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Europe forteresse

Royaume-Uni. Malgré un revers au Parlement, le projet d’expulsion de migrants vers le Rwanda reste d’actualité

Au Royaume-Uni, la Chambre haute du Parlement a voté une motion pour repousser le plan Rwanda, ce qui ne remet pas pour autant en cause le projet d’expulsion massive de migrants. Une tentative qui s’inscrit dans la droite lignée des politiques xénophobes menées par les Etats européens.

Camille Yomiclo

30 janvier

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Royaume-Uni. Malgré un revers au Parlement, le projet d'expulsion de migrants vers le Rwanda reste d'actualité

Crédits photos : Le premier ministre Rishi Sunak tient une conférence de presse, Number 10

Le « plan Rwanda » : une politique migratoire xénophobe en discussion au Royaume-Uni

Le 17 janvier dernier, le premier ministre britannique Rishi Sunak est parvenu, avec 320 votes pour et 276 contre, à faire adopter devant la Chambre des communes (chambre basse du parlement) un projet de loi visant l’expulsion de migrants demandant l’asile vers le Rwanda, sur fond de rhétorique xénophobe. L’objectif du « plan Rwanda » est clairement affiché : décourager les traversées de la Manche vers le Royaume Uni.

Après un passage réussi devant la Chambre basse du parlement, le texte a été présenté à la Chambre haute (Chambre des Lords) le 22 janvier dernier, dans laquelle les conservateurs n’ont pas la majorité. À 214 voix contre 171, les Lords demandent à retarder la ratification du traité signé entre Londres et KigaliLes Lords n’ont en effet pas le pouvoir de bloquer la ratification du traité : le gouvernement peut ainsi passer outre, comme l’a laissé entendre Rishi Sunak. De même, la motion votée par la Chambre haute ne s’attaque aucunement aux principes du traité. Elle demande simplement au gouvernement de mettre en place davantage de garde-fous légaux pour assurer la sécurité des demandeurs d’asile expulsés vers le Rwanda. Pas de quoi mettre à mal le « plan Rwanda ».

En 2022, les traversées s’évaluaient à 45 000 et pour l’année 2023, elles gravitaient autour de 30 000. Un nouveau cimetière maritime se crée à mesure que les politiques migratoires se durcissent : le week-end dernier, cinq migrants sont morts dans la Manche, en tentant de rejoindre les côtes anglaises.

Peu après ce drame humain, David Cameron a annoncé poursuivre une politique migratoire sécuritaire visant à stopper l’arrivée d’embarcation sur les côtes du Royaume-Uni, en misant notamment sur la réussite du projet de loi avec le Rwanda. Il s’agit d’un projet d’externalisation des demandes d’asile au Royaume-Uni vers l’Etat d’Afrique de l’Est.Une somme d’argent de près de 280 millions d’euros a déjà été versée par le Royaume-Uni au Rwanda, afin de mettre en place les conditions d’accueil de ces demandeurs d’asile expulsés. Il sera ainsi à présent possible pour le gouvernement britannique de renvoyer des personnes dans un pays avec lequel elles n’ont aucun lien. Pour le Rwanda, au-delà de l’intérêt économique d’un tel accord, il recouvre aussi un intérêt géostratégique. En revêtant le rôle de gardien des frontières du Royaume-Uni, le gouvernement de Paul Kagame pourrait compter sur le soutien diplomatique du gouvernement britannique en cas d’intensification du conflit avec la République Démocratique du Congo.

Ce texte répressif à l’égard des étrangers illégalisés est largement décrié, jusqu’à l’ONU qui déclare cette dernière version toujours incompatible avec le droit international. Le projet de loi adopté viole la convention de Genève qui interdit les sanctions à l‘égard des personnes arrivées illégalement sur un territoire, et bien d’autres conventions internationales en matière de droit de l’Homme, le Rwanda étant loin d’être un modèle en matière de respect des droits de l’Homme. En effet, les exécutions extrajudiciaires et le recours à la torture y sont récurrents.

Le plan Rwanda s’inscrit dans la droite lignée des dernières réformes ciblant les étrangers sur le territoire. Fin 2023, le gouvernement britannique avait annoncé qu’il se donnait comme objectif de diminuer d’au moins 300 000 personnes les arrivées annuelles de migrants sur son sol. Plusieurs mesures répressives ont déjà été adoptées à l’égard des étrangers au Royaume-Uni : l’augmentation du seuil de ressources annuelles (passant de 26 200 livres à 38 700 livres) pour demander un visa de travailleur qualifié, la limitation du regroupement familial pour les personnels soignants ou encore l’augmentation des frais d’accès au service de santé public. Cette dernière mesure étant présentée à la fois comme un moyen de résorber la crise du National Health Services tout en freinant les flux migratoires.

