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Appel du 16 juin. Pourquoi une convergence entre le mouvement antiraciste et la marche des soignants est nécessaire

Ce mardi 16 juin, les soignant·es appellent la population à manifester pour exiger les moyens qui ont cruellement manqué à l’hôpital public pendant la crise sanitaire. Face à Macron qui est bien déterminé à poursuivre sa ligne, pour gagner, la convergence avec d’autre secteurs jouera un rôle déterminant. En ce sens, une jonction des dizaines de milliers de manifestants mobilisés contre le racisme d’Etat et les violences policières avec le mouvement des hospitaliers pourrait jouer un rôle moteur dans la lutte.

Gabriella Manouchki

15 juin 2020

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Crédit Photo : Saint-Denis le 28 mai 2020, devant l’hôpital Casanova. Copyright : Photothèque Rouge /JMB

Mardi 16 juin, les soignant·es appellent la population à manifester massivement pour exprimer son soutien, non plus en applaudissant depuis les balcons mais bien en revendiquant plus de moyens pour l’hôpital public dans la rue, sur le terrain de la lutte. En effet, alors que l’on déplore en France près de 30 000 morts du Covid qui auraient pu être en grande partie évités si l’État avait mis en place un plan sanitaire à la hauteur de la situation, les « héros de la nation » qui ont fourni un effort considérable en première ligne du virus doivent encore se battre pour obtenir des moyens pour l’hôpital public. Leurs revendications sont pourtant élémentaires : augmentation des salaires, prime Covid pour toutes et tous, embauche de personnel, ouvertures de lit… Si Macron a annoncé des mesures aux soignant·es en colère qui l’avaient interpellé lors de ses visites dans les hôpitaux au début du déconfinement, c’est une toute autre réalité qui se dessine avec le Ségur de la santé qui a pour objectif de canaliser la colère et d’enfumer les soignants. Pour obtenir gain de cause, les travailleuses et les travailleurs de la santé ne peuvent compter que sur leurs propres forces d’organisation. Cependant, leurs moyens d’action sont limités du fait du caractère essentiel de leur travail, qui rend par exemple difficile la perspective d’une grève qui serait plus que symbolique. De ce fait, les soignant·es ont besoin de s’allier à l’ensemble des secteurs exploités et opprimés, qui ont eux-mêmes tout intérêt à se battre pour un hôpital public de qualité et accessible à toutes et tous. Les personnes qui sont victimes du racisme d’État ont à ce titre beaucoup à gagner dans ce combat.

Les personnes racisées et les habitant·es des quartiers populaires sont parmi les premières victimes de la crise du Covid

Depuis le début de la pandémie, les soignant·es n’ont pu qu’être témoins de la dimension profondément inégalitaire du système de santé, qui s’est révélée dans toute sa violence. Étant eux-mêmes massivement contaminés par le virus, ils ont dû faire face au manque de moyens qui condamne les plus précaires à la maladie, voire directement à la mort. Parmi les plus précaires, chez les soignant·es et plus encore chez les patient·es, les personnes racisées occupent une place considérablement importante. Aux États-Unis, où il est légal de produire des statistiques basées sur l’identification raciale, il est démontré que les Africains-Américains ont 2,6 fois plus de chances de mourir du Covid que les Blancs. À titre d’exemple, dans la ville de Chicago où les Africains-Américains représentent un tiers de la population, ils concentrent 70% des décès du virus. En France, le même phénomène s’observe au niveau du taux de surmortalité dans les quartiers populaires, qui concentrent à la fois les plus forts taux de pauvreté, les plus grandes proportions de personnes racisées et le moins d’infrastructures de santé proportionnellement à la population. Parce que les hôpitaux qui ont été les plus saturés sont ceux qui se situent en Seine-Saint-Denis et parce que la population y est particulièrement fragile notamment en raison de maladies chroniques liée à la précarité, le taux de surmortalité y a bondi de près de 130 % entre le 1er mars et le 27 avril par rapport à la même période en 2019. "C’est deux fois plus que dans les Yvelines (+ 67,3 %) ou la Seine-et-Marne (+ 65,4 %)", rapporte Le Monde.

Aux victimes sur le plan sanitaire de la crise du Covid, il faut ajouter les nombreuses victimes de violences policières pendant le confinement. Comme le titrait un article publié sur Mediapart, « en France aussi, la police tue » : 12 personnes sont mortes après avoir croisé des policiers pendant le confinement et de nombreuses personnes ont été gravement blessées par les forces de répression, le plus souvent dans des quartiers populaires. Ce phénomène est dû au renforcement des contrôles de police dans les quartiers pendant le confinement qui a visé spécifiquement les quartiers populaires. Il est ainsi significatif que la Seine-Saint-Denis ait concentré 10% du total des amendes délivrées en France pendant le confinement.

