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Mouvement féministe

8 mars : après une mobilisation réussie, quel plan de bataille pour les droits des femmes ?

Ce 8 mars, plus de 200 000 personnes ont manifesté dans toute la France, dont la moitié à Paris. Une mobilisation féministe record qui pose une question : quel plan de bataille pour garantir nos droits ?

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8 mars : après une mobilisation réussie, quel plan de bataille pour les droits des femmes ?

Crédits photo : Révolution Permanente

Constitution ou pas : une mobilisation record pour les droits des femmes

Ce 8 mars, alors que Macron mettait en scène le « scellement » de l’inscription de l’IVG dans la Constitution place Vendôme, la journée de grève et de mobilisation féministe a été massive. D’après la CGT, 200 000 manifestant·es ont été recensé·es dans toute la France, dont 100 000 à Paris, 10 000 à Toulouse et à Lyon, 8 000 à Bordeaux ou encore 5000 à Lille, où les locaux du Planning familial avaient été tagués d’un « IVG = mort » dans la matinée. 

Même les chiffres de la préfecture le montrent : il s’agit de la plus forte participation à la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes de ces dernières années. À titre de comparaison, en 2023 en plein mouvement de grève contre la réforme des retraites, le 8 mars avait rassemblé des « dizaines de milliers » de personnes dans la capitale d’après les organisatrices. Un chiffre qui culminait à 35 000 personnes en 2022, et à seulement « quelques milliers » avant 2020 et la pandémie.

De fait, si la nouvelle de l’inscription de l’IVG dans la Constitution a de quoi réjouir, elle n’a pas effacé des esprits les menaces qui planent aujourd’hui sur nos droits. La casse des services publics, les politiques racistes, le soutien de Macron à Depardieu sans oublier son projet de « réarmement démographique », sont autant de raisons qui ont poussé les manifestant·es féministes, parfois très jeunes et pour la première fois, à sortir dans la rue. « Réarmement féministe », « IVG, PMA : mon corps, mon choix », pouvait-on lire sur une série de pancartes, renvoyant à la nécessité de faire front dans un climat de plus en plus réactionnaire.

Un discours articulé par différents secteurs à la revendication d’un investissement massif dans les services publics, à l’heure où la crise de la santé et de l’éducation entre dans ce qui semble être sa phase terminale : « Dans la santé, où nous sommes majoritairement des femmes, on a besoin de moyens et de personnels dans les hôpitaux », explique Karine, secrétaire générale CGT santé 95 au micro de Révolution Permanente. En fond, on entend chanter le cortège des travailleur·euses de l’éducation du 93, en grève reconductible depuis le 26 février pour exiger un plan d’urgence : « On est là, même si Belloubet le veut pas, nous on est là ! Pour notre éducation et contre toutes les oppressions, nous on est là ! ». Une occasion de rappeler que le combat pour rendre effectifs nos droits reproductifs ne s’arrête pas au 8 mars et se poursuit à travers la grève de l’éducation dans le 93, et dès le 19 mars dans la fonction publique au niveau national.

La cause palestinienne s’impose comme une cause féministe

Autre fait marquant de ce 8 mars, alors que le massacre des Palestiniens se poursuit et se combine aujourd’hui à une situation de famine, après que les photos des soldats de Tsahal posant avec des sous-vêtements de femmes palestiniennes ont choqué très largement, le soutien féministe au peuple palestinien s’impose comme une évidence. « Se battre pour le droit des Palestiniens, des Palestiniennes, c’est aussi un combat féministe. On ne peut pas être aveugles au sort des femmes qu’on assassine là-bas », explique une manifestante à Mediapart.

