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Racisme d’État

« L’État nous a mis à la rue » : à Paris, le combat exemplaire des mineurs étrangers isolés

Après l’expulsion des campements sur les quais de Seine le 7 mars dernier, des jeunes migrants organisés en collectifs ont mené un combat et arraché 165 places d'hébergement. Marcus, jeune malien délégué du collectif des jeunes du parc de Belleville, revient sur cette lutte.

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« L'État nous a mis à la rue » : à Paris, le combat exemplaire des mineurs étrangers isolés

Crédit photo : 20eme solidaire avec tou.te.s les migrant.e.s

Les jeunes isolés, premières cibles de la chasse aux sans-abris et aux migrants

Mercredi 7 mars, près de 400 jeunes isolés, installés sur des campements sur les bords de Seine ont été expulsés par les forces de l’ordre. Prétextant un risque de crue de la Seine, la préfecture de police de Paris avait pris un arrêté d’expulsion de tous les sans-abris vivant sur les quais de Seine, entre le pont Marie et la gare d’Austerlitz. Comme nous l’explique Marcus, jeune malien délégué du collectif des jeunes du parc de Belleville : « Ils ont expulsé les campements des jeunes en bords de Seine en disant qu’ils ne peuvent pas être responsables d’un drame en cas d’inondation. Mais le drame est déjà là, les jeunes sont à la rue depuis des mois. »

Comme d’habitude, aucune solution de relogement n’a été proposée à ces jeunes qui, après s’être rassemblés sur la place de l’hôtel de ville pour protester, ont été contraints de dormir à la rue, sans tentes et à même le sol. Suite à cette énième expulsion, une centaine de jeunes organisés au sein du Collectif des jeunes du Parc de Belleville ont occupé le Cent Quatre, un lieu culturel du nord de Paris, pour exiger de la mairie de Paris l’hébergement inconditionnel de tous les jeunes jetés à la rue. Après deux jours d’occupation, les jeunes ont obtenu la réquisition de quatre lieux et 165 places d’hébergement d’urgence.

En France, plusieurs milliers de mineurs isolés dorment chaque soir à la rue, et sont contraints de vivre dans des conditions indignes. Suite à un parcours migratoire souvent long et périlleux, ils sont des centaines à être exclus des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance à leur arrivée en France, leur âge étant remis en cause par les services du département après une « évaluation de minorité » expéditive et suspicieuse. C’est notamment le cas de Marcus : « Quand je suis arrivé à Paris, j’ai fait une demande de minorité qui n’a pas été reconnue. J’ai fait un recours devant le tribunal de Paris, j’attends toujours mon audience. Depuis l’évaluation de minorité je n’ai pas été pris en charge. Alors je me suis retrouvé à la rue, comme tous les jeunes qui se font refusés. »

Dès le refus de minorité, les jeunes sont livrés à eux même. Marcus explique : « Comme tous les autres jeunes, je suis arrivé en France sans famille. Je ne connais personne dans ce pays. Alors quand on refuse ta prise en charge, la seule solution c’est les campements ». Ces centaines de jeunes à la rue sont quotidiennement soumis au harcèlement de la police qui les réveille en pleine nuit pour démanteler les campements installés dans les endroits où ils trouvent refuge.

Ces derniers mois, ces expulsions inhumaines se sont largement intensifiées. Les associations d’aide aux mineurs isolés dénoncent un « nettoyage social » à l’approche des JO. Cette répression s’inscrit dans une politique plus large de chasse aux pauvres et aux migrants partout en France, dans laquelle l’État, doté d’outils légaux toujours plus répressifs, n’hésite pas à expulser de centres d’hébergement des centaines de personnes dont des familles entières avec mineurs.

Face à ces pratiques indignes, de nombreux jeunes ont décidé de s’organiser en collectifs au sein de leurs campements. Déterminés, ils multiplient les actions pour engager un bras de fer avec les mairies et exiger un hébergement pérenne et des conditions de vie dignes.

