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Palestine

Une nouvelle Nakba contre le peuple palestinien

Alors que Netanyahou a annoncé ces derniers jours de nouvelles phases dans l’offensive contre Gaza, retour sur la situation de la guerre, le soutien d’un impérialisme américain affaibli à Israël et l’émergence d’un mouvement anti-guerre.

Claudia Cinatti

5 novembre 2023

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Une nouvelle Nakba contre le peuple palestinien

Le 28 octobre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanayhu a annoncé le début de la « deuxième phase » de la guerre dans la bande de Gaza. Il l’a fait en invoquant le mandat biblique d’exterminer les Amalécites, un peuple ennemi des anciens Israéliens que le dieu vengeur de l’Ancien Testament appelle littéralement à anéantir (littéralement pour qu’il nen reste rien : hommes, femmes, enfants, vaches, moutons, maisons...).

D’un point de vue militaire, en plus des bombardements aériens, l’armée israélienne a lancé dans cette nouvelle phase de la guerre une incursion terrestre, divisant la bande de Gaza en deux. Elle déploie une double tactique de siège et de feu contre la population palestinienne. Les bombes, les missiles et le phosphore blanc abondent tandis que, dans le même temps, il n’y a pas de nourriture, d’eau, d’électricité, de carburant, de fournitures hospitalières, d’abris sûrs dans les hôpitaux ou les écoles. Toutes les infrastructures civiles sont des cibles légitimes dans la croisade israélienne visant à « éradiquer le Hamas ».

Au cours des quatre premières semaines d’attaques militaires, l’État israélien a tué environ 10 000 Palestiniens, dont 4 000 enfants, soit environ 125 enfants par jour. En outre, une centaine de travailleurs humanitaires ont été tués. Bien qu’en temps de guerre, les chiffres changent de jour en jour (où en serons-nous lorsque cet article sera publié ?), ils donnent une idée de l’ampleur du crime en cours. L’attaque délibérée du 31 octobre contre le camp de réfugiés de Jabalia, le plus peuplé et le plus pauvre de Gaza, ou le bombardement d’un convoi d’ambulances devant l’hôpital Al Shifa le 3 novembre, sont parmi les crimes de guerre les plus graves, mais pas les seuls. Selon un rapport de Euro-Med Humans Rights Monitor, entre le 7 et le 31 octobre, Israël a largué 25 000 tonnes d’explosifs, soit l’équivalent de deux bombes nucléaires, sur la bande de Gaza.

Les attaques paramilitaires contre les Palestiniens en Cisjordanie, perpétrées par des colons sionistes armés, protégés par l’armée israélienne, qui ont fait plus de 100 morts, et la persécution raciste de la population d’origine arabe en Israël (20% de la population) montrent le caractère ouvertement colonial de la guerre de l’État israélien contre le peuple palestinien. L’attaque du Hamas n’est qu’un prétexte pour légitimer cette guerre.

Il ne s’agit pas d’« excès » ou de « dommages collatéraux ». Il s’agit d’un « génocide comme en voit dans les livres d’école qui se déroule sous nos yeux », comme l’a défini l’historien israélien spécialiste de l’Holocauste, Raz Segal, que l’État d’Israël perpétue avec la complicité de ses amis de longue date : les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Un nouveau chapitre du « génocide progressif », selon l’expression d’Ilan Pappé, débuté avec la « Nakba », le nettoyage ethnique de 1948, et qui se poursuit par l’expansion coloniale et le projet non dissimulé du gouvernement Netanyahou d’annexer la bande de Gaza (et aussi la Cisjordanie) et d’expulser la population locale vers l’Égypte, une fois le massacre actuel terminé. Ce gouvernement d’extrême droite, basé sur une alliance entre le Likoud de Netanyahou, la droite religieuse et les colons, affirme sans euphémisme que l’incapacité du régime d’apartheid dans les territoires palestiniens à « garantir la sécurité de l’État d’Israël » implique l’expulsion des Palestiniens.

La dynamique de la guerre est incertaine, mais elle a déjà cruellement mis à nu les contradictions et les limites des opposants.

