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Solidarité internationaliste

Argentine. L’échec de Javier Milei au Congrès, une victoire pour la rue

L’échec du projet de loi omnibus est une déroute politique d’ampleur pour le gouvernement Milei, dont toutes les faiblesses institutionnelles ont été exposées. Elle est aussi une victoire pour la rue argentine, dont les mobilisations ont rappelé le caractère anti-populaire du projet de loi.

Julien Anchaing

8 février

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Argentine. L'échec de Javier Milei au Congrès, une victoire pour la rue

La défaite de Javier Milei et le retrait de son projet de loi ultra austéritaire constituent une crise politique majeure pour un gouvernement qui termine à peine ses deux mois de mandat. L’un des pans essentiels de son projet politique depuis son arrivée au pouvoir le 10 décembre dernier, la loi dite « omnibus », avait pour objectif d’imposer une délégation des pouvoirs législatifs à l’exécutif dans un ensemble de sphères (économique, financière, énergétique, sécuritaire, tarifs des services publics etc.) ainsi qu’un tournant austéritaire très dur dans le pays, avec la privatisation d’une partie essentielle des entreprises publiques nationales dans les mains du capital international et du grand patronat argentin. Multipliant les échecs dans les négociations avec une partie de l’opposition conciliatrice, le gouvernement a fini par retirer de lui-même sa réforme plutôt que de voter une loi trop éloignée de ses ambitions de base, voire une coquille vide.

Cet échec a mis en évidence une problématique structurelle à laquelle doit faire face le président argentin. Comme le rappelaient Fernando Rosso et Jean Baptiste Thomas dans une interview pour RP Dimanche, le « Milei de campagne » tronçonneuse à la main et se félicitant de ses 56% d’électeurs au second tour de la présidentielle ne pourra pas cacher les faiblesses du « Milei de gouvernement ». Sa minorité parlementaire au Congrès et au Sénat et l’absence d’ancrage provincial au sein des gouvernorats le rendent profondément dépendant de certains secteurs de l’opposition. L’échec de la loi omnibus en est la démonstration. Une crise qui pourrait s’élargir alors que Milei joue d’une certaine manière « contre la montre » et que sa popularité pourrait se fragiliser dans son électorat populaire, touché par la crise économique et l’inflation.

Au Congrès, l’extrême-droite seule face à ses contradictions

Les étapes du cheminement parlementaire de la loi omnibus sont symptomatiques des contradictions du gouvernement. En à peine un mois, la loi omnibus est passée d’un clinquant projet de 664 articles pour déstructurer et déréguler profondément l’économie argentine, au bénéfice du grand capital international et avec le soutien du FMI, à un cauchemar législatif pour le gouvernement.

Milei a cherché avec son Parti La Libertad Avanza à se lier à de nombreux secteurs de l’opposition dite « dialoguiste » de la droite traditionnelle et péroniste, notamment les anciens macristes et les péronistes de droite, sous la direction de plusieurs gouverneurs de provinces centrales comme Cordoba ou Salta. Les négociations secrètes organisées dans un hôtel en face du Parlement, en toute illégalité, ont été largement dénoncées par la gauche révolutionnaire et notamment par les députés du Front de Gauche et des Travailleurs – Unité.

Tout au long du processus parlementaire, la tension entre la LLA (parti de Milei) et les députés « dialoguistes » n’a fait que monter crescendo. Alors que le gouvernement s’était attelé à négocier avec eux, il a cherché en parallèle par tous les moyens à ne céder aucun élément majeur de son projet d’« équilibre fiscal » et de privatisation des entreprises publiques. Une politique qui aurait aggravé profondément les conditions de vie des travailleurs les plus pauvres du pays, mais qui mettait aussi des bâtons dans les roues de certains secteurs de la bourgeoisie argentine comme l’agrobusiness ou encore dans les budgets des gouvernorats de province.

Cette situation a fini par rompre les accords obtenus avec l’opposition « dialoguiste » dont la préoccupation a toujours été au long de ce processus de donner de la gouvernabilité à Milei et de l’aider à appliquer son programme, mais dans le respect des intérêts de l’ensemble des secteurs des classes dominantes. Au soir du retrait de la loi par le gouvernement, celui-ci est allé jusqu’à publier une liste des « traîtres » parmi lesquels on retrouve des poids lourds qui s’étaient pourtant démarqués dans le soutien à Milei. Par exemple, Osvaldo Giordano, le péroniste cordobais (aile droite du péronisme) qui avait obtenu au sein du gouvernement de Milei des positions clés, notamment à la tête de la sécurité sociale, est aujourd’hui menacé d’être exclu du gouvernement. Plus encore, le gouvernement va jusqu’à menacer les gouverneurs de province d’une politique de « vengeance » sur leurs budgets. Dans tous les cas, Milei a dû faire face à la réalité crue de ses faiblesses parlementaires, dans un contexte chaotique où l’amateurisme de ses fonctionnaires a été démontré avec force.

