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Justice à deux vitesses

Conflit d’intérêts « non-intentionnel » : la Cour de Justice de la République blanchit Dupond-Moretti 

La Cour de Justice de la République a relaxé Dupond-Moretti ce mercredi. Si les mesures prises à l’encontre des magistrats qu’il avait affronté en tant qu’avocat relèvent bien du conflit d’intérêt, la Cour dépeint un Garde des Sceaux inconscient de la portée de ses actes et met en évidence une justice à deux vitesses.

Joshua Cohn

29 novembre 2023

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Conflit d'intérêts « non-intentionnel » : la Cour de Justice de la République blanchit Dupond-Moretti

Crédits Photo : Capture d’écran France Info

Ce mercredi est tombé le verdict de la Cour de Justice de la République dans la double affaire concernant Éric Dupond-Moretti, dont le procès s’était tenu du 6 au 17 novembre. Pour rappel, le Garde des Sceaux était accusé de prise illégale d’intérêt dans deux affaires.

Dans la première, le ministre a mené une enquête administrative à l’encontre de trois magistrats du Parquet National Financier (PNF)-> qui l’avaient placé sous écoute téléphonique, le soupçonnant d’avoir informé Nicolas Sarkozy de sa propre mise sur écoute dans l’affaire du financement lybien dans la campagne présidentielle de 2012. Dans la seconde, le ministre avait personnellement suivi le dossier de Édouard Levrault, magistrat français détaché à Monaco entre 2016 et 2019, qui enquêtait sur l’homme d’affaires russe Dmitri Rybolovlev et le directeur de la police judiciaire monégasque Christophe Haget qui avait pour avocat… Me Dupond-Moretti ! 

Le conflit d’intérêt saute aux yeux dès lors qu’un ancien avocat devenu ministre de la Justice mène, à l’encontre des magistrats auquel il a eu précédemment à faire, des enquêtes administratives pouvant aboutir à des sanctions disciplinaires voire des poursuites pénales. La Cour de Justice de la République ne s’y trompe pas et n’a pas osé nier le conflit d’intérêt dans ces deux affaires. Cependant, la Cour a quand même blanchit le ministre en concluant à l’absence « d’élément intentionnel » dans les faits en cause.

L’avocat du Syndicat de la magistrature rapporte ainsi : « La Cour de justice de la République a également décidé que, n’ayant pas conscience de l’infraction qui lui était reprochée, celle-ci ne pouvait être établie ». En clair, Dupond-Moretti était bien dans des situations de conflit d’intérêts mais il ne le savait pas ! Une argumentation ridicule quand l’inculpé est à la fois ministre de la Justice et une ancienne star du barreau. 

La décision de la Cour de Justice a en réalité une explication bien plus simple quand on se penche sur sa composition : trois magistrats, soumis au pouvoir hiérarchique de l’accusé, et douze parlementaires, dont cinq membres de la majorité présidentielle et trois issus de la droite et du centre. Dans ces conditions, le verdict relève bien plus de l’arithmétique politicienne que de tout autre considération.

Sans surprise, la majorité et le gouvernement se sont empressés de se féliciter de la décision et de présenter le Garde des Sceaux comme parfaitement digne de se maintenir dans ses fonctions - qu’il n’avait de toute façon jamais quittées pendant toute la durée de la procédure.

 

Cette décision de la Cour de Justice de la République fournit une nouvelle preuve de la sophistication des mécanismes anti-démocratiques de la Vème République qui visent tous in fine à garantir la stabilité de l’exécutif. Si la Cour de Justice ne prononce pas systématiquement la relaxe des inculpés qui lui sont présentés, elle n’a jusqu’à présent condamné qu’à du sursis ou à des amendes de l’ordre de plusieurs milliers d’euros, autant dire une broutille une fois rapporté aux revenus et au patrimoine des ministres jugés. Mais surtout, jusqu’au dossier Dupond-Moretti, la Cour n’avait jugé que des anciens ministres. La condamnation, par exemple, de Charles Pasqua à un an de prison avec sursis pour complicité et recel de biens sociaux en 2010 alors qu’il était âgé de plus de 80 ans, n’a évidemment jamais affecté sa carrière politique. 

Si la comparution d’un ministre encore en exercice était inédite, le résultat prouve que la fonction fondamentale de cette juridiction d’exception est intacte : Dupond-Moretti ressort blanchi et peut poursuivre la politique sécuritaire et liberticide pour laquelle il a été nommé en 2020, à l’image de la dernière loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice promulguée le 20 novembre dernier et qui prévoit 18 000 places supplémentaires en prison, l’extension de la surveillance à distance des dispositifs informatiques ou téléphoniques ou encore l’habilitation du gouvernement à réformer par ordonnance la procédure pénal et donc diminuer les possibilités de se défendre face à la répression judiciaire. 

Une démonstration en règle de l’inégalité face à la « Justice » qui blanchit les puissants et s’acharne sur les opprimés, à l’image des plus de 2000 condamnations de jeunes qui se sont révoltés au mois de juillet contre les violences policières et le meurtre de Nahel.


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