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Élections à Taïwan

À Taïwan, des élections sous tension scrutées par Joe Biden et Xi Jinping

Le 13 janvier auront lieu les élections présidentielles à Taïwan. Alors que la situation internationale est marquée par la montée des tensions entre grandes puissances, et tout particulièrement entre les Etats-Unis et la Chine, Washington et Pékin cherchent à défendre leurs intérêts respectifs.

Irène Karalis

11 janvier

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À Taïwan, des élections sous tension scrutées par Joe Biden et Xi Jinping

Trois candidats s’affronteront ce 13 janvier lors des élections présidentielles taïwanaises : l’actuel vice-président Lai Ching-te, membre du Parti Démocrate Progressiste (PDP) actuellement au pouvoir ; Hou Yu-ih, candidat du Kuomintang ; et Ko Wen-je, pour le Parti Populaire taïwanais (TPP). Parmi les questions centrales du débat, le rapport de Taïwan à la Chine est au cœur du débat, entre ceux souhaitant une aliénation toujours plus forte auprès des intérêts américains dans la région et ceux préférant un rapprochement avec la Chine.

Des élections polarisées par la question de l’attitude envers la Chine

La République populaire de Chine revendique Taïwan comme faisant partie de son territoire depuis 1949, date à laquelle la bourgeoisie chinoise, menée par Tchang Kaï-chek, fuit la révolution et se réfugie sur l’île. Depuis, le Parti Communiste Chinois (PCC) revendique la « politique d’une seule Chine » et défend la réunification des deux territoires. Selon ce principe, Taïwan est chinoise et Pékin n’entretient aucune relation diplomatique et commerciale avec des États qui ne respecteraient pas cette politique de Chine unie et qui reconnaîtrait Taïwan. Une écrasante majorité des États respecte ce principe, dont les États-Unis. Or, officieusement et depuis des décennies, les États-Unis mènent une politique « d’ambiguïté stratégique » dans laquelle, malgré leur position officielle, ils soutiennent dans les faits Taïwan, et nouent de véritables relations diplomatiques et commerciales, notamment au travers de ventes d’armes.

Dans les débats électoraux, la question de l’attitude à adopter envers la Chine est omniprésente. Lai Ching-te, du PDP, est présenté par Pékin comme un « acteur buté de l’indépendance de Taïwan » et qualifié de « pur saboteur de la paix ». Le successeur de l’actuelle présidente Tsai Ing-wen assure qu’il s’inscrira dans la continuité de la mandature précédente et respectera la position de son parti, historiquement hostile à la Chine, dont la politique indépendantiste s’est construite autour de l’affirmation d’une différence intrinsèque qui existerait entre Chinois et Taïwanais. En ce sens, le candidat a affirmé ce mardi qu’il espérait une réouverture du dialogue avec la Chine après huit ans de refus quasi total de cette dernière de communiquer avec le gouvernement de l’île, tout en rappelant qu’il poursuivrait la politique du gouvernement actuel consistant à maintenir l’indépendance de l’île de Taïwan : « Tout en aspirant à la paix, nous ne nous faisons pas d’illusions. Nous allons développer la dissuasion de Taïwan en matière de défense, renforcer les capacités de Taïwan en matière de sécurité économique, améliorer les partenariats avec les démocraties du monde entier et maintenir un leadership stable et fondé sur des principes en ce qui concerne les relations entre les deux rives du détroit de Taïwan. »

En face, Hou Yu-ih et le Kuomintang prônent un rapprochement avec la Chine, dénoncent les relations de Taïwan avec les États-Unis, considérant que « Taïwan ne devrait pas devenir une pièce d’échecs pour un pays puissant ». Le parti héritier de Tchang Kaï-chek défend en effet l’existence d’une continuité identitaire entre le continent et l’île. Le Kuomintang dénonce notamment le fait que les tensions avec la Chine n’ont fait que s’accentuer ces dernières années comme l’explique Amanda Hsiao, du centre de réflexion International Crisis Group, auprès de L’Obs. Selon elle, l’élection survient en effet « à un moment où les tensions entre les deux rives du détroit sont élevées et où il est plus difficile de préserver la paix. La capacité à maîtriser ces tensions lors des quatre prochaines années dépendra de la manière dont le prochain président abordera la réforme de la défense et gérera les relations avec Pékin et Washington. »