L’objectif fixé par le gouvernement d’urgence de Netanyahou d’« éradiquer le Hamas pour toujours » ne semble pas réaliste. Depuis son retrait en 2005, et surtout depuis la victoire du Hamas aux élections de 2006, Israël poursuit une stratégie visant à « contenir » Gaza dans un précaire « équilibre violent » que les militaires appellent dans leur jargon « tondre la pelouse » - c’est-à-dire attaquer pour affaiblir le Hamas autant que possible, détruire ses infrastructures et se retirer, dans le but d’augmenter la capacité de « dissuasion ».

L’occupation militaire du terrain est une autre affaire. Les analystes soulignent les conséquences désastreuses pour l’État israélien d’une guerre urbaine prolongée à Gaza, qui agirait comme un « grand égalisateur », dans le sens où la supériorité militaire israélienne serait relativisée par les avantages des défenseurs locaux (y compris le réseau de tunnels connu sous le nom de « métro de Gaza »). C’est pourquoi la politique a été celle de la terre brûlée avant l’invasion. Et c’est là qu’intervient la crise avec les plus de 200 otages détenus à Gaza, parmi lesquels des citoyens israéliens mais aussi des Américains, des Français et des Argentins, qui sont peut-être la principale monnaie d’échange du Hamas.

Lire aussi : Les dangers d’une offensive terrestre

Le gouvernement de Netanyahou sort d’une longue crise. Bien que l’attaque du Hamas ait galvanisé l’unité nationale israélienne et permis la formation d’un gouvernement d’urgence avec Benni Gantz, deuxième figure de l’opposition, Netanyahou et ses ministres d’extrême droite restent profondément impopulaires. La crise des otages déchire cette unité nationale (ce sont surtout les familles des otages qui font pression pour des négociations) de même que, dans une moindre mesure, les crimes de guerre à Gaza et en Cisjordanie, ainsi que la persécution des Arabes en Israël, qui sont désavoués par des secteurs pacifistes minoritaires.

Les États-Unis, principal allié de l’État sioniste, ont couvert de manière scandaleuse les crimes de l’État d’Israël, non seulement par leurs discours et vetos aux Nations unies, mais surtout en apportant une contribution décisive à ce qui compte vraiment : des tonnes de munitions et d’armements, l’envoi des principaux porte-avions de la marine américaine et d’avions de chasse dans la région, des conseillers et des commandants militaires, des milliards de dollars et de la diplomatie. La politique moyen-orientale du président Joe Biden (qui se décrit lui-même comme un sioniste) s’inscrit dans la lignée des « accords d’Abraham » promus par Donald Trump pour « normaliser » les relations entre l’État d’Israël et ses voisins arabes, dans le but de former un « axe anti-iranien ». Les Palestiniens étaient le dindon de la farce de cette « normalisation ». C’est ce schéma géopolitique réactionnaire, auquel l’Arabie Saoudite s’apprêtait à se joindre, qui a été à l’origine de la crise. La politique américaine est de soutenir la guerre d’Israël à Gaza mais d’éviter qu’elle ne débouche sur une guerre régionale impliquant l’Iran, dans laquelle ils ne pourraient s’abstenir d’envoyer des troupes.

La guerre de l’Etat d’Israël contre Gaza a mis en évidence la faiblesse de l’impérialisme américain, qui avait repris du poil de la bête avec la guerre en Ukraine en unifiant les puissances européennes derrière son leadership au sein de l’OTAN, dans la perspective de son différend stratégique avec la Chine. Pour la première fois depuis la disparition de l’Union soviétique, les Etats-Unis font face à une opposition plus ou moins organisée à leur leadership (le fameux « Sud global ») incarnée dans l’alliance entre la Chine et la Russie (et dans une moindre mesure l’Iran) et l’émergence de « puissances moyennes », comme la Turquie, qui gèrent leurs « alignements multiples » sans ouvrir un conflit ouvert mais sans se plier aveuglément aux diktats de Washington.

