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Education Nationale

« C’est du jamais vu » : une rentrée de pénurie de personnel médico-social à l’école

En cette rentrée marquée par les attaques islamophobes et sexistes à l’encontre des élèves, de nombreux établissements doivent assurer la reprise avec des moyens toujours plus réduits, notamment dans le médico-social. Témoignages.

Andrea Desideri

7 septembre 2023

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« C'est du jamais vu » : une rentrée de pénurie de personnel médico-social à l'école

Crédits photo : Ville de Gennevilliers - Flickr

Alors que le gouvernement a entamé la rentrée avec une offensive islamophobe et sexiste à l’encontre des élèves au travers de l’interdiction des abayas et des qamis, le retour du personnel de l’Éducation Nationale dans les salles de classes est quant à lui marqué par l’absence de moyens pour assurer une reprise décente. Bien loin de la promesse du nouveau ministre Gabriel Attal, qui affirmait qu’il y aurait « un enseignant devant chaque élève » à la rentrée, près de 2000 postes d’enseignants n’étaient toujours pas pourvus le 4 septembre. Un sous-effectif qui concerne l’ensemble des équipes pédagogiques, notamment le personnel médico-social, dont l’absence commence déjà à se faire sentir.

Des équipes médico-sociales en sous-effectif, voir complètement vides

En terme d’effectifs médico-sociaux, « c’est la pire rentrée que j’ai vue ». Les premiers jours de la reprise passés, Martine*, psychologue dans le premier degré en Seine-et-Marne, donne le ton. « Sur la première circonscription où j’exerce, on est censées être quatre psychologues : il en manque une. Sur Melun, il devrait y avoir cinq psychologues, il en manque trois. Il n’y a plus d’infirmières de PMI pour les classes de moyenne et de grande section sur toute la circonscription. Nous sommes en sous-effectif dans la plupart des secteurs, je crois qu’il manque 33 postes de psychologue de l’EN dans le 77, juste dans le premier degré. Et il n’y a plus qu’une infirmière sur les trois collèges et lycées de mon secteur. »

Une situation qu’on constate à tous les niveaux, du premier degré aux lycées : soit les effectifs sont en deçà du nombre d’élèves accueillis dans l’établissement, comme c’est le cas au lycée René Cassin à Gonesse (95), où «  une infirmière a été nommée mais il en manque encore une, on a donc une infirmière pour 1700 élèves » selon Elise*, enseignante de philosophie, soit les infirmières, assistantes sociales et les psychologues sont totalement absentes des effectifs, comme c’était le cas au collège Diderot à Aubervilliers à la rentrée. Pour Sylvain, assistant pédagogique sur place, c’est seulement « suite à la gueulante poussée le premier jour par les syndicats qu’une psy EN a été notée et que l’assistante sociale devrait bientôt arriver », dans un établissement accueillant 550 élèves dont une classe d’UPE2A (élèves non francophones arrivés nouvellement en France).

En tête de liste des absents à la reprise, on retrouve également les Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap (AESH). Alors que Gabriel Attal avait annoncé, lors de sa première conférence de presse de rentrée, qu’il souhaitait embaucher 6500 AESH, ces derniers manquent toujours à l’appel dans de nombreux établissements. C’est le cas au collègue Iqbal Massih, situé à Saint-Denis (93), où « les élèves en situation de handicap qui ont des dotations spécifiques, besoin d’accompagnement, se retrouvent sans accompagnateur ou accompagnatrice à la rentrée  » raconte Anaëlle, enseignante dans l’établissement.

Un manque de moyens qui s’approfondit d’année en année, et qui impacte en premier lieu les élèves et le personnel restant

Si la pénurie de personnel n’est pas nouvelle, elle s’est notamment approfondie depuis la crise sanitaire du Covid-19 et le manque de moyens alloués au secteur de la santé. Plus le mépris et le manque de reconnaissance du gouvernement se fait sentir, plus les difficultés de recrutement augmentent : chaque rentrée est pire que la précédente. Elise* raconte ainsi : « Le proviseur ne sait pas quand l’infirmière et l’assistante sociale arriveront, donc c’est un flot énorme à gérer pour le personnel restant. Il a balancé à la rentrée que l’année dernière "elle était arrivée en décembre", donc personne ne sait rien ».

Mathématiquement, avec une augmentation constante du nombre d’élèves accueillis mais un recul de moyens et de personnel, ce sont ceux qui restent qui trinquent. « Ça affecte la santé des élèves et des personnels parce que quand les enfants sont malades, qui est-ce qui doit faire le travail d’infirmières, c’est les CPE, les AED ! L’année dernière, dans un autre établissement, quand les élèves se sentaient mal, c’était nous qui devions nous occuper d’eux alors qu’on n’a pas du tout la formation », témoigne un assistant d’éducation. Du côté des assistants pédagogiques, même son de cloche. Sylvain explique en effet : « ils sont tellement en manque de personnel qu’on m’a même proposé d’être AESH dans plusieurs établissements alors que je postulais pour être AED et que je n’ai absolument pas les compétences requises pour faire ce métier !  ».