Logement, santé, école et papiers pour tous : les revendications des jeunes migrants en lutte

Depuis plusieurs mois, les jeunes migrants à Paris s’organisent au sein des campements. Ils élisent des délégués qui portent leur voix face aux administrations et organisent des assemblées générales toutes les semaines. Ces différents collectifs nouvellement créés se sont alliés pour frapper ensemble et faire valoir leurs droits autour de revendications communes : logement, santé, école et papiers pour tous.

Leur alliance permet d’imposer un rapport de force toujours plus important et d’arracher des victoires face à l’État. Lors de l’occupation du Cent Quatre, des délégués et jeunes de différents campements parisiens étaient mobilisés pour obtenir l’hébergement de leurs camarades expulsés des quais. « Face à l’État il faut rester ferme et imposer un rapport de force. Ils disent toujours qu’il n’y a pas de places, pas de solutions, mais c’est faux il y a de l’hébergement, il y a de l’argent. Pour les faire plier, on a fait un bras de fer, on leur a dit : si vous ne trouvez pas de place, on ne quitte pas. On appelle tous les jeunes de Paris qui dorment sous les ponts, dans les campements et on campera tous ici » affirme Marcus. 

C’est au sein du campement de Saint-Merri dans le 4ème arrondissement de Paris que ce dernier a décidé, avec d’autres, de relever la tête et de s’organiser en collectif pour revendiquer ses droits. En décembre dernier, ils ont formé une délégation de 8 jeunes du campement, accompagnés de 3 soutiens, pour interrompre les vœux d’Anne Hidalgo et dénoncer l’hypocrisie de la mairie : « Vous dites que la ville de Paris est une ville d’accueil et d’intégration, on ne vous croit pas ! » Suite à cette action, la mairie de Paris a réquisitionné le soir même un gymnase de 150 places : « On a vu que c’est la lutte qui paye . C’est par la lutte qu’on sortira tous les jeunes de la rue ».

En septembre dernier, 475 jeunes qui dormaient dans le parc de Belleville ont commencé à s’organiser avec le soutien du Collectif Paris 20ème Solidaires. Le 19 octobre dernier, alors qu’ils négociaient avec la mairie du 20ème pour obtenir des solutions d’hébergement, ils ont fait l’objet d’une rafle organisée par la préfecture de police. Officiellement présentée comme une opération de « mise à l’abri », la police a en réalité procédé à l’évacuation du parc de Belleville, et dispersé les centaines de jeunes dans différents centres d’hébergement, avant de tous les remettre à la rue trois semaines plus tard. « La stratégie de l’État et de la préfecture c’est de disperser les jeunes. Quand ils les ont remis à la rue, les jeunes étaient dispersés, tout le monde partait dans des campements différents parce qu’ils n’avaient plus de tentes (gare de Lyon, pont Marie…) ». 

Alors qu’ils étaient dans l’attente d’une réponse du juge des enfants pour faire reconnaître leur minorité, la préfecture est même allée jusqu’à pousser tous les jeunes à déposer des demandes d’asile ou de titres de séjour comme s’ils étaient majeurs. C’est suite à leur expulsion des centres d’hébergement après quelques semaines que les jeunes se sont organisés au sein du Collectif des jeunes du parc de Belleville, afin de ne pas céder aux tentatives de division de l’État, et en vue d’instaurer un vrai rapport de force avec les mairies.

Ensemble, ces collectifs ont mené plusieurs actions, comme l’occupation de l’académie du climat le 6 février dernier, qui a conduit à l’hébergement de 177 jeunes. Au total, depuis novembre dernier leurs actions ont permis la mise à l’abri de plus de 400 jeunes.

Une bataille contre la mairie de Paris et l’État

« La mairie nous dit qu’on n’est pas reconnaissant, qu’on ne dit pas du bien sur eux alors qu’ils nous ont trouvé des places. Bien sûr que nous ne sommes pas reconnaissants. D’accord ils hébergent des centaines de jeunes mais c’est des miettes. 450 places c’est rien devant les centaines de jeunes encore à la rue. Ils ne doivent pas être fiers de ça. » explique Marcus.

