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Crise politique

Royaume-Uni : la ministre de l’Intérieur limogée suite à la manifestation massive en soutien à la Palestine

Alors que le Royaume-Uni est marqué depuis plusieurs mois par l'instabilité politique, le mouvement de masse en soutien à la Palestine a rouvert un nouvel épisode de crise politique, secouant le régime britannique. Face à la crise, le limogeage du ministre de l’Intérieur suffira-t-il à stabiliser le régime ?

Irène Karalis

14 novembre 2023

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Royaume-Uni : la ministre de l'Intérieur limogée suite à la manifestation massive en soutien à la Palestine

Photo : compte X de Rishi Sunak

Ce lundi, le premier ministre britannique Rishi Sunak a annoncé que Suella Braverman, ministre de l’Intérieur, était écartée du gouvernement dans le cadre d’un remaniement ministériel. David Cameron, ancien premier ministre de 2010 à 2016, devient ministre des Affaires étrangères, remplaçant James Cleverly, qui est nommé au poste du ministère de l’Intérieur. Une tentative de stabiliser le régime qui survient comme une tentative de résoudre le nouvel épisode de crise politique ouvert par le mouvement de masse en soutien à la Palestine.

C’est sous pression du mouvement de masse que la police londonienne a autorisé contre l’avis du gouvernement, la manifestation en soutien à la Palestine prévue samedi 11 novembre à Londres. Alors que le Royaume-Uni commémorait l’armistice de la Première Guerre mondiale, la Première ministre britannique s’est opposée à cette décision, affirmant à plusieurs reprises qu’il jugeait la marche « irrespectueuse » et mettant aussi en avant les risques de « violences » en marge de l’évènement. Or, en dépit de la pression, la police n’a pas interdit la manifestation, déclarant qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes pour interdire la manifestation. C’est cette pression des mobilisations de masses qui a aiguisé des contradictions au sein de l’appareil d’Etat, ouvrant à un nouvel épisode de crise politique.

Braverman contre Cameron : un échange pour garder la main qui n’altère en rien le caractère réactionnaire du gouvernement

Connue pour être une militante « anti-woke » dont un des chevaux de bataille était de quitter la Convention européenne des droits de l’homme et avoir une politique plus dure en matière d’immigration, Suella Braverman a été nommée au poste de ministre de l’Intérieur par Rishi Sunak après avoir été limogée une première fois pour avoir divulgué des documents confidentiels à un député conservateur. Cette décision, prise à contre-coeur par le premier ministre britannique, avait pour objectif de s’assurer le soutien de la frange la plus dure du parti conservateur, tout en cherchant à canaliser la crise politique ouverte par le mouvement de masse.

Tôt ou tard, la porte-drapeaux des plus conservateurs des Tories allait se faire limoger. Naviguant entre polémiques et provocation, la ministre qui avait qualifié la vague migratoire au Royaume-Uni d’« ouragan » et expliqué que dormir dans la rue était un « choix de vie » de la part des sans-abri, la ministre avait également récemment qualifié les marches en soutien à la Palestine de « marche de la haine ». En septembre, celle qui avait affirmé quelques mois plus tôt que son « rêve » était de voir les demandeurs d’asile être déportés au Rwanda avait affirmé que les demandeurs d’asile au Royaume-Uni faisaient semblant d’être gays pour obtenir un « traitement spécial ». Au-delà de ces déclarations polémiques et suintant le racisme, la ministre a également été l’artisan des dernières mesures anti migratoires et xénophobes du gouvernement britannique, à l’image des prisons flottantes qui, en juillet, devaient accueillir 500 migrants pendant 18 mois dans le but de les parquer au large en attente de l’examen de leur dossier, et à propos desquelles elle avait expliqué qu’il s’agissait de « faire des économies ».

Le 10 novembre, une tribune parue dans The Times a été la goutte de trop. Dans ce texte, Braverman accusait la police d’être trop laxiste avec les manifestants de gauche et de les favoriser par rapport à ceux de droite. Des affirmations qualifiées de « source de division » et d’« incendiaires » par le reste du parti conservateur, dont une partie craignait depuis des mois que les polémiques créées par la ministre ne leur fasse perdre une partie de leur électorat. C’est à la suite de cette nouvelle polémique que Rishi Sunak a pris la décision de l’écarter du gouvernement, se débarrassant du même coup d’une potentielle concurrente à la tête du gouvernement.
Suella Braverman sera ainsi remplacée par James Cleverly, qui quitte donc son poste de ministre des Affaires étrangères. Mais le premier ministre a créé la surprise en annonçant l’entrée au gouvernement de David Cameron au ministère des Affaires étrangères. Premier ministre de 2010 à 2016, ce dernier est connu pour avoir lancé des politiques d’austérité violente contre les services publics qui ont détruit tout le service d’éducation et de santé au Royaume-Uni, pour avoir été le coeur d’un scandale de lobbying avec la société financière Greensill Capital et, surtout, pour avoir été l’artisan du Brexit.