Dans de nombreuses villes, on a pu observer la foule s’émouvoir de discours dénonçant le génocide en cours : « Femme de Gaza, femme de Palestine : c’est l’humanité qu’on assassine !  ». De Marseille à Rennes et de Metz à Toulouse, les drapeaux palestiniens se sont mêlés aux drapeaux violets, et de nombreuses pancartes ont rappelé l’effroyable chiffre des plus de 30 000 personnes, dont 25 000 femmes et enfants, tuées par l’État d’Israël. À Bordeaux, l’AG féministe de Gironde à l’initiative de la manifestation a décidé d’inscrire sur la banderole de tête son soutien à la Palestine, articulé à la nécessité d’un combat antiraciste comme le souligne Le Monde : « De Gaza à la Gironde, avec ou sans papiers, on fait tourner la société ! ».

Un soutien féministe insupportable pour l’État d’Israël et ses relais en France, Aurore Bergé en tête. Alors que cette dernière avait menacé de couper les subventions aux organisations féministes qui avaient exprimé leur soutien à la Palestine dans la manifestation du 25 novembre, cherchant à les faire passer pour des antisémites, la campagne de criminalisation se poursuit ce 8 mars autour de la manifestation parisienne. Au centre de l’attention : les accusations mensongères du collectif pro-israélien Nous Vivrons, que l’inter-organisation Grève féministe (composé des représentantes des principaux syndicats, associations féministes et partis politiques de la gauche institutionnelle) a autorisé a manifester avec son service d’ordre armé. Une décision irresponsable et contestée, alors que ce collectif a activement participé à la campagne de criminalisation du mouvement féministe ayant conduit aux menaces du gouvernement et au harcèlement de nombreuses militantes féministes suite à la manifestation du 25 novembre.

La réponse des organisatrices à la polémique sur les « heurts entre militants pro-palestiniens et collectifs de la communauté juive », renvoyant dos à dos militant·es pro-palestinien·nes et militant·es pro-israélien·nes sous la pression du gouvernement, de la droite et de l’extrême-droite, révèle une importante contradiction pour le mouvement féministe : alors qu’un génocide se déroule sous nos yeux, il n’y a pas de neutralité qui tienne. Comme l’ont exprimé de larges pans des femmes et des personnes LGBT qui ont manifesté ce 8 mars, la cause palestinienne doit être intégrée par l’ensemble des organisations comme une cause féministe.

La nécessité d’un féminisme révolutionnaire

À rebours des discours triomphalistes autour de la constitutionnalisation de l’IVG qui serait venu « sceller » un « long combat pour la liberté », ce 8 mars est venu rappeler que la lutte pour les droits des femmes est loin d’être terminée : c’est une chose d’inscrire nos droits sur un bout de papier, c’en est une autre de les rendre effectifs et identiques pour toutes. Pour cela le combat continue, et ce 8 mars a montré que des franges de plus en plus importantes de la population, en particulier parmi la jeune génération, sont disposées à le mener.

Ce constat pose cependant la question des perspectives dont doit se doter le mouvement féministe. Au sortir de la cérémonie place Vendôme et dans la continuité de la bataille parlementaire, la député LFI Mathilde Panot saluait : « une cérémonie très émouvante qui scellait pour toujours, je l’espère, le droit à l’avortement dans la Constitution française » ainsi que le fait que « Macron a dit qu’il était favorable à inscrire le droit à l’avortement dans la charte européenne, ce qui serait là aussi une avancée spectaculaire ». La sénatrice EELV Mélanie Vogel indique également l’inscription de l’IVG dans la charte européenne comme la voie à suivre après cette « grande victoire » constitutionnelle, alors que les élections européennes approchent à grand pas. Est-ce là le nouveau cap que devrait se fixer le mouvement féministe ? 

Quand le Parlement a voté pour l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, mesure portée par la gauche et reprise à son compte par la macronie, nous écrivions qu’il ne s’agissait là que de l’illusion d’une victoire, ne faisant qu’actualiser la nécessité de renforcer le combat pour les droits des femmes. Au moment où des coupes budgétaires records dans les services publics viennent d’être annoncées, où les politiques racistes de Macron ne cessent de faire monter les idées réactionnaires de l’extrême-droite et où l’État continue de criminaliser le soutien à la cause palestinienne, la colère qui s’est exprimée ce 8 mars pourrait être la première étape de la construction d’un mouvement féministe large et organisé pour faire face aux attaques en cours et à venir.

