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Débat

VIDÉO. Quelle stratégie face aux violences policières et au racisme d’Etat ?

L’Université d’été de Révolution Permanente a été clôturée par un débat sur les révoltes des quartiers populaires. Une discussion sur les origines de la colère, la situation des quartiers populaires et la stratégie pour en finir avec les violences policières et le racisme d’État.

Joël Malo

31 août 2023

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« Palestine vivra, Palestine vaincra ! » C’est sur fond de slogans revendiquant la libération de Georges Ibrahim Abdallah, plus vieux prisonnier politique d’Europe enfermé depuis 39 ans dans les geôles de l’impérialisme français, que s’ouvrait la table-ronde de clôture de l’université d’été de Révolution Permanente pour discuter de la révolte des banlieues, ayant ouvert une crise importante pour le macronisme au début de l’été.

Les militants réunis autour de la table ont échangé sur les raisons et l’ampleur des révoltes et débattu de la stratégie à adopter pour en finir avec la misère et les meurtres policiers. Parmi eux, Mornia Labssi, inspectrice du travail, syndicaliste CGT et militante des quartiers populaires à Nanterre ; Youcef Brakni, militant du Comité Vérité et Justice pour Adama ; Elsa Marcel, avocate au Comité d’Action Judiciaire (CAJ) et militante de Révolution Permanente ; Anasse Kazib, syndicaliste cheminot à Sud Rail et porte-parole de Révolution Permanente ; ainsi que Saïd Bouamama, sociologue, militant du Front Unique de l’Immigration et des Quartiers Populaires (FUIQP), du Collectif des Sans-Papiers 59 (CSP) et militant à la CGT. Ce dernier accompagne depuis début juillet la grève des travailleurs sans-papiers d’Emmaüs à Saint-André-lez-Lille, dont la lutte a été ovationnée par la salle tandis qu’une caisse de solidarité passait dans les rangs pour les soutenir.

Comprendre l’ampleur politique de ces révoltes historiques

L’ensemble des intervenants se sont accordés pour reconnaître l’ampleur absolument inédite de ces révoltes, qui n’ont pas seulement touché les banlieues des grandes villes mais aussi des communes moyennes et petites. Saïd Bouamama rappelle les sources de la colère : « Il y a d’abord ce qui a toujours provoqué les révoltes des quartiers populaires, c’est le rapport à la police. L’exécution de Nahel a rappelé à toutes les personnes racisées de ce pays que demain ce pourrait être leur tour ou celui de leur enfant. La première cause de ces révoltes, c’est la difficulté de rester en vie quand on s’appelle Mohamed ou Mamadou. »

« La mort de Nahel, un jeune que l’on connaît, je l’ai vécue comme une maman », abonde Mornia Labssi, qui vit et milite dans la ville où a été exécuté Nahel, « on se dit qu’on est de plus en plus en danger ! » Elsa Marcel, avocate qui a défendu, avec les militants du CAJ, de nombreux jeunes face à la répression judiciaire, insiste : « L’âge médian des interpellés, c’est 17 ans. Ce n’est pas pour rien, c’est l’âge de Nahel. Les jeunes me disaient : "je pense à ma mère quand je vois la mère de Nahel" ».

Comme le rappelle Youcef Brakni, ces révoltes interviennent 40 ans après la marche pour l’égalité, avec l’amer sentiment que rien n’a changé. Mais si les violences policières ont toujours été le moteur des explosions de colère dans les quartiers populaires, force est de constater qu’il y a cette fois une autre composante : ce sont aussi des révoltes de la misère. « Cette dimension n’existait pas en 2005, cette fois les jeunes se sont attaqués à des Lidl et se sont emparés de produits de première nécessité », constate Saïd Bouamama.

Pour tous les intervenants, la période du Covid a marqué un véritable tournant, à la fois dans la terreur policière mais aussi dans l’augmentation de la misère. C’est aussi ce que pense Anasse Kazib pour qui « cette génération, qui n’a pas connu 2005, a vécu le Covid pas seulement avec un aspect sanitaire mais aussi avec une explosion des inégalités sociales et raciales. Ils ont vécu dans des F2, dans des F3, ils ont vu des parents mourir. Un ami d’Aubervilliers m’a dit : "Dans mon bâtiment, il y a dix parents qui sont morts du Covid !". Ces parents formaient aussi les rangs des travailleurs dit « essentiels », travailleurs du nettoyage, de la logistique, du commerce qui ont fait tenir le pays et se retrouvent aujourd’hui en première ligne de l’inflation ».

