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Casse des services publics

Toulouse. Qui est Eric Ardouin, architecte de la réforme Proxima ?

À Toulouse, la mise en place de Proxima, projet phare de la de restructuration des services publics, est pilotée par Eric Ardouin. Portrait d'un technocrate.

Avran Ortels

1er février

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Toulouse. Qui est Eric Ardouin, architecte de la réforme Proxima ?

Crédits Photo : Benh LIEU SONG, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/license...> , via Wikimedia Commons

Risque d’externalisation de certains services comme le ménage à des entreprises privées, menace de suppression de postes, augmentation des cadences de travail et mutualisation de postes… Les syndicats toulousains dénoncent le projet de restructuration Proxima qui, derrière le masque de la « rationalité », marque un saut supplémentaire dans la casse des services publics.

Ayant pris effet le 1er janvier 2024, la réforme Proxima consiste à diviser les différents services des 37 communes de la métropole en cinq secteurs selon un fonctionnement décentralisé, censé « alléger » une administration jugée « trop pesante et éloignée des réalités du terrain ». En réalité, il s’agit de placer dans les mains de cinq « directeurs généraux » le contrôle de l’ensemble des services, des budgets jusqu’au temps de travail dédié à l’accueil du public en passant par les missions des agents.

Pour mener à bien ce projet, qui touche près de 4 000 travailleurs toulousains, le maire Jean-Luc Moudenc a désigné Eric Ardouin. Un technocrate qui n’en est pas à son coup d’essai, ayant déjà marqué les esprits en dirigeant de telles restructurations dans plusieurs mairies de droite.

Une longue carrière de casse des services publics

Si la réforme est retorse, son auteur l’est plus encore. Ancien diplômé l’ESSEC en gestion financière, l’une des plus grandes écoles des de l’élite français, le bordelais Eric Ardouin, 63 ans, est hautement considéré parmi le gratin de l’administration territoriale. Les collectivités tenues par la droite reconnaissent sa qualité en matière de casse des services publics : il a été le lieutenant successif des plus grandes mairies de France, dernière en date, le Capitole. À Toulouse, Eric Ardouin est aujourd’hui « directeur général des services », de la ville et de la métropole, depuis janvier 2021. À ce titre, il est l’un des plus proches collaborateurs de Jean-Luc Moudenc (ex-LR), maire depuis 2014, dont il doit administrer et mettre en œuvre les orientations politiques sur la gestion des services.

Mais M. Ardouin n’en est pas à son coup d’essai. Il semble avoir voué sa vie à cette croisade : partout où il passe, il casse ; et il vise chaque fois plus gros. Entre 2004 et 2011 en Ile-et-Vilaine, puis entre 2011 et 2014 en Loire-Atlantique, il avait exercé des fonctions similaires dans l’administration territoriale. Son action avait consisté à placer les services auparavant centralisés dans les chefs-lieux, « sous une même hiérarchie dans des unités territoriales », « quelles que soient les politiques publiques dont ils participaient » : autrement dit, diviser les corps de métier, pour organiser le travail sur une base géographique. Tout juste ce que la réforme Proxima promet de faire à Toulouse.

Avant Toulouse, son plus gros chantier était Bordeaux. En 2014, Eric Ardouin est spécialement recruté par Alain Juppé comme directeur général des services, avec pour tâche de mettre en œuvre la mutualisation des postes entre la ville et la métropole. Ainsi en 2016, les services des 28 différentes communes ont été répartis dans des pôles territoriaux aux compétences élargies, dirigés par des directeurs locaux. Résultat : les fonctionnaires de la ville ont été volés de 50 heures de jours de repos, pour atteindre le temps de travail annuel de ceux de la métropole. En tout, 1 948 fonctionnaires ont dû changer de poste. Parmi eux, 1 317 ont été transférés vers la ville depuis les communes de la métropole, accroissant de fait la dégradation des services. L’objectif affiché de tout cela était une baisse des dépenses publiques « de 10 % en fin de mandat ». Un but similaire pour Toulouse ?

A Bordeaux, une association de consommateurs, Tran’s Cub, s’était battue pour dénoncer les profits exorbitants réalisés par Suez grâce à un contrat de privatisation de la distribution d’eau : 259 millions d’euros de bénéfice sur 30 ans (1990-2021). « Sur la durée de 30 ans du contrat, c’est trois fois plus que la profitabilité du même contrat eau à Toulouse et plus de dix fois celle du contrat de l’assainissement qui vient d’être signé avec Véolia à Bordeaux Métropole » dénonçait ainsi l’association auprès de Sud-Ouest. Pourtant, ce contrat en conformité avec une loi de 2012 aurait dû prendre fin en 2015. Or, à son arrivée à Bordeaux, Ardouin a tenu à offrir à Suez la prolongation de ce contrat, permettant ainsi à la multinationale de réaliser 120 millions d’euros de profits supplémentaires.

