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Menace d’intervention militaire au Niger et conflit entre puissances

Le récent coup d'État au Niger s’inscrit dans les tendances convulsives qui traversent le continent africain. Une situation marquée par le déclin de l'hégémonie étasunienne, un impérialisme français en retrait dans la région et des puissances qui se disputent une influence croissante comme la Chine et la Russie.

Claudia Cinatti

6 août 2023

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Menace d'intervention militaire au Niger et conflit entre puissances

Le coup d’État au Niger a ouvert une situation explosive en Afrique avec un impact international. Le 26 juillet, quelques jours avant le 63ᵉ anniversaire de l’indépendance formelle de la France, des membres de la garde présidentielle, dirigés par le général Omar Tchiani ont encerclé le palais du gouvernement et arrêté le président Mohamed Bazoum. Au fil des heures, le putsch s’est transformé en véritable coup d’État. Après avoir reçu le soutien de la majorité des forces armées, le général Tchiani lui-même a annoncé dans un message télévisé qu’il prenait le contrôle du gouvernement du pays.

Les rues de Niamey, la capitale de ce pays africain appauvri, étaient remplies de manifestants soutenant le coup d’État, dont beaucoup portaient des pancartes manuscrites contre la présence néocoloniale française (« La France doit partir », la plus répandue) ; l’ambassade de France a été attaquée. On pouvait également voir des drapeaux russes, ce qui ne signifie pas nécessairement que la Russie est derrière le coup d’État, mais exprime à sa manière la place symbolique que le bloc russo-chinois en est venu à occuper en tant qu’« alternative » aux puissances occidentales.
La chute de Bazoum a porté un nouveau coup aux prétentions impériales d’une France en déclin. Alors que le président Emmanuel Macron assurait depuis Paris qu’il ne « tolérerait aucune attaque contre la France et ses intérêts », il a préparé à la hâte l’évacuation d’un peu plus de 500 ressortissants français de la capitale nigérienne, dont il ne pouvait plus garantir la sécurité.

Outre sa dimension géopolitique et militaire, le changement de régime au Niger a un fort impact économique. Un pourcentage important de l’uranium produit au Niger permet aux Français d’allumer la lumière et de faire fonctionner leurs appareils électriques. Si la France était privée de cet apport, la production d’énergie nucléaire, principale source d’énergie du pays, se trouverait menacée.

Jusqu’à la veille du coup d’État, le Niger était un élément clé de la stratégie africaine des États-Unis et de la France. Dirigé par un allié occidental, il était considéré comme un facteur de stabilité relative dans une région profondément instable et comme un rempart dans la « guerre contre le terrorisme », en particulier après l’intervention de l’OTAN en Libye et sa transformation en État failli. La France a déployé quelque 1 500 soldats, pour la plupart déplacés du Mali après son expulsion humiliante de l’année dernière. Le Pentagone compte toujours un millier de soldats et deux bases dans le pays, dont une importante d’où il lance des frappes de drones contre Al-Qaïda, l’État islamique et d’autres milices, comme Boko Haram, qui s’est fait connaître pour avoir enlevé des centaines d’écolières au Nigéria.

En outre, Bazoum a collaboré étroitement avec les efforts de la France et de l’UE pour contenir les vagues de migrants en bloquant leur accès aux pays d’Afrique du Nord, depuis lesquels les groupes mafieux organisent la contrebande de personnes vers la Méditerranée. Par conséquent, la perte de cet allié a un impact au-delà de l’Afrique de l’Ouest et oblige à recalculer la stratégie impérialiste.

Dans un tournant copernicien, le Niger est devenu le nouveau maillon d’une chaîne de coups d’État qui a secoué la région du Sahel, dont sept ont eu lieu au cours des trois dernières années. Il fait désormais partie de ce que l’on appelle la « ceinture de coups d’État », un tronçon de 5 500 km qui s’étend de la Guinée sur la côte ouest au Soudan à l’autre extrémité, en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Tchad.

Ce qui est certain, c’est que l’Afrique est entrée de plain-pied dans le conflit stratégique entre, d’une part, le bloc « occidental » dirigé par les États-Unis et composé de l’UE/OTAN et de ses alliés et, d’autre part, une alliance informelle entre la Russie et la Chine dont le principal théâtre d’opérations est la guerre en Ukraine. Dans ce fleuve tumultueux de rivalités et d’alliances changeantes, d’autres puissances mineures, comme la Turquie, jouent également leur rôle.

Ce réalignement géopolitique s’exprime dans la rhétorique anti-française (et anti-occidentale) enflammée des gouvernements issus de ces coups d’État, et dans leur passage dans l’orbite de la Russie et de la Chine, qui, de manière moins apparente que la Russie, est devenue le principal partenaire commercial — et dans certains cas le créancier — de ces pays.

Le coup d’État au Niger a eu lieu en même temps que le sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg. Bien qu’il ait été moins suivi que sa version précédente en 2019, en partie pour protester contre la politique de retrait de la Russie de l’accord d’exportation de céréales, il a montré un soutien significatif à la Russie dans le contexte de la politique d’isolement poussée par les États-Unis et les puissances occidentales à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Poutine y a déployé ses armes de séduction : il a notamment promis d’envoyer gratuitement jusqu’à 50 000 tonnes de céréales au Burkina Faso, au Zimbabwe, au Mali, à la Somalie, à la République centrafricaine et à l’Érythrée.