Les tensions entre la Chine et Taïwan n’ont fait que s’accentuer ces dernières années et les Etats-Unis ont largement participé à une montée des tensions entre les deux Etats, voyant Taïwan comme une pièce maîtresse de sa stabilité stratégique dans l’Indo-Pacifique et dans le monde. La Chine a ainsi déployé régulièrement des avions de chasse, des drones de reconnaissance et des navires de guerre autour de Taïwan. Le 8 janvier, l’état-major taïwanais a publié un communiqué décrivant le passage d’avions et de navires près de l’île et affirme avoir repéré trois ballons chinois la veille. Le ministère de la Défense taïwanais dénonce un harcèlement destiné à « affecter le moral de notre peuple », en référence au passage de plusieurs dizaines de ballons au-dessus de Taïwan depuis décembre, dont 23 entre le 2 et le 7 janvier. L’expert en défense Su Tzu-yun affirme à ce propos auprès de l’AFP : « L’objectif politique est bien plus important que l’objectif militaire. [Pékin] veut susciter des doutes et de l’inquiétude [...] afin de changer l’attitude du peuple taïwanais dans le cadre des élections. » Dans le même sens, Raymond Kuo, expert de Taïwan à l’Institut américain Rand Corporation, affirme auprès de l’agence de presse : « Pékin signifie qu’il peut violer l’espace aérien taïwanais et remettre en cause sa souveraineté. » De fait, les résultats des élections vont influencer l’attitude de la Chine vis-à-vis de Taïwan, et le PCC a déjà déclaré que les élections constituaient un choix « entre guerre et paix ».

Taïwan : un enjeu central dans la concurrence entre les États-Unis et la Chine pour affirmer leur autorité dans l’Indo-Pacifique

La question taïwanaise est centrale dans la redéfinition des relations internationales dans le cadre du conflit qui oppose les États-Unis et la Chine. La Chine voit la réunification comme une question incontournable pour son expansion en tant que puissance économique et maritime mondiale, tandis que les États-Unis y voient une menace sur l’hégémonie mondiale de leur impérialisme, et tout particulièrement dans l’Indo-Pacifique. En effet, depuis plusieurs années, dans le cadre du tournant stratégique du « pivot vers l’Asie » mené par Barack Obama et l’appareil du Parti Démocrate, qui a défini l’essor économique et géopolitique de la Chine comme la principale menace pour l’hégémonie américaine, les États-Unis ont intensifié leurs relations avec Taïwan et leur présence militaire dans l’espace Indo-Pacifique.

Cette politique a été suivie de façon unilatérale et n’a fait que s’intensifier ces dernières années, de la présidence de Donald Trump à celle de Joe BIden, témoignant de l’unité de la bourgeoisie américaine quant à la défense de son hégémonie à l’échelle internationale. L’émergence, tout particulièrement depuis la crise de 2008, de puissances comme la Chine qui cherchent à remettre en question l’ordre international néolibéral marqué par une domination sans partage des puissances occidentales est un des facteurs centraux de risques pour l’establishment américain, qui qualifie notamment la Chine et la Russie de « puissances révisionnistes ». Si cette position réactionnaire est l’expression de la crise des principales puissances impérialistes, à commencer par les Etats-Unis, elle ne doit cependant pas donner l’illusion que la Chine serait une puissance progressiste, alors que son objectif n’est autre que défendre son droit et ses intérêts à l’exploitation de la classe ouvrière à échelle internationale.

Sous la présidence de Tsai Ing-wen, la relation entre les deux pays s’est approfondie. Le PDP défend corps et âmes la collaboration avec les États-Unis, à l’image de Lin Fei-fan, ancien secrétaire général adjoint du Parti démocrate progressiste, et Lii Wen, directeur de la section local du DPP dans les îles Matsu, qui expliquent dans une tribune parue dans la revue réaliste The National Interest : « À une époque où les autocraties cherchent à remettre en cause l’ordre international fondé sur des règles, Taïwan ne doit pas s’éloigner de ses partenariats de longue date par apaisement ou par cynisme. La lutte contre les récits néfastes qui cherchent à discréditer les relations de Taïwan avec ses partenaires internationaux reste une question d’une grande importance. »

Cette collaboration se fait sur un plan économique, mais aussi militaire. Ainsi, en août dernier, l’administration Biden a validé une vente d’armes à Taïwan pour 500 millions de dollars et 300 millions en décembre, comprenant des équipements et des entraînements afin d’améliorer « la capacité du bénéficiaire à faire face aux menaces actuelles et futures en renforçant la préparation opérationnelle » selon le communiqué de presse de l’Agence de coopération pour la sécurité de la défense du Pentagone. En réponse, et en réaction également aux sanctions américaines contre des entreprises et des individus chinois, la Chine a annoncé ce dimanche des sanctions contre cinq entreprises américaines du secteur de la défense.