Cette faiblesse relative de la principale puissance impérialiste a été explicitée lors du vote à l’ONU où les Etats-Unis ont voté avec 13 autres pays contre une timide trêve humanitaire à Gaza, qui a été adoptée avec 120 voix pour et 45 abstentions. Bien que l’effet pratique de ces votes soit absolument nul, ils ont symboliquement mis en évidence les limites de persuasion de l’Amérique. Sur le plan intérieur, l’administration Biden est confrontée à une opposition Trumpiste-Républicaine de plus en plus radicalisée, qui oscille entre isolationnisme et bellicisme, doublant son soutien à Israël et militant pour la fin de l’aide économique américaine à l’Ukraine dans la guerre par procuration contre la Russie.

Jusqu’à présent, ni les États-Unis, ni l’Iran et ses milices alliées ne semblent vouloir s’engager dans une guerre régionale, au-delà d’escarmouches militaires occasionnelles. Le message attendu du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’a bien montré : il a exprimé sa solidarité, mais a précisé que l’attaque du Hamas contre Israël était « 100 % palestinienne », a dissocié l’Iran et a maintenu la ligne de rigueur selon laquelle « toutes les options sont sur la table », mais sans engager sa milice (ou le Liban) dans une nouvelle guerre contre Israël. Encore moins les régimes arabes réactionnaires qui regardent le massacre du peuple palestinien à la télévision.

Ces derniers jours, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a tenté en vain d’amener Netanyahou à accepter une « pause humanitaire » pour permettre à l’aide internationale d’entrer dans la bande de Gaza. M. Biden semble commencer à payer le prix politique de son soutien inconditionnel au massacre des Palestiniens par la droite de M. Netanyahou. La guerre a ouvert une crise interne avec l’aile « progressiste » du parti démocrate. Et selon de récents sondages, avec sa position ouvertement pro-israélienne, Biden a perdu le soutien de l’électorat arabo-musulman, très important pour les élections de 2024. Pour se démarquer, au moins dans le discours, des solutions les plus extrêmes du gouvernement Netanyahou, le président Biden a remis sur le tapis la solution ratée des « deux États », une mystification qui a depuis longtemps cessé de fonctionner parce qu’elle a montré que tout ce qu’elle a à offrir, c’est un régime d’apartheid.

La brutalité des attaques israéliennes contre Gaza a suscité des mobilisations de masse dans les pays arabes et musulmans, en Amérique latine (dont l’Argentine) et dans les pays impérialistes, en particulier la Grande-Bretagne, l’Espagne, la France, les États-Unis (et dans une moindre mesure l’Allemagne), qui défient les politiques répressives des gouvernements qui persécutent et criminalisent tous ceux qui manifestent leur solidarité avec la lutte du peuple palestinien, en utilisant dans de nombreux cas l’accusation d’« apologie du terrorisme ». Outre les manifestations sur les campus des universités d’élite, les déclarations et les protestations des organisations juives antisionistes (telles que Jewish Voice for Peace aux États-Unis), certaines actions d’avant-garde du mouvement syndical commencent également à apparaître, comme le blocage par les syndicats des travailleurs des transports en Belgique des livraisons d’armes à Israël.

Nous sommes au début de l’émergence d’un mouvement anti-guerre en soutien à la cause palestinienne - une cause juste, anti-coloniale et anti-impérialiste - qui brise le consensus militariste réactionnaire que les gouvernements impérialistes avaient tenté d’établir avec la guerre Russie-Ukraine/OTAN. C’est pourquoi beaucoup font une analogie historique avec le mouvement contre la guerre du Viêt Nam et, plus récemment, contre la guerre en Irak. C’est le développement de ce mouvement et leur radicalisation politique face à la guerre et à la répression, ainsi que la résistance des masses palestiniennes, qui peuvent vaincre l’État sioniste et ses complices, mettre fin au régime d’apartheid et ouvrir la voie à la conquête d’une Palestine laïque et socialiste sur l’ensemble du territoire historique, seule garantie de la coexistence pacifique des Arabes et des Juifs.


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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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