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Guerre en Ukraine

Ukraine. Troubles au sommet de l’Etat, « l’unité nationale » en danger ?

La crise entre Volodymyr Zelensky et Valery Zaloujny, commandant en chef de l’armée, repose sur des divergences au sujet de la conduite de la guerre, mais aussi sur une potentielle concurrence politique. Des tensions qui affaiblissent le camp ukrainien.

Philippe Alcoy

6 février

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Ukraine. Troubles au sommet de l'Etat, « l'unité nationale » en danger ?

Depuis la semaine dernière la population ukrainienne et les dirigeants des Etats alliés de l’Ukraine se demandent si finalement le président ukrainien Volodymyr Zelensky va limoger ou non le général commandant en chef de l’armée, Valery Zaloujny. La presse locale et internationale ont révélé lundi 29 janvier les intentions du président de se débarrasser du principal responsable militaire de la guerre. Les rapports rendus publics, et confirmés par des proches du pouvoir, ont créé un choc et en même temps inquiété. Une telle décision ne peut qu’ébranler la direction de la guerre du camp ukrainien à un moment très délicat pour le pays. Le général Zaloujny n’est pas seulement important pour la conduite de la guerre, il s’agit de la figure publique la plus populaire en Ukraine parmi les soldats et la population, plus populaire encore que Zelensky lui-même. Son limogeage créerait sans doute des remous au sein de la population et affaiblirait « l’unité nationale » retrouvée depuis le début de la guerre.

En effet, les désaccords entre les deux dirigeants sont connus depuis plusieurs mois, à propos de la stratégie à adopter pour continuer à mener la guerre contre l’invasion russe. Mark Galeotti, spécialiste de la Russie, décrit les différences entre Zelensky et Zaloujny concernant la stratégie à adopter dans la guerre de la façon suivante : « la première véritable pomme de discorde a été le plan de la contre-offensive de l’année dernière qui, sans être un échec total, n’a pas permis de reprendre beaucoup de territoire. (…) Zaloujny, de concert avec les liaisons militaires britanniques et américaines, avait voulu se concentrer sur une poussée vers le sud, pour tenter de briser le "pont terrestre" vers la Crimée. Zelensky, quant à lui, a insisté sur une large attaque sur l’ensemble du front. Rétrospectivement, cela signifiait une multitude d’opérations de moindre envergure qui pouvaient être largement déjouées par la ligne de défense russe ». Zaloujny avait déjà été repris publiquement par Zelensky quand en octobre dernier il avait déclaré à la presse internationale que la guerre se trouvait dans une « impasse ». A cela il faudrait ajouter le fait que Zelensky incriminerait à Zaloujny d’être impliqué dans l’explosion du gazoduc Nord Stream 1 et 2 qui a affecté les relations de Kiev avec ses partenaires occidentaux.

Une autre différence qui prend de l’importance en ce moment est celle de la mobilisation de la population civile pour soulager le front. Le général serait plus enclin à décréter une mobilisation massive (on parle de 500 000 personnes supplémentaires mobilisées) tandis que président ukrainien et « l’aile civile », conscients qu’une telle mesure serait très impopulaire dans le pays, même si nécessaire pour faire face à l’effort de guerre, s’y opposeraient pour l’heure « Dans ce contexte, l’administration Zelensky pense probablement qu’un nouveau chef militaire ukrainien offrirait un nouveau visage pour une nouvelle stratégie et quelles que soient les mesures de mobilisation finalement choisies, car les appels à rendre des comptes sur la mobilisation précédente et la stratégie de guerre plus large ne feraient que s’intensifier », analyse le site Stratfor.