En réalité, bien que provoqué par les déclarations abjectes de Braverman, ce remaniement n’a rien de progressiste, bien au contraire, et ne change rien au caractère réactionnaire du gouvernement britannique. Ainsi, James Cleverly, en tant que ministre des Affaires étrangères, s’est rendu en Israël quelques jours après l’attaque du Hamas du 7 octobre et a réaffirmé le soutien du gouvernement britannique au gouvernement israélien, avant de se rendre en Arabie Saoudite où il a déclaré selon le New York Times qu’il se « concentrait sur les efforts diplomatiques visant à obtenir la libération des otages, à garantir que les ressortissants étrangers puissent quitter Gaza, à dissuader toute escalade régionale et à faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à grande échelle. » Il a également déclaré que ses trois priorités en tant que ministre de l’Intérieur seraient « la protection du Royaume-Uni », « l’arrêt des bateaux » de migrants entre la France et le Royaume-Uni à travers la Manche et « le soutien à notre police pour qu’elle assure notre sécurité », ce qui annonce la couleur de la ligne du nouveau ministre de l’Intérieur britannique.

En ce qui concerne David Cameron, le journal israélien de gauche Haaretz titrait en 2015 : « David Cameron est-il le Premier ministre britannique le plus pro-israélien de tous les temps ? », expliquant que l’idée que Cameron perde les élections faisait « frémir les diplomates et les lobbyistes israéliens à Londres ». Autant dire que la ligne du gouvernement britannique, qui a depuis le 7 octobre affirmé son plein soutien à Israël, ne risque pas de changer avec ce remaniement.

Un remaniement pour stabiliser le régime face à la crise politique

Si ce remaniement ministériel ne va en rien changer au caractère profondément antisocial du gouvernement, il montre néanmoins des signes de fébrilité dans la continuité de la profonde crise politique au Royaume-Uni. Ces dernières semaines ont en effet eu lieu les manifestations les plus massives depuis des années dans le pays en soutien au peuple palestinien et samedi dernier, plus de 800 000 personnes sont descendues dans les rues de Londres, dans la plus grande manifestation de solidarité qui a eu lieu en Europe et que beaucoup ont comparé à la manifestation monstre contre la guerre en Irak le 15 février 2003. Rishi Sunak avait tenté d’interdire la manifestation, en déclarant que manifester le même jour que l’anniversaire de l’Armistice de la Première Guerre mondiale relevait de la « provocation » et du « manque de respect ».

Ces déclarations s’inscrivent dans la parfaite continuité du soutien inconditionnel du gouvernement britannique à l’État d’Israël. En visite à Tel Aviv le 19 octobre, Rishi Sunak avait ainsi déclaré : « Vous n’avez pas seulement le droit, vous avez le devoir de rétablir la sécurité de votre pays », légitimant ainsi les bombardements et l’opération militaire contre Gaza. Autre exemple du soutien inconditionnel et de la politique répressive du gouvernement britannique : un parlementaire nommé assistant ministériel a été démis de ses fonctions gouvernementales fin octobre après avoir écrit une lettre au Premier ministre dans laquelle il plaidait pour un cessez-le-feu.

Des déclarations qui ont déroulé le tapis rouge à l’extrême-droite dont des groupes de militants ont tenté d’attaquer la manifestation, près du Cénotaphe, monument en hommage aux soldats tués pendant la Première Guerre mondiale. Dans ce contexte explosif, les déclarations polémiques de Suella Braverman ont sûrement été considérées comme trop dangereuses. Avec Cameron et Cleverly, Sunak s’assure au moins que les trois postes les plus importants de son gouvernement sont entre les mains des franges modérées des conservateurs, rompant ainsi avec les partisans de la ligne dure. La nouvelle ministre de la Santé, Victoria Atkins, est ainsi elle aussi issue de l’aile libérale du parti.

Néanmoins, en limogeant la tête de la droite des Tories, Rishi Sunak prend le risque de s’aliéner ses partisans, ce qui pourrait déstabiliser son poste de premier ministre. Plus globalement, Robert Shrimsley, éditorialiste au Financial Times, explique que ce remaniement montre des signes de faiblesses : « La nécessité de retourner dans le passé pour trouver un ministre des affaires étrangères laisse penser que le gouvernement est à bout de souffle. Ces changements suggèrent également que Sunak évitera des élections anticipées. Il est difficile d’imaginer que Cameron revienne pour quelques mois seulement [...]. S’il a de la chance, il aura amélioré son gouvernement de manière significative, bien que très tardivement. Dans le cas contraire, il aura libéré les forces malveillantes qui ont détruit la plupart de ses prédécesseurs. »

Pour Rishi Sunak, ce remaniement constitue une nouvelle tentative de relancer son mandat avant les élections générales pour renouveler les 650 membres de la Chambre des communes et qui doivent se tenir au plus tard en janvier 2025. Les conservateurs sont en effet 20 points derrière les travaillistes dans les sondages, signe de la profonde crise politique que traverse le parti conservateur, qui a connu en moins de deux ans pas moins de trois gouvernements.

Le parti travailliste, lui, espère gagner les prochaines élections, sans pouvoir garantir totalement de stabiliser le régime. Le parti a, lui aussi, été largement discrédité autour des positions de son dirigeant, Keir Starmer, qui avait affirmé qu’« Israël a le droit de se défendre », des déclarations suivies d’une cascade de démissions de cadres de l’organisation et qui ont été dénoncées par les manifestants, qui ont accusé le chef du Parti travailliste de complicité avec Israël au même titre que Rishi Sunak et Joe Biden. Finalement, la crise politique que connaît le régime au Royaume-Uni pourrait approfondir les brèches ouvertes du côté de la lutte des classes.


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