Si Milei a d’abord opté pour un retour en commission parlementaire de l’intégralité de la loi, c’est davantage un retour à zéro, voire un abandon ouvert de la loi qui se dessine. Ce jeudi, en matinée, il expliquait : « cela ne m’intéresse plus que la loi soit examinée » et signait la mort de son projet. Une situation qui pourrait également pousser le gouvernement à utiliser des méthodes beaucoup plus radicales et bonapartistes pour éviter une paralysie totale dès son deuxième mois de mandat. Comme l’expliquait Fernando Rosso avant même sa prise de pouvoir en novembre dernier :

« [Milei] va donner lieu à l’un des gouvernements les plus faibles de ces dernières décennies, sans majorité au Parlement et avec des administrations aux mains de l’opposition dans plusieurs provinces et, surtout, dans celle, stratégique, de Buenos Aires. En outre, il suscite le ressentiment d’une partie des classes dirigeantes locales. Les cliques qui accompagnent Milei manquent d’expérience et ce dernier devra fuir le spectre qui commence déjà à le hanter : se transformer en une sorte de "Alberto Fernández de Macri", c’est à dire un président faible, dépourvu du poids politique de sa vice-présidente Cristina Kirchner puis de son ministre de l’économie Massa. »

Une défaite imposée par la rue à Milei

Des casserolades massives des 20 et 27 janvier à la journée de mobilisation et de grève nationale appelée par les directions syndicales (malgré les limites décrites dans nos colonnes), les mobilisations dans la rue avaient déjà ces dernières semaines témoigné du rejet populaire du projet de Milei. En l’absence d’un plan de bataille véritable appelé par les directions syndicales, la gauche révolutionnaire constituée autour du Front de Gauche et des Travailleurs – Unité, incluant l’organisation sœur de Révolution Permanente en Argentine, le Parti des Travailleurs Socialistes, a joué un rôle essentiel dans la mobilisation de ces derniers jours devant le Congrès.

Une mobilisation qui a permis de maintenir la pression sur Milei au sein du Congrès, mais aussi à l’extérieur. Les images qui ont été retenues à l’international, et sur la majorité des grands médias dans tout le pays, ont été celles de la répression organisée par la ministre de la Sécurité Patricia Bullrich. Alors que le Congrès débattait des articles, les regards étaient surtout tournés vers les manifestations qui se déroulaient à l’extérieur, mercredi, jeudi et vendredi dernier, et qui ont rassemblé plusieurs secteurs du cortège indépendant qui s’était mobilisé le 24 janvier dernier. Des retraités, une partie de la jeunesse, des assemblées de quartier, des travailleurs de la culture, de l’usine récupérée de Madygraf, du syndicalisme combatif et de la gauche révolutionnaire ont tenu le pavé quotidiennement pour lutter contre la loi omnibus.

Une mobilisation qui s’est tenue grâce à plusieurs semaines de préparation dans tout le pays au travers notamment d’assemblées de quartier qui ont permis de mobiliser des cortèges indépendants des directions syndicales. Ces manifestations ont permis d’incarner dans les faits la lutte pour un véritable plan de bataille face aux directions syndicales et à l’Union pour la Patrie (kirchnériste) qui dirigent encore aujourd’hui une grande partie des organisations sociales et politiques d’opposition, et qui ont sont restées totalement passives, abandonnant la rue face au Congrès.

Ainsi, si les mobilisations face au Congrès n’ont pas été massives comme celle du 24 janvier, elles ont joué un rôle central dans la démonstration du caractère profondément anti-populaire de la loi omnibus. En soulignant le décalage entre un Congrès en pleine discussion sur les mesures austéritaires qui allaient être appliquées, protégé par des milliers de policiers et gendarmes et la colère de la rue, ces mobilisations sont parvenues à créer une brèche importante pour le gouvernement. Elles ont aussi joué un rôle essentiel dans le fait de donner confiance à des milliers de travailleurs dans le pays, montrant qu’il était possible d’infliger une défaite au gouvernement de Milei. L’ovation faite aux députés de la gauche révolutionnaire à leur sortie du Congrès à l’annonce du recul de la loi omnibus a démontré à quel point la méthode du parlementarisme révolutionnaire avait eu de l’écho ces dernières semaines, mais également sa combinaison avec les méthodes de la lutte des classes dans la rue. Comme un symbole, Myriam Bregman, députée du PTS, a été ces derniers jours la représentante politique avec le plus d’écho et d’influence médiatique, notamment sur les réseaux sociaux, selon plusieurs médias nationaux.

La mobilisation et la défaite imposée à Milei sur sa loi omnibus ont montré la voie pour mettre un terme aux attaques de l’extrême droite et lui infliger une défaite. Cette mobilisation doit se poursuivre et continuer d’interpeller les directions syndicales afin de construire un véritable plan de bataille par en bas, par l’auto-organisation et la lutte contre toutes les options qui cherchent à imposer une passivité à la classe ouvrière. Si la classe ouvrière argentine parvient à infliger une défaite à Milei en l’obligeant à reculer sur son DNU et sur l’ensemble des offensives en préparation, elle pourrait devenir un exemple international de la capacité des travailleurs à mettre en déroute l’extrême-droite la plus brutale.


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