Depuis l’élection de Pierre Hurmic (EELV) à Bordeaux en 2020, Eric Ardouin n’y est plus le bienvenu, d’autant que le départ de Nicolas Florian (maire LR, successeur d’Alain Juppé durant un an) a signifié la fin de la mutualisation des services et du projet mis en place. Une aubaine pour Jean-Luc Moudenc, qui a profité du jeu de chaises musicales des élections municipales pour recruter le technocrate.

Le « management » façon Ardouin : casser les services publics de l’intérieur

Un entretien donné en octobre 2022 en dit long sur les éléments de langage avec lesquels jongle Eric Ardouin, laissant présager ce que risque d’engendrer Proxima. Car le « management public des territoires » regorge d’euphémismes : « déconcentrer les administrations », les « rapprocher du terrain et des élus locaux »… En réalité, c’est d’une gestion néolibérale des services publics qu’il s’agit, dont la logique est double.

Derrière l’idée de « cohésion des territoires », derrière l’objectif de « rapprochement de la présence des services » auprès des « acteurs locaux » et selon les « réalités locales », c’est bien une tentative d’atomisation des corps de métiers qui se profile. Avec, à la clef, une menace de privatisations et de suppressions massives de postes.

Derrière les injonctions à l’« autonomie » et à la « souplesse » des agents, des termes qui ne sont pas sans rappeler ceux du ministre Guérini dans son prochain projet de loi, il faut voir une pression sur les travailleurs à s’adapter à des tâches qui ne relèvent pas de leur métier, voire à accepter de nouveaux postes arbitrairement attribués.

Éric Ardouin se gargarise : à Nantes comme à Rennes, les réformes menées sous sa direction ont été « une aventure collective comme on n’en vit pas beaucoup dans sa carrière »… Ce dont il se félicite, c’est que plusieurs milliers d’agents aient dû changer de poste, « acquérir de nouveaux outils » et, en fait, accumuler des charges de travail supplémentaires. Aussi, ces réformes devaient mettre au niveau local, sur une même politique publique, des travailleurs de métiers fort différents au sein de « réseaux-métiers » - un terme jargonneux pour dissimuler la réalité de la mutualisation des tâches, ou bien le fait de rendre les tâches interchangeables à l’envi : en somme, faire reposer les tâches supplémentaires sur le dos des travailleurs – accroître la charge du travail et en dégrader les conditions, tout en supprimant des postes. Et cela ne va pas sans ouvrir la possibilité d’externaliser des postes, vendus à des entreprises privées dans certains cas, comme le prévoit la loi de Transformation de la Fonction Publique de 2019.

Mais Eric Ardouin n’ignore pas la nature de la tâche qu’il s’est donnée, dans la droite lignée de la politique gouvernementale sur les services publics - au moins depuis la loi de 2019 sur la fonction publique que Jean-Luc Moudenc avait ardemment défendue. Ardouin voudrait faire tourner la fonction publique comme une entreprise, et il n’ignore pas qu’en tant que grand patron la tâche est avant tout de lutter contre l’organisation des travailleurs. Il n’ignore pas non plus que la doxa néolibérale qu’il cherche à appliquer doit servir avant tout à dégrader et alourdir les conditions de travail des fonctionnaires, en un mot porter un coup supplémentaire aux services publics pour justifier, au moyen du constat de leur « inaction à agir », de leur casse, l’horizon de leur privatisation.

Pour commencer à ouvrir des parts de marché au privé pour tous ces métiers jugés improductifs, la Mairie n’hésitera pas à provoquer ce qui est déjà désigné comme un potentiel « France-Telecom bis » par un audit réalisé à propos des possibles conséquences de Proxima sur les agents. Quant à sa vision des agents, Eric Ardouin l’aurait, selon la CGT, lui même exprimée sans détour à l’occasion d’une réunion de cadres où il était interrogé sur le risque pour certains agents de ne pas avoir d’affectation : « à la fin du marché, quand on a vendu toutes les vaches, il reste les bouses ». Une expression qui a valeur d’avertissement quant au mépris auquel les agents toulousains devront faire face et auquel ils devront répondre dans l’unité la plus large pour enrayer cette attaque.


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