Un mouvement qui ne se contenterait pas d’obtenir des mesures formelles, pouvant nous être retirées aussi vite qu’elles nous ont été accordées - comme le montre l’abrogation brutale de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis, mais qui se donnerait pour tâche d’aller arracher les conditions matérielles nécessaires pour les rendre effectives : des moyens massifs pour les services publics ; une offre de soin étendue sur tout le territoire ; des IVG, des PMA, des transitions libres et entièrement gratuites ; la régularisation de tous·tes les sans-papiers ! Un programme qui ne tolère aucune tentative de Macron d’instrumentaliser nos luttes au service de son projet nationaliste et raciste, et indique au contraire que le combat pour nos droits est indétachable de la lutte contre le système capitaliste et de la perspective d’un projet de société visant l’égalité entre toutes et tous, quelque soit notre origine, notre genre ou notre sexualité.

Pour porter cette bataille au sein du mouvement féministe, la tâche première est aujourd’hui de reconstruire une tradition féministe anti-impérialiste et révolutionnaire, déterminée à lutter contre toute forme d’adaptation au fémo-nationalisme de Macron et de son gouvernement, qui exige haut et fort la fin du génocide à Gaza dont l’État français est complice. En ce sens, l’AG féministe de Gironde qui a exprimé clairement son opposition à ce que Nous Vivrons participe à la manifestation bordelaise, dénonçant dans son communiqué une tentative « d’instrumentaliser le féminisme et l’antisémitisme dans le but de défendre le colonialisme israélien » montre la voie à suivre. Le succès rencontré par les cortèges aux couleurs de la Palestine, à l’instar de celui d’Urgence Palestine, de l’AG féministe Paris Banlieue et Du Pain et des Roses à Paris, est également un point d’appui et doit se poursuivre dans une réponse à la campagne de criminalisation en cours. Car, comme le rappelle Selma, militante à Urgence Palestine au micro de Révolution Permanente : « Les valeurs du féminisme ne peuvent pas coexister avec la colonisation et l’oppression ».

Dans la lutte pour la libération de toutes les femmes et personnes LGBT, nos alliés ne sont pas à l’Élysée, mais dans les maternités, dans les écoles, dans les universités et sur tous les lieux de travail et d’étude où il est possible de construire un rapport de force pour garantir nos droits. Pour que l’énorme démonstration qu’a été ce 8 mars donne lieu à une véritable victoire, il faut se préparer dès aujourd’hui à affronter Macron et l’extrême-droite sur le terrain de la lutte de classes - le seul à même de les faire reculer mais aussi d’imposer une alternative à la crise et à l’escalade militariste qui menacent les droits des femmes et des minorités de genre en France et dans le monde.

Comme l’a expliqué Sasha Yaropolskaya à la veille du 8 mars au meeting de Révolution Permanente : « Ils ont peur que les centaines des milliers de femmes qui ont manifesté ces dernières années contre les violences sexistes et sexuelles commencent à faire le lien avec d’autres combats, quand ils voient que la majorité des participants au mouvement pour la Palestine sont des femmes, à chaque fois qu’ils voient les sans-papiers, les féministes et les militants pour la Palestine ensemble. Ils flippent comme jamais de voir le mouvement féministe sortir du marasme libéral, ils ont peur qu’il revienne à ses origines socialistes et révolutionnaires. Il y a un siècle, les militantes femmes communistes, à côté de leur camarade hommes, ont renversé le régime tsariste en Russie. Elles ont arraché, premières dans le monde, l’avortement légal à travers la révolution. Elles organisaient des grèves massives, elles préparaient une révolution mondiale. Et c’est ce féminisme-là, le féminisme révolutionnaire, qui fait profondément peur au gouvernement, parce qu’il ne peut pas le récupérer. »


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