Les relations amicales avec la Russie passent également par des canaux para-étatiques. La milice privée Wagner, commandée par l’oligarque Evgueni Prigojine, s’est révélée être un instrument relativement bon marché et efficace pour étendre l’influence russe en Afrique, avec une présence au Mali, en République centrafricaine et dans d’autres pays où elle fournit des services de « sécurité » en échange de juteux contrats miniers.
La situation est fluide et il n’est pas encore clair si le coup d’État sera consolidé, de sorte que toute hypothèse est nécessairement provisoire.
Le coup d’État a mis en évidence la formation de deux blocs sur le continent africain. D’une part, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une coalition de 15 pays actuellement présidée par le Nigeria et alliée aux puissances occidentales. Elle a immédiatement imposé des sanctions économiques sévères au Niger, suspendu les approvisionnements en énergie, fermé temporairement les frontières et donné à la junte militaire un ultimatum pour rétablir Bazoum au gouvernement. Si cela n’aboutit pas, la CEDEAO menace d’intensifier les représailles, y compris la possibilité d’une intervention militaire. L’autre bloc, composé du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée, s’est prononcé en faveur du coup d’État au Niger et a déclaré que toute intervention dans ce pays serait considérée comme une « déclaration de guerre ».

Il se peut que la menace d’une intervention serve de moyen de pression, au même titre que les sanctions et la suspension de l’aide financière. Cependant, la dynamique des événements ne permet pas d’exclure une action militaire. Les précédents historiques sont les interventions au Libéria et au Sierra Leone. D’ailleurs, des pays comme le Bénin ont déjà annoncé qu’ils étaient prêts à fournir des troupes. La CEDEAO est soutenue par les États-Unis et la France (et l’UE) et sert donc de vecteur à l’ingérence impérialiste et de mandataire possible des puissances occidentales dans une hypothétique guerre intra-africaine.

Une révolte anticoloniale ?

Tant comme colonie française qu’après son indépendance en 1960, le Niger a été soumis à une pauvreté extrême, à la dépendance et au pillage. C’est l’un des pays les plus pauvres avec l’un des taux de natalité les plus élevés au monde. Ses indicateurs sociaux sont alarmants : 41 % de ses 25 millions d’habitants vivent dans la pauvreté absolue, à peine 11 % ont accès aux services de santé de base et on estime que 7 % sont encore soumis à des conditions d’esclavage. La crise climatique — avec les sécheresses et la désertification des terres — frappe de plein fouet l’agriculture familiale, moyen de survie d’environ 80 % de la population.

Mais cette misère contraste avec le fait que le Niger est le septième producteur mondial d’uranium, et qu’il produit également de l’or et du pétrole. Le pillage impérialiste fait qu’il ne reste plus un seul centime de toutes ces richesses. La plupart des mines d’uranium sont contrôlées par des sociétés impérialistes, au premier rang desquelles la société française Orano.

Ce que le Niger et plus généralement les coups d’État à rhétorique anti-française montrent, c’est le rejet profond de l’ingérence et de l’oppression néocoloniales qui se sont poursuivies sous la forme de ce que l’on appelle la « Françafrique » après l’indépendance formelle de ces pays dans les années 1960. Le rôle de « gendarme » de la France dans ses anciennes colonies africaines, l’imposition d’élites locales favorables à ses intérêts et sa présence militaire ont été au service du pillage des ressources.

Bien qu’elle soit une puissance en déclin et que la Chine ait pris sa place en tant que partenaire commercial privilégié, la France résiste à sa perte d’influence dans ce qui était autrefois son arrière-cour. Même le franc CFA, la monnaie de la Communauté financière africaine, liée au franc français et maintenant à l’euro, qui est toujours utilisée par 14 pays africains, reste un héritage colonial.

Le lien entre la misère structurelle de ces pays pillés et le passé et le présent néocoloniaux explique le profond sentiment anti-français qui traverse l’Afrique, en particulier parmi les jeunes générations. Ainsi, bien que les coups d’État ne soient pas « anticoloniaux » (et encore moins « anti-impérialistes »), mais largement motivés par des querelles de cliques pour le contrôle de l’appareil militaire et étatique, ils tentent d’asseoir leur légitimité en attisant la rhétorique antifrançaise et en changeant leurs allégeances en faveur de la Chine et de la Russie.

C’est le capitaine Ibrahim Traore, actuel chef du gouvernement intérimaire du Burkina Faso après le coup d’État, qui a le mieux exprimé cette politique. Lors du sommet de Saint-Pétersbourg, Traore a invoqué la mémoire de Thomas Sankara, leader de la lutte anticoloniale et référence du panafricanisme. Dans son discours, il a salué l’avènement d’un « ordre multipolaire » et l’alliance avec de « vrais amis » comme la Russie.

Le déclin hégémonique des États-Unis et l’émergence de puissances telles que la Chine et la Russie, qui proposent un « ordre multipolaire » comme alternative, ont été accélérés par la guerre en Ukraine. C’est la base des positions des « campistes » qui considèrent que pour s’opposer à la domination impérialiste des États-Unis et de l’UE, il faut s’aligner avec la Chine et la Russie. Mais il s’agit d’un bloc capitaliste tout aussi réactionnaire qui poursuit ses intérêts impériaux. Alors que les puissances occidentales masquent leurs objectifs impérialistes par la « défense de la démocratie », Poutine utilise une rhétorique « anticoloniale » pour accroître son influence géopolitique au profit du capitalisme russe. Mais tant la Russie que la Chine cherchent à s’emparer du butin des ressources stratégiques de l’Afrique, y compris, dans le cas de la Chine, en imposant des conditions onéreuses en tant que principal créancier de nombreux pays africains. Cette attitude est diamétralement opposée aux intérêts des travailleurs, des paysans et des peuples opprimés d’Afrique et du monde.

Lire aussi : Niger : non à l’intervention militaire, non aux sanctions ! Impérialisme français hors d’Afrique !


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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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