Alors que des milliers de jeunes sont à la rue dans toute la France, les solutions d’hébergements octroyées par les mairies pour quelques semaines voire quelques jours se font souvent dans des conditions scandaleuses. Les jeunes hébergés dans des gymnases réquisitionnés ne peuvent y rester que pour la nuit. Dès 8h45 le matin ils sont mis dehors par les agents de sécurité et ne peuvent revenir qu’à 18h45. Qu’il pleuve ou qu’il neige, ils doivent passer la journée dehors.

Marcus dénonce le traitement des jeunes dans ces hébergements et lutte pour des conditions dignes : « Deux jeunes du campement de Porte de Clichy hébergés dans un gymnase étaient malades, ils ne pouvaient pas sortir à 8h45, ils pouvaient à peine marcher et la sécurité refusait d’envoyer une ambulance. Les autres jeunes hébergés dans le gymnase se sont mobilisés. Ils étaient unis. Ils disaient qu’ils ne sortiraient pas s’il n’y avait pas de solution pour les amis malades. Une nouvelle fois, grâce au rapport de force, l’ambulance est arrivée. La mairie a aussi placé des jeunes dans un centre d’hébergement avec des majeurs à la Vilette. Certains adultes étaient instables, les jeunes avaient peur. Ils ne supportaient pas. Le système sanitaire était insalubre. »

L’enjeu reste en effet de réussir à obtenir des solutions d’hébergement pérennes, pour tous les jeunes à la rue, dans de bonnes conditions, et pas seulement des mises à l’abri précaires et temporaires. Samedi dernier, pendant l’occupation du Cent Quatre, la mairie avait promis d’amener aux jeunes des matelas et des couvertures, mais les a en réalité laissé dormir à même le sol et dans le froid. Les portes du lieu ont ensuite été fermées pour ne pas permettre à d’autres jeunes de bénéficier d’une mise à l’abri.

Plus largement, ces jeunes ont conscience qu’ils s’affrontent aux politiques racistes et répressives de l’État : « On fait face à un système raciste, fasciste, impérialiste. Ils veulent une domination sur tout le monde. Et particulièrement sur nous les migrants, les arabes, les sub-sahariens. Nous sommes toujours stigmatisés. On est mis de côté. Si on se lève pas et qu’on ne se bat pas on sera toujours piétiné par le système. » C’est pourquoi, depuis le mois de décembre, ils ont également organisé des cortèges aux côtés des collectifs de sans-papiers dans les manifestations contre la loi immigration et participé à différentes AG.

Pour Marcus, la mobilisation est primordiale pour dénoncer les conditions honteuses des jeunes et gagner la lutte : « Il faut qu’on se batte, que ça soit avec les sans-papiers, avec les syndicats, avec toutes les organisations. On fait des cortèges dans les manifestations depuis le mois de décembre 2023 aux côtés des sans-papiers pour visibiliser notre situation et montrer au monde entier ce que la France fait aux jeunes qui arrivent sur le territoire. Le gouvernement dit que la France est là pour tout le monde, qu’elle est humaniste. Mais c’est faux, on est des milliers à la rue ». Un mode d’action qui s’est exprimé le 8 mars dernier, pour lequel les jeunes migrants organisés avaient constitué un cortège.

Aujourd’hui, plusieurs jeunes ont été hébergés grâce à la lutte, mais d’autres ont été remis à la rue après quelques semaines. Pour Marcus et tous les jeunes migrants, l’exemple est là : la lutte paye. La mise à l’abri des 165 jeunes après l’occupation du Cent Quatre est une victoire, mais la lutte continue pour un hébergement stable, et pour tous les autres mineurs qui dorment toujours dehors.

Les jeunes appellent plus largement les lycéens français, les étudiants, le mouvement ouvrier à se mobiliser à leurs côtés : « La jeunesse et surtout la jeunesse révoltée, ça fait peur à l’État ! » Face à cette politique raciste et anti-pauvres, et alors que des milliers de logements sont vides, il est urgent que les organisations syndicales, politiques, associatives fassent front pour revendiquer la réquisition des logements vides, la prise en charge inconditionnelle de tous les mineurs à la rue, et plus largement l’accueil et la régularisation de tous les sans-papiers !

Pour soutenir les mineurs isolés du parc de Belleville, contribuez à leur cagnotte en ligne


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