Aujourd’hui, la situation est telle que les États-Unis ont une position ambiguë vis-à-vis des élections : si, traditionnellement, Washington soutient le PDP, pour Jason Willick, éditorialiste au Washington Post, une victoire du Kuomintang constituerait un « sursis stratégique » pour Washington. Le journaliste écrit ainsi : « Avec les guerres en Europe et au Moyen-Orient, la puissance américaine est dangereusement et historiquement limitée. La réduction temporaire des tensions entre les deux rives du détroit qui accompagnerait une victoire du KMT pourrait donner à Washington une occasion – si les politiciens sont prêts à la saisir – de renforcer la dissuasion militaire américaine. »

À l’inverse, une victoire du PDP pourrait exacerber les tensions : « Un troisième mandat consécutif du DPP (PDP, NDLR), en revanche, pourrait permettre aux faucons de Pékin d’affirmer que les nationalistes taïwanais contrôlent si fermement la situation que toute résolution autre que celle impliquant le recours à la force est irréaliste. Et ils pourraient avancer cet argument à un moment où la force de dissuasion des États-Unis est plus affaiblie qu’elle ne l’a été depuis des décennies. Le DPP, malgré quelques réformes louables, n’a pas réussi à modifier fondamentalement les graves déficiences de l’île en matière de défense au cours de ses huit années au pouvoir. Comme l’observe Michael J. Lostumbo, "une grande partie du budget de la défense de Taïwan est consacrée à des capacités qui ne sont ni viables ni puissantes". Taipei compte sur l’armée de l’air et la marine américaines pour venir à sa rescousse. »

Or, les États-Unis seraient, dans la situation actuelle, incapable de soutenir l’ouverture d’un nouveau front militaire. Selon le Wall Street Journal, si une guerre éclatait entre Taïwan et la Chine, « l’Amérique serait à court de missiles antinavires à longue portée, très importants, dès la première semaine ». Washington a donc intérêt à désescalader les tensions, d’autant plus qu’en février dernier, le directeur de la CIA William Burns affirmait que Xi Jinping aurait demandé à son armée d’être « prête d’ici 2027 » à envahir Taïwan : « Nous savons, sur la base de renseignements, qu’il a demandé à l’Armée populaire de libération d’être prête d’ici 2027 à mener une invasion réussie. Cela ne signifie pas qu’il a décidé de mener une invasion en 2027 ou une autre année, mais cela nous rappelle le sérieux de son objectif et de son ambition. »

C’est en ce sens que le 13 novembre, Joe Biden a rencontré Xi Jinping à l’occasion du sommet de la Coopération économique pour l’Asie Pacifique (APEC) avec pour objectif de faire baisser temporairement les rivalités entre les deux pays dans un contexte international particulièrement tendu, marqué par la guerres en Ukraine et en Palestine. Mais cette rencontre ne résout pas les contradictions de fond et la rivalité entre les deux pays. Biden mène une politique dure envers la Chine héritée du gouvernement Trump et le déclenchement de la guerre en Ukraine a approfondi les tensions et la rivalité entre les États-Unis et leurs alliés, d’un côté, et la Chine, alliée à la Russie, de l’autre. Plusieurs incidents ont ainsi tendu les relations entre les deux pays ces derniers mois, que ce soit l’épisode du ballon espion chinois abattu au-dessus du territoire nord-américain en février ou la révélation d’une base d’espionnage chinoise à Cuba. Alors que la situation internationale a été marquée par le génocide mené à Gaza par l’Etat d’Israël, allié central des Etats-Unis dans la région, avec la possibilité d’embraser l’ensemble de la région, et que la Russie a connu des avancées importantes en Ukraine, les Etats-Unis cherchent pour le moment à temporiser un affrontement trop direct à Taïwan, bien que leurs intérêts stratégiques impliquent dans tout les cas une montée des tensions avec la Chine.

De son côté, la Chine voit dans Taïwan la possibilité de confirmer sa présence comme principale puissance de l’indo-pacifique et sa politique n’est en aucun une politique progressiste. Si les deux puissances n’ont pas intérêt à ce qu’une nouvelle guerre éclate dans l’immédiat, des experts chinois insistent sur le fait qu’il s’agit d’une tendance inéluctable dans la relation entre les deux pays. Certaines sources militaires américaines tablent en ce sens sur 2024 à 2026 pour la fenêtre la plus favorable pour la Chine pour envahir Taïwan, quand d’autres sources militaires disent que la guerre de Taïwan n’aura pas lieu car Taïwan est selon eux imprenable et que la guerre coûterait trop cher. Quoiqu’il en soit, la tendance générale est à la concurrence et, si la Chine souhaite changer la situation avec Taïwan, à l’affrontement. Une démonstration supplémentaire du caractère réactionnaire de l’attitude de la Chine et des États-Unis, alors que Taïwan est au cœur des tensions entre les deux puissances pour affirmer leur autorité dans la région.


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