Pourtant, le personnel médico-social joue un rôle essentiel auprès des élèves : au-delà de leurs compétences de soin et d’écoute, ils sont aussi des adultes référents et de confiance pour des élèves qui vivent potentiellement des situations graves au sein de l’établissement ou de leur environnement familial (harcèlement, violences sexistes et sexuelles, précarité…). En leur absence, ce sont les adultes restants qui doivent assumer cette tâche sans y être formés. Selon Élise*, c’est un stress pour les personnels « parce que c’est sur nous que ça retombe, les professeurs, qui devront palier le manque de soin médico-social. Pour les élèves c’est compliqué, pour les suivis psy il faudra voir sur le long terme mais c’est toujours un souci car il y a une absence de dialogue pour écouter leurs souffrances  ».

Et pour les élèves en situation de handicap, c’est la double peine. Alors que Martine* explique que « le nombre de dossiers de handicap explose », le manque d’AESH pèse lourdement sur l’accompagnement des élèves : « ils sont laissés seuls en classe et sont noyés dans la masse, alors qu’on a des élèves avec des profils d’autisme ou de troubles spécifiques qui ne sont pas du tout accompagnés, et qui vont être en souffrance toute leur scolarité » développe Anaëlle. Pour elle, « le manque de psys et d’assistantes sociales décuple aussi le harcèlement scolaire ».

Dans des établissements dont les équipes pédagogiques tombent en ruine, la rentrée est synonyme de stress et de violence à l’encontre des élèves et de leurs familles. Dans ce sens, Martine* conclut sur « la maltraitance institutionnelle » que génère l’absence de moyens : « les élèves qui relèvent du poly-handicap avec assistance médicale se retrouvent avec une école démunie, des AESH qui démissionnent et la psychologue scolaire qui rame à accompagner cinq familles sur une semaine. Ce qui génère une énorme violence dans la rencontre avec les familles, surtout parce que les familles qui n’en ont pas les moyens ne feront pas de démarche et ne vont jamais aller à l’encontre de ce système.

Abayas : diversion ou nouveau témoignage de l’islamophobie d’État ?

Si la rentrée médiatique s’est focalisée sur l’interdiction des abayas et des qamis promulguée par le gouvernement à la veille de la reprise, Élise* est formelle : « Les attaques contre les abayas ne sont pas des diversions, ce sont des attaques concomitantes : d’une part, il y a la casse de l’Éducation Nationale sur les moyens qui dure depuis plusieurs décennies, engagée par les politiques néolibérales et de l’autre côté, ce qui se passe avec les abayas c’est la continuité d’attaques sexistes, racistes et islamophobes. Il ne faut pas dire que c’est une diversion comme les syndicats, il faut prendre ces deux attaques comme conjointes  ». Même réaction du côté de Stacy*, car pour elle « le lien entre toutes ces attaques c’est le reflet d’établissements complètement délaissés par le gouvernement. En banlieue, c’est toujours la même chose : il manque de personnel et c’est aussi là-bas qu’il y a plus de personnes qui peuvent porter l’abaya, donc ça représente une gestion raciste et islamophobe qui vise à empêcher les femmes musulmanes d’étudier ».

Martine*, elle, fait directement le lien : « Dans le premier degré, la problématique raciste, sexiste, xénophobe n’est pas au centre : elle est davantage cachée, car on n’y opprime pas encore ouvertement le corps des élèves à travers leurs tenues vestimentaires désignées comme porteuses de la religion musulmane. Mais 9 fois sur 10, les AESH sont des femmes racisées sous-payées, surexploitées, à qui on donne la lourde charge de s’occuper d’enfants en situation de handicap lourd sans aucune formation ». Face à la rentrée catastrophique à tous les niveaux dans l’Éducation Nationale, la grève du lycée Utrillo contre l’islamophobie et le manque de moyens est pour elle « un exemple à suivre ». « C’est le reflet du fait que des établissements peuvent s’emparer de toutes les contestations et relever la tête en faisant grève, et tous les établissements doivent le faire. Chez nous, la grève est aussi au goût du jour. ».

La mobilisation du personnel du lycée Utrillo représente une première réponse qui « ne doit pas rester lettre morte », selon Élise* : « Il faut que tous les établissements continuent de parler de cette mesure contre l’abaya, fassent des HIS, des AGs, proposent des communiqués, et qu’il y ait une mobilisation contre toutes les politiques de casse de l’éducation et contre les attaques racistes, islamophobes, et sexistes ». Un point de vue partagé par Anaëlle, qui constate amèrement e l’absence de politique offensive venant des directions syndicales pour « contrer l’islamophobie ambiante, réclamer plus de moyens à la fois médico-sociaux, mais aussi matériels et humains via des embauches. Pourtant, c’est la responsabilité des organisations syndicales de porter un plan offensif face à la destruction organisée du secteur ». Une mobilisation qu’il faut s’atteler à construire dès maintenant dans l’ensemble du secteur. Comme le conclut Stacy, « il ne faut pas baisser la tête ! ».


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