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Diffamation

RP en procès : un plaidoyer pour la presse militante et le droit à porter la parole des ouvriers en lutte

Ce mardi avait lieu le procès de RP, attaqué en diffamation pour avoir donné la parole à des ouvriers en lutte contre un plan social. L’audience a permis de défendre le droit à porter la parole des travailleurs dans une presse militante, et dans le cadre de débats politiques et syndicaux.

Mariam Amel

2 février

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RP en procès : un plaidoyer pour la presse militante et le droit à porter la parole des ouvriers en lutte

Ce mardi se tenait au tribunal correctionnel un procès en diffamation contre Révolution Permanente (RP), dans le cadre du suivi en 2020-2021 de la lutte des travailleurs du sous-traitant aéronautique AAA contre un plan massif de licenciements et de la trahison des syndicats FO et CFE-CGC qui avaient signé la suppression de 567 emplois ouvriers, soit plus d’un tiers des effectifs de l’entreprise. La plainte contre le journal de RP émane d’un délégué syndical CFE-CGC de chez AAA, signataire du plan social à l’époque et ayant bénéficié d’une promotion à la même période à un poste de direction, qu’un travailleur de l’entreprise avait dénoncé dans nos colonnes.

Dans le cadre du procès, Paul Morao, directeur de publication de Révolution Permanente et Ludovic Fiaschi, directeur de publication de l’Anti-K, attaqué aux côtés de RP pour avoir relayé l’article incriminé, ont rappelé à la barre le contexte dans lequel l’article en question avait été publié et le rôle de leurs médias. « Cet article s’inscrit dans notre couverture des conflits ouvriers pendant la crise Covid, face aux plans sociaux, accords de performance collective et luttes pour des mesures sanitaires dans les entreprises » a rappelé Paul Morao précisant que RP était animé par des militants de l’organisation politique et offrait « une tribune aux travailleurs, aux mouvements sociaux, à celles et ceux dont la parole est souvent négligée ». Dans le prolongement de ce témoignage, Ludovic Fiaschi a rappelé la longue histoire de la connivence de certains syndicalistes avec les patrons et l’enjeu politique de la dénoncer : « il ne s’agit pas de salir une personne, notre démarche est politique : dénoncer un phénomène qui consiste pour les employeurs à briser les mouvements de protestation avec l’aide de syndicalistes pro-patronaux. »

Face à ces premiers éléments exposés par les responsables des deux médias, l’avocat de la partie civile a entamé une plaidoirie très politique, dénonçant les médias attaqués et leur « idéologie destinée à piétiner l’individu ». N’hésitant pas à qualifier cette dénonciation syndicale de « stalinienne » et à affirmer que son client se serait vu, par cet article « coupé la tête sur place publique », « trainé dans la boue, pour avoir simplement accepté une promotion », assimilé à « Judas ». Un discours plein d’emphase, s’insurgeant que des médias du bon côté de la barricade se permettent de donner la parole à des travailleurs attaquant le signataire de 567 licenciements, et que la parole de ce dernier n’ait pas été recueillie dans l’article, auquel les avocats de la défense ont répondu en deux temps.

D’abord, Me. Sauvignet est revenu sur l’absence de diffamation caractérisée dans l’article incriminé, rappelant que la démarche du texte était tout autre. « Il s’agit ici de dénoncer des stratégies patronales, consistant à extraire certaines syndicalistes de leur camp de sorte à ce qu’ils représentent l’intérêt non plus des salariés mais celui du patronat. Dans cet article, il est question du rôle de Monsieur M. en tant que délégué syndical en faveur du dialogue social et du plan social. Il y a bien un jugement de valeur, mais qui doit être distingué du propos diffamatoire » a-t-il notamment souligné. L’avocat a par ailleurs rappelé l’absence de demande de droit de réponse, ou d’expression de la CFE-CGC concernant les accusations, alors que celle-ci avait accès à la possibilité de s’adresser à l’ensemble des salariés au travers de l’intranet, de même que la concomitance réelle entre la période de la promotion du syndicaliste et celle du plan social.

Me. Marcel a poursuivi en rappelant de son côté le contexte politique et syndical de l’article, celui d’une lutte dans un contexte d’attaques patronales dans le secteur aéronautique : « Les salariés ont continué à travailler pendant la pandémie en s’exposant à la maladie, que leurs entreprises ont touché d’importantes aides d’Etat et à la sortie de la crise, ils ont été remerciés par des licenciements massifs. Ce contexte est primordial à connaitre pour comprendre non seulement la virulence des débats qui ont eu lieu à ce sujet, mais aussi leur importance centrale. » Un contexte dans lequel la jurisprudence reconnaît à la polémique syndicale la possibilité d’être virulente au vu des enjeux a-t-elle souligné, et d’ajouter « ça ce n’est pas Lénine qui le dit maître, c’est la Cour de Cassation ».

Dans le même sens, l’avocate a rappelé l’énorme décalage entre les conditions de travail des cadres et ceux des ouvriers dans la sous-traitance aéronautique, et les avantages dont bénéficie les premiers. « La CFE-CGC, syndicat de cadres, bénéficie du privilège catégoriel, qui lui permet de calculer sa représentativité dans son seul collège mais de signer des accords pour l’ensemble des salariés. » On parle ainsi d’un syndicat « pas concerné par le PSE, dont les membres n’ont pas fait un jour de grève, mais qui signe un accord pour l’ensemble des ouvriers. » Dans ce contexte, dénoncer le rôle de ce syndicat était ainsi un droit démocratique, d’autant plus qu’il existait une « base factuelle suffisante » pour porter de telles accusations : un organigramme avant/après dans le cadre de la réorganisation de l’entreprise post-plan social. « Ce que souligne le syndicaliste qui a témoigné pour Révolution permanente, c’est que cette personne qui a signé le plan social ne devrait plus représenter les salariés » a noté l’avocate.

En définitive, le procès a permis de défendre la presse militante et la polémique politique, citant Lutte ouvrière et d’autres journaux d’extrême-gauche pour rappeler que le débat concerné par le procès était habituel dans cette tradition, et ne pouvait être traité de la même façon qu’une enquête journalistique. Un plaidoyer pour le droit à porter la parole des travailleurs en lutte et à défendre un point de vue du bon côté de la barricade, même lorsqu’il met en cause les patrons et des syndicalistes qui travaillent main dans la main avec eux, comme l’a souligné Paul Morao à la sortie du procès :

Le délibéré sera rendu le 2 avril.


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