Voilà ce qui a donné toute la dimension politique à ces révoltes que la classe dominante cherche à effacer par un discours colonial expliquant les révoltes par la « décivilisation » qui serait à l’œuvre ou par l’incapacité des parents à élever leurs enfants. « Quand on dit y en a marre de la hagra, y en a marre que nos gamins se fassent tuer, se fassent palper, trois, quatre, cinq, six fois dans la journée, y en a marre qu’on n’ait pas de boulot ou de se lever à 4 heures du matin pour aller sur un chantier à deux heures de chez soi, si ça ce n’est pas politique, je sais pas ce que c’est ! », interpelle Mornia Labssi. « Y en a marre d’avoir des pères qui sont exposés à des risques professionnels et qui meurent du cancer, y en a marre de cette vie où ceux qui vivent à l’extérieur de la cité portent atteinte à notre dignité, nous humilient ! », conclut la militante.

Une répression sauvage d’une ampleur inédite

45 000 policiers, la BRI, le RAID, de nouveaux morts et mutilés, des milliers d’emprisonnés, des familles expulsées de leur logement : la répression et le déferlement de brutalité déployés par le gouvernement ont témoigné des dispositifs d’exception mobilisés pour réprimer les habitants de quartiers populaires, les travailleurs immigrés et les descendants des colonisés. « Ils ont quand même été obligés de couper Twitter », rappelle Youcef. « Je voyais ça en 2011 avec Ben Ali, avec Moubarak, ou en Iran. Comme les dictatures du sud, comme ceux à qui on fait la leçon. Snapchat a été complètement censuré, les vidéos de révolte ont été supprimées pour les remplacer par des vidéos pro-police. » Cette répression a été appuyée et légitimée par un travail méthodique, de la part de la classe dominante et de ses médias, de criminalisation, de déshumanisation des jeunes des quartiers populaires et de leurs familles. Tout a été fait pour isoler les révoltés des quartiers et monter le reste de la population contre eux : «  ce n’était pas un enfant qu’on a assassiné, c’était un arabe », constate le militant.

Elsa Marcel insiste sur le caractère extrêmement conscient du discours de culpabilisation des mères des quartiers populaires et son importance afin d’empêcher la jonction de cette jeune génération de révoltés avec les autres mouvements sociaux. Le pouvoir a bien perçu la menace : « Dans le pays, 40% des jeunes de moins de 25 ans comprenaient les violences envers les policiers » rappelle l’avocate. En effet, cette expérience de répression sauvage n’a pu que résonner avec les images de la BRAV-M traquant des manifestants le soir du 49-3, ou des flics lançant des milliers de grenades GLI-F4 et tirant à vue au LBD à Sainte-Soline. « Cette très jeune génération de révoltés politisés et radicalisés par la précarité doit être absolument isolée des secteurs sociaux. Le pouvoir cherche à dissocier les expériences, et surtout à traumatiser et mater cette génération », conclut l’avocate.

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La répression a en effet donné à voir à quel point le poison du racisme peut être largement diffusé jusque dans des secteurs combatifs de notre classe, et comment l’Etat parvient à justifier l’utilisation de blindés dans les quartiers ou l’emprisonnement de milliers de jeunes. Pourtant, explique Saïd Bouamama : « 30% des classes populaires sont issues de l’immigration post-coloniale. Aucun changement radical dans ce pays n’est possible s’il y a ce clivage qui perdure entre racisés et non racisés. » Ce constat pose naturellement la question du rapport entre militants des quartiers populaires, de l’antiracisme et la gauche syndicale et politique.

Des révoltes moins isolées, une réponse timorée des directions syndicales

Il est à noter comme l’ont rappelé les intervenants que la situation n’est pas la même en 2023 qu’en 2005. Alors qu’en 2005 la gauche institutionnelle, et même une partie de l’extrême gauche, avaient participé de concert à la condamnation et à la criminalisation des révoltes, cette fois de nombreuses organisations de la gauche associative, syndicale ou politique ont pris position pour dénoncer la mort de Nahel. Pour Youcef Brakni, c’est la fin d’une longue traversée du désert alors même que la gauche méprisait auparavant ouvertement la lutte des quartiers populaires. Pour Mornia Labssi, l’existence d’un communiqué inter-organisation qui évoque le « racisme systémique » et les « violences policières », et appelle à la manifestation du 23 septembre, est une avancée et un point d’appui pour discuter de cette question dans les entreprises, bien qu’il faille attendre les actes et ne pas se contenter de beaux discours.

