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Russie. Poutine s’éternise au pouvoir, à quand la fin du règne ?

La nouvelle réélection de Poutine lui permettra d'aller jusqu'à 30 ans au pouvoir. Qu’est-ce qui attend la Russie après une farce électorale historique ? Beaucoup plus d’instabilité que ne prévoit son souverain.

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Russie. Poutine s'éternise au pouvoir, à quand la fin du règne ?

Crédits photo : UN Geneva, Flickr

Tout va bien dans la Russie de Poutine. L’opposition libérale est forcée à l’exil, le principal adversaire, Alexeï Navalny, est mort en prison, des milliers de militants et de dissidents sont incarcérés pour remplir les colonies pénitentiaires vidées pour les besoins du front. Quelques incursions frontalières à Belgorod et Kursk menées par des divisions d’extrême-droite russe se battant pour l’Ukraine ne sauraient entacher l’image de la stabilité poutinienne. 80% des russes se seraient rendus aux urnes durant les élections présidentielles qui ont duré tout le week-end. 87% auraient voté pour Poutine. Des chiffres inédits que l’administration du président a « dessiné » d’avance en obligeant les fonctionnaires à voter pour fabriquer l’image d’une Russie apaisée.

Pourtant, on aurait tort de croire à ces résultats ou encore aux sondages, même indépendants, qui montrent l’adhésion inébranlable des masses russes au projet poutiniste. Comme le rappelle le sociologue russe Grigory Yudin, il est difficile de jauger les vraies attitudes de la société russe qui vit sous la contrainte de la répression d’État, sans liberté d’expression et sans liberté de la presse. Sans minimiser le soutien bien réel au poutinisme qui existe dans certains segments de la société russe, travaillés idéologiquement au quotidien par l’Etat, que ce soit à l’école, à l’université ou à travers des médias, il est difficile de formuler une autre réponse que « J’aime mon président ! » de la part des travailleurs qui subissent la coercition idéologique et ont peur de finir en prison pour des « crimes de conscience ».

Dans ce sens, les élections présidentielles doivent être considérées de la même manière que les flashmobs des lycéens en soutien à la guerre en Ukraine ou les bains de foule du chef d’État avec le peuple : une mise en scène caricaturale d’un régime qui avance à grands pas vers une dictature bonapartiste ouverte. Les candidats relativement hors du contrôle du régime n’ont pas été admis aux élections, ce qui exprime les inquiétudes du gouvernement de Poutine dans un contexte de guerre et de difficultés économiques qui pourraient alimenter des mécontentements futurs.

Les falsifications des bulletins se font à chaque élection en plein jour, sous l’œil des caméras installées dans les bureaux de vote. Il n’est donc pas surprenant que de plus en plus de personnes en Russie se radicalisent face à la farce électorale et déversent de la peinture dans les urnes pour saboter l’élection ou encore mettent le feu aux bureaux de vote. Les plus de 70 poursuites pénales ouvertes suite aux élections montrent que ce ne sont pas des cas anecdotiques, tout comme ne l’ont pas été des centaines d’attaques depuis 2022 contre les bureaux de conscription militaire.

L’opposition libérale a également cherché à contourner l’interdiction de manifester en appelant à une action « Midi contre Poutine », consistant à se rendre aux bureaux de vote à midi pile pour montrer sa contestation contre le régime. La queue est en train de devenir un nouvel outil politique en Russie : après les longues queues de ceux qui voulaient déposer leur signature en soutien au libéral anti-guerre Boris Nadezhdin, on a vu les queues de plusieurs kilomètres aux funérailles d’Alexei Navalny. Mais les queues créées devant les bureaux de vote ce dimanche ont eu l’effet inverse : quasiment privées de slogans, de pancartes ou de quelconque expression politique, les images de ces queues ont été immédiatement interprétées par les médias du régime comme un signe d’enthousiasme qu’ont les masses russes pour le processus électoral.