Enfin, c’est aussi sur le plan économique que les quartiers populaires ont été et vont être durement touchés. La récession qui commence expose 1,25 milliards de travailleurs à des licenciements, pertes d’activité et de revenus à travers le monde, selon l’OIT. Les premiers touchés seront comme toujours les plus précaires, parmi eux les personnes racisées et les femmes de la classe travailleuse sont en première ligne.

Ainsi, contrairement à ce que veulent nous faire croire Macron et son gouvernement de criminels, nous sommes loin d’être logé·es à la même enseigne face à la crise sanitaire et économique. Plus que le virus, c’est la gestion de crise catastrophique du gouvernement qui a causé la mort des personnes les plus précaires, et parmi ces dernières de nombreuses personnes racisées et habitant·es de quartiers populaires.

La nécessité d’une convergence du mouvement antiraciste avec le mouvement des hospitaliers

Lire aussi : Pourquoi le mouvement ouvrier doit manifester contre les violences policières et le racisme

C’est bien dans ce contexte de crise post-confinement qu’a émergé le mouvement antiraciste qui rassemble des millions de jeunes à l’échelle internationale suite au meurtre de George Floyd. Aux États-Unis, la vague d’émeutes qui a secoué le pays est le résultat de la précarisation accrue de la population Africaine-Américaine et de la jeunesse en général, auxquelles l’État n’offre d’autres perspectives que la précarité, sinon la prison ou le cimetière. C’est également ce qu’a souligné en France un ami de Sabri, mort entre les mains de la police à Argenteuil, dans une intervention lors du dernier rassemblement contre les violences policières et le racisme d’État qui a rassemblé 180 000 personnes samedi dernier à Paris.

La police, bras armé de l’État, constitue en France comme aux États-Unis le dernier rempart d’un système à bout de souffle. Si la répression fait historiquement partie de la vie quotidienne des habitants des quartiers populaires, elle s’est récemment étendue à de vastes secteurs de la population qui en étaient jusqu’ici généralement exemptés, dans le cadre des luttes sociales. Ainsi, depuis 2016, on assiste à une criminalisation et à une augmentation de la répression des mouvements sociaux, avec comme point culminant celui des Gilets Jaunes. Les travailleuses et les travailleurs de la santé, en lutte contre la casse de l’hôpital public, ont également été confrontés aux violences policières, avec des scènes peu habituelles de soignant·es se faisant matraquer et gazer ou encore de CRS arrachant les banderoles des soignants en grève. Aux États-Unis, au cours des dernières semaines, on a également vu des membres du personnel se faire réprimer pour avoir exprimé leur colère, à l’image de notre camarade et médecin Mike Pappas arrêté par la police lors d’une manifestation antiraciste à New-York.

Pour toutes ces raisons et contre tout un système dans lequel s’articulent exploitation capitaliste, casse du service public, et oppression de race et de genre, le combat des hospitaliers et contre le racisme d’Etat et les violences policières sont liés. C’est ce que développe une soignante en colère que nous avons interviewé : « ces deux questions sont intimement liées : on est très nombreux à l’hôpital à vivre dans les quartiers populaires. Il ne faut pas oublier qu’on est très mal payés. Par exemple dans ma résidence, ça n’applaudissait pas à 20h pour la simple et bonne raison que dans mon bâtiment personne n’était confiné car on allait tous travailler : soignants, caissières, éboueurs, livreurs ».

Face à un gouvernement bien déterminer à un retour au « monde d’avant » en pire, insuffler de la force aux soignants en première ligne pourrait s’avérer déterminant. En ce sens, la jeunesse qui s’est mobilisés par dizaines de milliers contre les violences policières et le racisme d’Etat pourrait s’il rentrait en jonction avec le mouvement des hospitaliers jouer un rôle d’appui indéniable. De la même manière, que les soignants ont déjà montré des premiers signes de convergence sur la question des violences policières et du racisme d’Etat comme à New York où des infirmières manifestent contre le racisme et les violences policières, ou encore à Saint-Denis en France où les soignants de l’hôpital Delafontaine ont organisé une minute de silence pour les victimes de violences policières. Lors de la marche historique appelée par le Comité Adama à Paris samedi dernier, Assa Traoré, figure du mouvement antiraciste en France, a annoncé sa présence à la marche des soignant·es du mardi 16 juin.

Comme l’affirme la soignante en colère : « Bien sûr qu’il y a une jonction à faire : les quartiers populaires sont à l’hôpital. J’ai la sensation que les gens se sont réveillés et ont réalisé que ce sont les gens des quartiers populaires qui nous font vivre. Mais ça fait des siècles que ce sont eux qui nous font vivre, et au lieu de les dénigrer pour la première fois on les a applaudis. Pour moi c’est le même combat : les violences policières, le racisme car c’est un combat contre une mentalité. De toutes façons, à l’hôpital on est très nombreux à avoir été aux manifestations contre les violences policières et on sera là demain, car c’est le même combat. »


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