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Argentine. La crise des partis traditionnels ouvre la voie à l’extrême-droite de Javier Milei

Dans un contexte de crise économique historique, les primaires argentines qui se tenaient ce dimanche ont exprimé une profonde polarisation politique à droite et une colère contre la classe politique. Le candidat d'extrême droite Javier Milei en est sorti en tête, devant le candidat du gouvernement péroniste sortant, Sergio Massa. Face à l'avancée de la droite et de l'extrême droite, l’extrême-gauche du FIT-U devient la seule coalition politique à s'opposer à l'austérité et au FMI aux prochaines élections.

Julien Anchaing

15 août 2023

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Argentine. La crise des partis traditionnels ouvre la voie à l'extrême-droite de Javier Milei

Crédits photo : La Izquierda Diario

Ce dimanche en Argentine a été marqué par les élections primaires, ouvertes, simultanées et obligatoires (PASO). Celles-ci permettent de choisir les candidats qui pourront se présenter aux élections d’octobre prochain mais également de départager les candidats à la candidature au sein des différentes formations politiques. Parmi les 17 candidats présents aux PASO, seules 5 coalitions politiques pourront se présenter aux élections générales d’octobre.

Les résultats annoncés dimanche soir ont exprimé une profonde polarisation politique dans le pays, avec la droite et l’extrême-droite largement en tête. Des résultats qui ont surpris la majorité des journalistes et commentateurs télé hier soir. Le candidat Javier Milei emporte en effet l’élection avec près de 30% des voix. Un énorme succès pour cet économiste d’extrême-droite ultra-libéral, se revendiquant « libertarien », qui s’est fait connaître à la télévision pour son tempérament colérique, ses sorties virulentes contre la « caste » mais aussi contre les droits des femmes ou les aides aux chômeurs. Il est suivi de près par la coalition de droite Juntos Por el Cambio (JxP) qui obtient 28% et au sein de laquelle l’emporte Patricia Bullrich, qui représentera la droite lors des élections d’octobre.

De son côté, le parti péroniste au pouvoir qui avait présenté le ministre de l’Économie Sergio Massa, censé être le favori des élections présidentielles, fait face à une crise profonde. Si Massa l’a largement emporté dans les élections internes contre Juan Grabois, la Union por la Patria (UxP) n’obtient que 27% des voix. L’extrême-gauche du Frente de Izquierda y des los Trabajadores – Unidad (FIT-U) recueille de son côté 2,7% des voix à l’échelle nationale, la liste emmenée par Myriam Bregman (PTS) remportant largement les élections internes du FIT-U contre celle portée par Gabriel Solano (Partido Obrero) devenant seule force politique nationale qui s’opposera en octobre aux plans austéritaires que soutiennent l’ensemble des autres candidats.

Une élection marquée par la capitalisation par la droite de la profonde colère sociale

Ces résultats, et en particulier les 30% des voix recueillis par Javier Milei, donnent une idée de la profondeur de la crise économique et les conséquences de celle-ci sur le panorama politique. Derrière le raz-de-marée réactionnaire, c’est le mal-être social et politique qui touche des millions d’argentins qui s’est exprimé ce dimanche, en même temps que la profonde crise des coalitions historiques de gouvernement du pays. JxC, à droite, et surtout UxP, la coalition péroniste au pouvoir. Ces derniers payent les conséquences d’une crise sociale et économique dont ils ont l’entière responsabilité, et qui s’est traduite par une baisse constante du salaire réel du fait d’une inflation galopante et une augmentation importante du taux de pauvreté ces dernières années, dégradant profondément les conditions de vie de la population et des travailleurs.

Cette force qui parlait d’un retour « aux jours heureux » avec l’arrivée au pouvoir de Alberto Fernandez en 2019 a mené une politique caractérisée par une accumulation des mesures austéritaires et une baisse générale des salaires moyennant la dévaluation de la monnaie, dans le cadre d’une subordination totale au FMI qui impose au pays endetté une politique ultra-libérale. Dans le même temps, le péronisme a joué un rôle de contention important de la colère sociale au travers de son poids sur les principales organisations syndicales, empêchant que les travailleurs et populations puissent s’exprimer dans la rue, sur le terrain de la lutte des classes.