Cependant, malgré les fuites de la semaine dernière Zaloujny reste pour le moment à son poste. Et c’est compréhensible. Les risques que Zelensky prendrait en le limogeant sont grands. Non seulement le général est très respecté et populaire (selon un sondage 72% des Ukrainiens sont contre son limogeage ou sa démission), son départ pourrait affecter le moral des troupes, créer une situation d’instabilité interne et donc renforcer les tendances politiques en Occident qui sont de plus en plus critiques de l’aide apportée à l’effort de guerre ukrainien. En même temps, cette situation comporte des risques pour Zelensky lui-même : « si M. Zelensky maintient son commandant en chef, il passera pour un faible. S’il le renvoie, la façon maladroite dont la situation a été gérée ne fera qu’entamer la confiance des dirigeants. Comme souvent dans ce conflit, il n’y a pas de victoire facile », écrit The Economist. C’est peut-être pour cela que dimanche soir Zelensky a déclaré « qu’un vaste remaniement de la direction militaire et civile de l’Ukraine était nécessaire pour relancer l’effort de guerre du pays », ce qui laisserait entendre qu’il ne s’agit pas simplement de remercier Zaloujny mais d’un remaniement plus large, touchant aussi bien les dirigeants civils et militaires.

Mais il existe une autre question qui pourrait être derrière cette décision : les ambitions politiques de Zelensky. En effet, selon un sondage réalisé en décembre dernier par le Kyiv International Institute of Sociology 92% des Ukrainiens font confiance au général, alors que « seulement » 77% font confiance au président. Cette situation fait craindre à Zelensky que Zaloujny devienne un rival politique, notamment soutenu par des politiciens et partis d’opposition comme l’ancien président Petro Porochenko battu par Zelensky en 2019. Comme l’écrit The Economist dans l’article déjà cité, « les sondages ont montré à plusieurs reprises qu’il était plus populaire que son président, ce qui a créé des tensions entre les deux hommes, dont les relations étaient initialement bonnes. (…) M. Zelensky n’est pas le seul à avoir noté la popularité de son général. D’éminentes figures de l’opposition, jusqu’ici mises à l’écart par le besoin d’unité nationale, ont commencé à s’aligner sur le général Zaluzhny. Ce processus s’est accéléré au cours des dernières semaines, à mesure que les rumeurs sur l’éviction prochaine du général s’intensifiaient ».

En arrière-plan, la situation pourrait se tendre. Les manœuvres menées par Zelensky contre des potentiels rivaux politiques commencent à inquiéter des analystes occidentaux et alimentent la tendance de plus en plus critique à l’égard du pouvoir ukrainien dans les Etats impérialistes. Et cela non seulement parmi les tendances les plus sceptiques mais même au sein de secteurs favorables à l’aide à l’Ukraine de l’establishment dans les puissances globales. A tout cela il faut ajouter les scandales de corruption qui ont éclaté récemment, comme la fraude de 40 millions de dollars pour le faux achat d’armements pour la guerre.

Evidemment, dans un contexte de retard ou blocage de l’assistance financière occidentale pour l’Ukraine toutes ces questions compliquent la position de Zelensky auprès des dirigeants occidentaux qui doivent défendre le soutien à l’armée ukrainienne face aux populations de leurs pays. En ce sens, les universitaires Stefan Wolff et Tatyana Malyarenko écrivent : « Pris ensemble, le scandale de la corruption et les dissensions signalées au sommet de la structure du pouvoir ukrainien ne feront rien pour rétablir ou maintenir la confiance de l’Occident quant à la possibilité pour l’Ukraine d’éviter la défaite, et encore moins de remporter la victoire. Sans cette confiance, l’octroi d’une aide supplémentaire semble de plus en plus improbable ».

Mais toute cette crise au sommet de l’Etat ukrainien montre un élément important que l’ensemble du mouvement ouvrier du continent, et au niveau international, devrait prendre au sérieux : le poids de plus en plus grand des militaires dans la vie politique. En effet, le financement de la guerre par les puissances impérialiste occidentales renforce inévitablement le pouvoir et l’influence politique des forces armées ukrainiennes. Cela aura des conséquences pour la société ukrainienne et pour toute la région qui, quel que soit le résultat de la guerre, deviendra un territoire hautement militarisé. En même temps, « l’aile civile » représentée par Zelensky se dirige de plus en plus ouvertement vers des formes de gouvernance clairement bonapartistes, loin des discours sur la « démocratie » prônés par les dirigeants impérialistes. Une fois de plus, le soutien occidental à l’Ukraine n’a rien à voir avec l’auto-détermination nationale de ce pays, qui est au contraire devenu totalement dépendant financièrement et politiquement des Occidentaux, ni avec la défense de la « démocratie ».


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