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Ukraine

Avdiivka, une défaite militaire et politique pour Zelensky

Le retrait de l’armée ukrainienne d’Avdiivka représente un revers important. Mais malgré les avancées russes il est encore trop tôt pour dire si cela suffira à changer le rapport de force général de la guerre, qui continue d’avancer dans une impasse.

Philippe Alcoy

19 février

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Avdiivka, une défaite militaire et politique pour Zelensky

Crédits photo : BBC

Après plusieurs mois de combats, l’armée ukrainienne annonçait, ce samedi 17 février, son retrait de la ville d’Avdiivka, près de Donetsk, à l’est du pays. Cette ville ouvrière qui comptait autour de 34 000 habitants avant la guerre, est devenue un point stratégique au cours des combats. Sa chute rappelle celle de Bakhmout en mai 2023. Cependant, son importance stratégique serait plus grande et, à la différence de Bakhmout, le haut commandement ukrainien semble avoir décidé cette fois d’épargner des ressources matérielles et les vies de ses soldats. Tout indique que les forces ukrainiennes adopteront une posture défensive, les espoirs de la contre-offensive étant déjà très loin.

En effet, la chute d’Avdiivka était prévisible depuis plusieurs semaines. L’armée ukrainienne se trouve dans une situation difficile où elle est à court de munitions pour faire face aux attaques répétées de l’armée russe ; en outre on commence à percevoir la fatigue des soldats au front, sans mentionner les pertes élevées : en août dernier des experts nord-américains estimaient que 75 000 soldats avaient été tués, sur une force combattante d’environ 200 000.

C’est pourquoi l’Ukraine choisit une position défensive à même d’infliger le plus de dommage possible à l’armée russe et de l’épuiser. Le journal Le Monde souligne ce changement tactique : « si la reconquête des zones annexées ou occupées depuis 2014 – qui représentent encore 18 % du territoire ukrainien – reste l’objectif affiché, l’heure n’est plus aux manœuvres mais à l’usure des forces russes, en attendant l’hypothétique arrivée de nouveaux matériels pour reconstituer une capacité offensive ». Autrement dit, l’Ukraine commence peut-être à renoncer officiellement à l’ambition de reconquérir le territoire perdu tout en tentant, dans le même temps, d’épuiser la Russie en vue de renforcer les positions en vue d’éventuelles négociations.

Cependant, la chute d’Avdiivka reste une défaite militaire et politique pour le camp ukrainien qui comporte beaucoup de risques. En effet, elle advient quelques jours après que le président Volodymyr Zelensky a remplacé le populaire général Valery Zaloujny par le général Olexandr Syrsky au poste de commandant en chef des armées. Un changement dans la direction militaire de la guerre qui se produit au milieu d’une situation politique délicate pour Zelensky, dans laquelle apparaissent quelques signes de mécontentement à l’égard du gouvernement, rompant avec le consensus et « l’unité national » des premiers temps de la guerre.

The Economist cite l’analyste Mykola Kapitonenko qui résume la situation : « la chute d’Avdiivka est également un coup dur pour M. Zelensky personnellement parce que le général Syrsky est considéré comme relevant directement de lui. Le général conserve peu d’autonomie, contrairement à son prédécesseur, le général Valery Zaloujny. En mai, le mandat de M. Zelensky prendra officiellement fin, mais il restera à la tête du pays, car les élections ne peuvent avoir lieu sous la loi martiale. Cela permettra néanmoins à la Russie et à un nombre croissant de ses détracteurs de remettre en question sa légitimité. M. Kapitonenko estime qu’il n’y a pas de menace immédiate pour M. Zelensky, mais qu’avec le temps, "la crise s’aggrave" ».

La chute d’Avdiivka peut également galvaniser les troupes russes et au contraire affaiblir le moral des combattants ukrainiens mais aussi de la population ukrainienne. En effet, avant même de la chute d’Avdiivka, on constatait une certaine fatigue chez Ukrainiens. Ainsi le magazine Time, dans un article assez « pessimiste », cite un sondage indiquant qu’en janvier 2023 seulement 29% des Ukrainiens soutenaient l’ouverture de négociations avec la Russie pour mettre fin à la guerre, alors qu’en novembre 2023 ce chiffre s’élevait à 42%. Un autre facteur, cité dans l’article pour montrer la désaffection d’une partie de la population à l’égard de la guerre, est celui de la désertion : « le mécontentement se manifeste par le nombre croissant d’hommes en âge de servir dans l’armée qui sont surpris en train d’essayer de quitter clandestinement l’Ukraine pour éviter d’être appeler sous les drapeaux. Certains ont payé des milliers de dollars à des passeurs pour être conduits à travers la frontière occidentale, parfois cachés dans des tissus d’ameublement. En août, M. Zelensky a licencié tous les recruteurs militaires qui ont accepté des pots-de-vin de la part de ceux qui tentaient d’échapper au service militaire. Mais la vérité dérangeante est que des dizaines de milliers de personnes sont soupçonnées d’avoir agi de la sorte ».

Si cela ne signifie pas que la population ukrainienne accepterait de perdre autour de 20% du territoire du pays, les difficultés économiques et les souffrances imposées par la guerre commencent à peser lourd et cette situation d’impasse est de moins en moins tenable. Pour Zelensky, il y a un enjeu survie politique et de pression. Il est très risqué de prédire avec exactitude les contours de l’Ukraine après la guerre : le pays est cependant lourdement endetté, détruit et extrêmement dépendant, militairement et économiquement, des puissances impérialistes occidentales. Pour Zelensky poursuivre la guerre est également une façon de gagner du temps face à ces difficultés et à ces pressions internes.

À cette situation s’ajoutent les incertitudes liées aux élections nord-américaines et à la continuité de « l’aide » militaire et financière occidentale (notamment de la part des Etats-Unis où un paquet d’aide de 60 milliards de dollars est bloqué par les Républicains). Mais ces dernières semaines ont été marquées également par un renforcement des discours bellicistes de la part de plusieurs dirigeants européens qui évoquent de plus en plus ouvertement la possibilité d’un conflit avec la Russie dans la prochaine décennie.

Tout cela ne veut pas dire que la Russie ait réussi à briser l’équilibre de forces en sa faveur, malgré une position actuellement favorable. La guerre est loin d’être résolue. L’armée russe a perdu beaucoup de matériels et de soldats au cours de ces deux dernières années. Les puissances occidentales sont en difficultés actuellement pour fournir l’Ukraine en armement lourd, en obus, mais la situation pourrait changer, notamment si l’Ukraine réussit à bien articuler sa position défensive, épuisant l’armée russe, ce qui favoriserait les intérêts occidentaux. Les difficultés sur le terrain de l’Ukraine montrent sa totale dépendance à l’égard des puissances impérialistes et révèlent comme celles-ci utilisent la guerre en Ukraine, non pour défendre le droit à l’auto-détermination des Ukrainiens, mais pour satisfaire leurs propres intérêts.

Ce qui semble certain c’est que le continent européen est rentré dans une spirale de militarisation. Même en cas de négociations de paix pour mettre fin à la guerre, il est certain que l’Europe deviendra une région hautement militarisée et dangereuse où des conflits de haute intensité pourraient éclater. Cela devrait être un avertissement pour la classe ouvrière et tous les secteurs opprimés du continent.


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