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Pour Elsa Marcel de Révolution Permanente, la démarche de l’appel est progressiste mais comporte des limites : « On appellera au 23 septembre et on mobilisera, mais pas avec le discours du communiqué », insiste Elsa Marcel, en expliquant pourquoi Révolution Permanente n’a pas souhaité s’associer au communiqué. « Ce qu’il faut aujourd’hui pour en finir avec les violences policières, c’est lutter pour l’amnistie de tous les révoltés ! Jamais la gauche institutionnelle ne le dira, parce que c’est un niveau de confrontation avec le régime qu’elle n’assumera jamais. Il faut militer pour que la gauche et l’extrême gauche, ce que personne n’a fait, réclame la liberté et l’amnistie de tous les révoltés, sans condition ». Une revendication de base qui n’est pas présente dans l’appel du 23 septembre, tandis que le communiqué défend une « réforme de la police » et s’inscrit dans logique d’interpellation de l’Etat « pour remettre de l’ordre dans la police », pointe Elsa Marcel.

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Concernant ce même communiqué, Saïd Bouamama en appelle à « tenir les deux bouts : nous en sommes à nous réjouir que dans les communiqués on parle de racisme, et de violences systématiques, le chemin est long à parcourir ». De son côté, Mornia Labssi reconnaît les difficultés liées au communiqué unitaire, mais estime qu’il était important qu’il existe pour exprimer l’élargissement du soutien envers les quartiers populaires. Quant aux revendications, l’ensemble des intervenants ont pointé la nécessité d’une campagne pour l’amnistie.

Au sujet de la police, différentes positions se sont exprimées. Pour Said Bouamama, « il faut qu’on ose les mots sur la question de la police, il faut l’épuration de la police. Un système qui s’est construit sans épuration en 45, sans épuration en 62 [massacre de Charonne], comment voulez-vous qu’un système [raciste et violent] ne soit pas construit ? ». Pour Mornia, «  il faudrait une déconstruction d’une police culturellement raciste, et pas d’une police de proximité, on ne demande pas plus de police, on demande qu’il y en ait moins ».

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Quelle stratégie face aux violences policière et au racisme d’Etat ?

« Que vont devenir les jeunes qui ont été condamnés ? Ce sont des vies qui vont être détruites », prévient Saïd Bouamama, et de poursuivre : « La priorité des priorités, c’est gagner l’amnistie. » C’est aussi ce sur quoi insiste Youcef Brakni : «  Les quartiers populaires refusent qu’on exécute un enfant, ce n’est pas rien politiquement ! C’est pour ça qu’il ne faut rien lâcher dans le soutien aux révoltés. Peut-être qu’on sera convoqués au commissariat, peut-être qu’on sera attaqués, peut-être qu’on fera de la garde-à-vue, mais ce n’est rien par rapport au fait qu’on exécute un enfant ».

Pour Elsa Marcel, ce combat, aussi nécessaire qu’il est à contre-courant, pose un problème de stratégie politique, pour unifier notre classe. « Obtenir l’amnistie demande un rapport de force extraordinaire », prévient l’avocate. « C’est très différent de ce que propose le communiqué unitaire. Il faut l’abrogation de toutes les lois racistes y compris celle du PS, la dissolution de tous les corps spéciaux de la police, l’amnistie inconditionnelle. Mais il faut aussi résoudre la misère et lutter contre l’inflation, c’est le combat qu’ont mené les raffineurs en octobre dernier ».

Un combat que les directions syndicales avaient alors laissé isolé pendant de longues semaines. De la même manière, l’intersyndicale unie autour de la lutte contre la réforme des retraites s’est refusée d’élargir les revendications portées par le mouvement des retraites à une lutte nationale pour les salaires. De même, lors des révoltes dans les quartiers populaires, Anasse Kazib rappelle que les directions syndicales auraient dû appeler à la grève à la suite de la mort de Nahel : « La question des quartiers populaires, c’est la question de la misère dans ce pays. On l’a dit dans le mouvement des retraites, il y a eu une absence programmatique et un manque de volonté de se lier aux travailleurs précaires, racisés, et qui sont dans les quartiers populaires. Quand on voit des pillages alimentaires c’est la question des salaires, des services publics qui est au cœur. Ce n’est pas une thématique des syndicats ça ? ».

Pour autant, Anasse ne nie pas les difficultés : « Beaucoup de nos camarades d’entreprise qui ont milité pendant les retraites, qui ont même subi les violences policières ont pu être hostiles aux révoltes. Nous devons empêcher que les quartiers populaires soient mis au ban de la société, ils ont pleinement leur place dans la bataille contre le pouvoir, contre le système, pour en finir avec cette barbarie. » Face au racisme d’Etat, seul un réel affrontement contre la bourgeoisie, peut mettre fin aux violences policières et au racisme d’Etat, conclut le cheminot.

Pour cela, rappelle Anasse Kazib, il nous faut aussi un programme articulant luttes contre les offensives autoritaires et racistes, pour les salaires et les retraites, contre le régime de la Vème République, et enfin pour une stratégie visant à unifier l’ensemble des secteurs exploités et opprimés et mettant au cœur la grève et le blocage de l’économie.

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