raison de ce que le mouvement de résistance Ansarallah a qualifié d’ingérence américaine. À l’époque, le groupe accusait Washington d’avoir entravé le paiement des salaires des fonctionnaires au Yémen, l’une des principales conditions d’un éventuel accord pour le gouvernement de Sanaa. En dépit de cela, l’Arabie saoudite s’efforce d’accélérer les négociations avec le Yémen malgré la pression de Washington. Alors que l’Iran se rapproche de la pétromonarchie saoudienne et tente de restaurer des relations et des partenariats dans la région, les négociateurs saoudiens et yéménites ont rendu leurs derniers avis sur l’accord. La version révisée a été récemment remise à l’envoyé spécial de l’ONU pour le Yémen, Hans Grundberg, qui a commencé à coordonner une cérémonie officielle de paix.

MBS tente de s’émanciper partiellement de la tutelle étatsunienne

En parallèle, l’Arabie saoudite se rapproche ouvertement de la Chine et de la Russie. Les relations économiques avec la Chine se sont resserrées, cette dernière étant devenue le premier client de Riyad. Le rapprochement avec la Russie s’est concrétisé après la dernière visite de Poutine à Riyad et aux Emirats Arabes Unis, en pleine guerre en Ukraine et à Gaza, pour discuter d’une réduction de la production de pétrole de deux millions de tonnes par jour, dans le cadre de l’OPEP+.

Cet accord avec Moscou illustre les difficultés que Washington éprouve à consolider son emprise sur MBS, qui ne souhaite pas réduire le coût de l’essence à la pompe, comme l’espère Joe Biden, et préfère réduire la production pétrolière pour maintenir élevé le prix du baril qui peut atteindre 90 dollars. Aussi dans l’optique stratégique de son avancée diplomatique, l’Arabie saoudite a récemment rejoint la Banque de développement BRICS avec les EAU, élargissant son alliance avec des puissances économiques du monde non-occidental, réaffirmant la volonté de MBS de se tourner vers d’autres alliés.

Les relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite semblent se fragiliser davantage ces derniers mois depuis le rapprochement avec l’Iran en mai dernier et jusqu’à récemment, alors que Mohammad Ben Salman (MBS) a annoncé son soutien à la campagne Trump en 2024. Pourtant, ce tournant dans les relations internationales n’est pas sans difficulté pour les pays du Golfe, comme le note Emile Hokayem de l’Institute for Strategic Studies de Londres : « Les pays du Golfe font face à un dilemme stratégique. Leur sécurité est avec l’Occident ; leur politique énergétique est liée à la Russie dans l’immédiat ; leur prospérité à long terme, y compris énergétique, est centrée sur la Chine et l’Asie de l’Est ».

L’Arabie saoudite est aujourd’hui consciente de sa puissance économique et politique qui lui offre une certaine marge de liberté pour construire des alliances en fonction de ses besoins stratégiques. Elle cherche ainsi à gagner en indépendance à l’égard de son principal allié et d’autre part à nouer des alliances qui lui permettront d’avancer dans son projet « Vision 2030" ». Ce projet historique a été élaboré par le Conseil des affaires économiques et de développement présidé par MBS. Il combinera différentes réformes économiques à long terme, des réductions de subventions et l’ouverture de Saudi Aramco à l’investissement privé par le biais d’une introduction en bourse partielle, ainsi que des réformes dans plusieurs secteurs, notamment le tourisme et la défense.

L’Arabie Saoudite à la recherche d’une troisième voie sur fond de soutien passif à Israël

Avant l’attaque du 7 octobre, les États-Unis étaient confiants et se félicitaient de la stabilité du Proche-Orient, et de la poursuite du processus des accords d’Abraham conçus par Trump pour construire un axe capable de contrer l’influence iranienne. Au regard du tournant stratégique que prend la pétromonarchie dans ses relations avec l’Iran d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre côté, MBS semble tirer parti de la situation géopolitique et chercher une troisième voie.

Depuis le 7 octobre, en raison de la force des sentiments de solidarité des peuples arabes à l’égard de la cause palestinienne, aucun des pays arabes signataires des accords de normalisation n’a apporté un soutien diplomatique ouvert à Israël. Seuls les EAU ont condamné les attaques du Hamas, tandis que le reste des pays du Golfe a exprimé sa solidarité avec la population gazaouie en demandant l’arrêt des bombardements. De plus, à l’exception du Bahreïn, aucun pays arabe n’a condamné les attaques de Houthis contre les navires à Bab el Mandeb ni accepté de rejoindre la coalition militaire pour faire face aux Houthis.

En dépit de l’apparente distance qu’affiche les bourgeoisies arabes à l’égard d’Israël, les relations économiques entre les Etats arabes et l’Etat colonial se sont toutefois renforcées. Si l’Arabie Saoudite n’entretient toujours pas de relations diplomatiques avec Tel-Aviv, elle n’est pas moins engagée aux côtés de l’Egypte, de la Jordanie et des Émirats dans un vaste plan de construction d’un réseau de routes terrestres qui se substituerait à la voie maritime attaquée par les Houthis en Mer rouge pour délivrer des marchandises à Israël. L’opposition populaire à Israël contraint les différents régimes arabes à se montrer distants mais ne les empêche pas de renforcer leur coopération étroite avec l’Etat israélien.

Dans ce contexte l’Arabie Saoudite semble tirer parti de la situation pour renforcer son autonomie stratégique. A la recherche d’une troisième voie, elle se tourne vers la Chine et la Russie tout en restant dans le giron étatsunien dont elle désire toutefois partiellement s’émanciper. Si le rapprochement avec Israël a été interrompu par l’attaque du 7 octobre, l’Arabie Saoudite coopère néanmoins avec certains Etats arabes à la création de routes terrestres alternatives : rachetant la nécessaire modération que les pourparlers de paix avec le Yémen exige d’elle par sa contribution à l’approvionnement de l’Etat colonial.


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