Cet échec parle également du caractère social et politique de cette opposition libérale et bourgeoise à Poutine. D’une part, elle limite largement ses expressions publiques à des actions symboliques, parfois spectaculaires, mais largement inoffensives pour le régime. Elle ne propose aucune perspective organisationnelle aux gens indignés par le régime, se limitant au fait de « diriger » les actions par des appels diffusés sur ses réseaux médiatiques mais en gardant sa base sous forme des individus désorganisés. En ce sens, dans la tradition des oppositions libérales russes, elle craint la mobilisation des larges couches populaires et prolétariennes et est incapable d’incarner une alternative véritablement progressiste et désirable pour les secteurs exploités et opprimés de la société, du fait même que la nature de son projet politique est totalement pro-impérialiste et pro-capitaliste.

D’autres secteurs bourgeois réactionnaires radicalisés passent à l’action directe contre le régime en se battant du côté ukrainien et menant des actions terroristes sur le territoire russe. Tout comme les libéraux, ils n’offrent aucune perspective d’émancipation aux classes populaires russes, visant simplement à supplanter le régime de Poutine par un régime pro-occidental, remplacer le pouvoir brutal d’une clique des proches de Poutine par une clique nouvelle. En fin de comptes, ils participent à renforcer le régime par leurs méthodes et leurs orientations politiques, proposant un alignement illusoire derrière les puissances occidentales, qui ont directement dirigé le désastre social et économique des années 1990, par la « thérapie de choc ». D’autres tentatives d’opposition « radicale » à l’intérieur du régime, comme la tentative avortée de putsch de Prigojine, ne réussissent pas non plus à déclencher l’enthousiasme des masses.

Cependant, le fait qu’en Russie, malgré toutes les intimidations une partie de la population cherche activement à exprimer son opposition au régime que ce soit à l’intérieur ou en dehors du cadre légal, indique que le prochain mandat de Poutine pourrait être beaucoup moins stable et paisible que prévu. Après deux ans de guerre dans laquelle le pays a perdu plusieurs centaines de milliers de soldats, de cette guerre qui a mutilé et traumatisé ceux qui ont survécu, de cette guerre qui s’invite dans les territoires frontaliers de la Russie par les attaques des drones ukrainiens et les incursions des unités spéciales, le mythe officiel de la « stabilité » sous Poutine commence à craqueler. Le régime cherche à acheter le soutien de la population avec des contrats militaires, à travers le paiement du « capital maternel », aide à la naissance, ou encore avec les primes qui sont payées aux familles des soldats morts, faisant en sorte que le seul ascenseur social qui existe actuellement en Russie pour les classes populaires c’est de pondre de futurs soldats ou de mourir au front.

Mais ces infusions ponctuelles d’argent ne sauraient dissimuler les effets de l’inflation, l’état catastrophique des infrastructures en Russie, délaissées au profit des dépenses militaires, ou encore la disparition de tous ces jeunes hommes dévorés par la machine de guerre et dont la perte se ressent particulièrement dans les zones rurales et dans les républiques nationales. Ce n’est pas anodin qu’à deux mois des élections présidentielles on a vu éclater les plus grandes protestations depuis le début de la guerre dans la république nationale de Bachkortostan, où plusieurs milliers d’habitants se sont livrés à de véritables affrontements avec la police pour défendre un militant local. Ce n’est pas anodin que ce sont les mères et les femmes des hommes mobilisés au front qui s’organisent contre le régime et manifestent pour le retour des soldats à la maison.

Même si pour le moment l’économie russe réussit à tenir face aux sanctions et à la rupture (partielle) avec les marchés occidentaux, il est possible que sur le moyen terme on commence à voir des effets négatifs profonds sur les conditions de vie des classes populaires et du prolétariat russe en particulier. Le « pacte social » poutinien serait ainsi en danger et son pouvoir possiblement déstabilisé. Mais même en cas d’explosion sociale dans ce contexte, cela ne veut pas dire que la Russie se dirigerait automatiquement vers une perspective plus progressiste. Au contraire, comme l’exemple de la révolte de Prigojine l’a démontré, d’autres variantes autoritaires pourraient prendre le pouvoir.

Aussi, la question clé reste celle d’une perspective de classe pour les travailleurs, pour la jeunesse, pour l’ensemble des classes exploitées et opprimées du pays. Si les projets alternatifs restent d’autres formes d’autoritarisme, l’alignement ou soumission à l’impérialisme occidental, aucun futur favorable se présentera pour le prolétariat russe.


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