Dans ce contexte, la figure de Javier Milei a bénéficié du soutien économique et médiatique reçu depuis 2019 de la part des grands groupes médiatiques et du pouvoir économique, qui ont contribué activement à construire un climat politique extrêmement conservateur. Le succès de Milei s’inscrit en ce sens dans un tournant à droite plus large du discours politique de l’ensemble des organisations en Argentine, contribuant à faire basculer l’agenda politique en le centrant autour des questions de flexibilisation du travail, de suppression d’emplois publics et de projets de dévaluation voire de dollarisation de l’économie, qui auraient tous des conséquences désastreuses pour le pays et la population.

Sur ce plan, si un phénomène d’adhésion idéologique est indéniable dans un secteur de la jeunesse, il existe un décalage évident entre les votes pour Javier Milei et le soutien réel à son programme économique et ultra-réactionnaire. Un décalage qui peut être perçu au travers de l’écart entre le résultat du candidat pour les élections présidentielles (30%) et celui de ses députés provinciaux, témoignant d’un primat du dégagisme et de la volonté de sanctionner les coalitions politiques qui ont mené le pays à la crise dans ce phénomène électoral. A ce titre, l’ascension de Milei va de pair avec un renforcement de l’abstention.

Comme l’explique Eduardo Castilla pour La Izquierda Diario : « en termes idéologiques, le vote pour Milei exprime la croissance d’une idéologie individualiste dans des secteurs de la société. C’est, dans une certaine mesure, un résultat logique. Durant toutes ces années, les organisations syndicales et sociales n’ont pas été un moteur pour donner un débouché aux revendications économiques et sociales. Au contraire, ils ont été un obstacle pour donner une solution à ces demandes.En revanche, il ne s’agit pas d’une adhésion ouverte au programme d’austérité porté par la droite par l’ensemble de ses électeurs. »

L’extrême-gauche se prépare pour octobre comme seule force d’opposition aux politiques austéritaires, à la droite et au FMI

Après le décompte des voix de ce dimanche, l’extrême-gauche du Frente de Izquierda y de los Trabajadores – Unidad (FIT-U) enregistre près de 630 000 voix et un résultat de 2,7% aux primaires présidentielles. La bataille interne pour représenter l’espace du FIT-U entre le Partido de los Trabajadores Socialistas (PTS, organisation sœur de Révolution Permanente en Argentine) et Izquierda Socialista d’un côté, et, de l’autre, le Partido Obrero et le Movimiento Socialista de los Trabajadores donne Myriam Bregman (PTS) gagnante à 70% contre Gabriel Solano (PO).

Ainsi, le ticket Myriam Bregman – Nicolas del Caño qui se présentera aux élections en octobre apparaît comme la seule proposition politique qui s’oppose aux plans d’austérité des gouvernements de JxC et de l’UxP qui ont, chacun leur tour, gouverné pour le FMI et pour les grands groupes économiques. Mais c’est aussi le seul projet à rappeler clairement que le débat qui traverse aujourd’hui les élites argentines, de Milei à Massa, est avant tout un débat sur les modalités des attaques à mener contre la classe ouvrière et la population en Argentine. Enfin, seul le FIT-U présente un véritable plan d’urgence pour sortir de la crise, à commencer par la sortie du FMI et le rejet de la dette extérieure, la défense d’un véritable partage du temps de travail, l’opposition à la spoliation des richesses et des ressources naturelles du pays comme le Lithium aux grands groupes étrangers ainsi que la défense des droits des femmes contre l’agenda réactionnaire de la droite et de l’extrême droite.

Comme l’a rappelé Myriam Bregman lors de la conférence électorale organisée à la suite de la publication des résultats, hier soir « nous sommes la seule liste qui sera présentée en octobre et qui s’opposera aux candidats du FMI et les politiques austéritaires et de répression. Pour nous, c’est un énorme défi. Notre défi sera de défendre l’agenda des femmes, les revendications socio-environnementales des communautés originaires et de celles et ceux qui se lèvent chaque jour pour travailler ». A l’image de la lutte des derniers mois à Jujuy, contre la réforme constitutionnelle autoritaire du gouverneur de droite Gerardo Morales, où ses députés ont joué un rôle en première ligne, le FIT-U entend défendre la nécessité d’une riposte ouvrière face à la crise, en poursuivant la construction d’un pôle d’indépendance de classe face aux gouvernements austéritaires de la droite et du péronisme.


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