Un projet de loi qui cause des troubles au sein du parti conservateur

Dans sa version initiale, le projet de loi présenté le 7 mars 2022 porté par Boris Johnson n’avait jamais pu être mis en œuvre. Des migrants de différentes nationalités, illégalisés, devaient être renvoyés par avion en 2022 à Kigali, capitale du Rwanda. Un premier vol de déportés avait été stoppé in extremis sur le tarmac par une décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Par la suite, le projet de loi a essuyé un second échec en ayant été déclaré illégal par la Cour Suprême le 15 novembre dernier, en raison des risques encourus par les demandeurs d’asile expulsés au Rwanda. Elle estimait que les migrants, une fois arrivé au Rwanda, risquaient d’être renvoyés dans leurs pays d’origine et ainsi exposés à des persécutions. Le nouveau texte adopté par la Chambre basse, adossé à un nouvel accord entre le Rwanda et le Royaume-Uni, prétend empêcher (formellement) cette possibilité de renvoi des migrants depuis le Rwanda vers leurs pays d’origine et définit le Rwanda comme un « pays d’origine sûr » - points sur lesquels la Chambre haute a demandé davantage de garanties. Il propose également de s’affranchir de certaines dispositions de la loi britannique sur les droits humains afin de limiter les recours en justice contre les mesures d’expulsion vers ce nouveau partenaire d’Afrique de l’Est.

Les débats autour de ce projet de loi qui est loin de faire l’unanimité ont profondément accentué la crise au sein du gouvernement conservateur de Rishi Sunak, qui peine à rassembler autour de sa politique migratoire l’aile la plus à droite de son gouvernement et l’aile plus modérée. Un projet qui revête pour le premier ministre un enjeu électoral de premier ordre, avec des élections législatives qui arrivent à grands pas et la montée du parti travailliste dirigé par Keir Starmer, plus à droite que jamais, qui devance les conservateurs dans les sondages.

Après le rejet de la première version du texte devant la Cour Suprême, le premier ministre Rishi Sunak s’était engagé dans une refonte du projet de loi et avait même déclaré envisager une sortie des conventions internationales et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Une partie du camp conservateur encourageait alors à faire décoller les avions en faisant fi de la décision de la Cour. D’autres soulignaient la réussite du « modèle australien », qui montrerait le chemin à suivre en matière de politiques migratoires.

Ce revers infligé par la Cour Suprême a fortement fragilisé le gouvernement, avec la démission du ministre de l’immigration Robert Jenrick le 7 décembre, qui jugeait la version initiale trop « molle ». Plusieurs députés de l’aile droite des conservateurs ont demandé une législation d’urgence pour annuler la décision de la Cour Suprême. Six parlementaires ont déposé une lettre de censure, visant à défaire de son poste le premier ministre. Bien que n’ayant pas atteint les 53 lettres nécessaires pour déclencher une élection interne, cet épisode a marqué la situation de crise au sein du parti conservateur.

Le feuilleton politique ne s’est pas arrêté là. Durant les échanges dans la Chambre des communes autour de la nouvelle version du projet de loi de janvier 2024, deux vice-présidents du parti conservateur, Lee Anderson et Brendan Clarke-Smith, se sont à leur tour rebellés, avec le soutien de l’ancien premier ministre Boris Johnson. Ils ont annoncé dans une lettre commune leur démission au premier ministre, dénonçant la réticence du gouvernement à durcir davantage le projet de loi. Rishi Sunak a fini par parvenir à rallier une partie des dissidents après qu’il se soit engagé à stopper les traversées d’embarcation de personnes migrantes sur la Manche.

La motion votée par la Chambre haute, si elle ne met pas à mal l’exécution du « plan Rwanda », devrait avoir pour effet de prolonger ce feuilleton au sein du gouvernement conservateur qui se déchire encore aujourd’hui autour de ce projet de loi. La frange modérée estime que le texte en l’état va à l’encontre des droits de l’Homme et des conventions internationales, notamment en limitant les possibilités de recours des demandeurs d’asile expulsés. L’aide droite des conservateurs trouve au contraire que ce texte ne va toujours pas assez loin et ne suffira pas à enrayer les flux. Ce texte permet selon eux à la Cour Européenne des Droits de l’Homme de stopper des expulsions de demandeurs d’asile vers le Rwanda, au cas par cas.

Une déclinaison nationale des politiques ultra-droitières de l’Union Européenne

Le « plan Rwanda » envisagé au Royaume-Uni rappelle aussi les politiques migratoires xénophobes et meurtrières de l’Union Européenne. Si le pays ne fait plus partie de l’Union, le nouveau Pacte Asile et Immigration de l’UE annonce lui aussi le renforcement de l’Europe-forteresse, en développant notamment davantage la politique d’externalisation de ses frontières avec la délégation de la « gestion des personnes migrantes » à des pays tiers. Le Royaume-Uni applique dans les faits les mêmes directives de l’UE, tout comme l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche ou encore la France avec sa nouvelle loi anti-migrant qui a de quoi faire rougir l’extrême-droite. Ces politiques migratoires, menées dans une large partie des Etats-membres de l’UE quels que soient les gouvernements, font des pays tiers les nouveaux gendarmes de l’Europe. Des pays semi-coloniaux deviennent ainsi les sous-traitant de ces politiques criminelles.

Loin de satisfaire leur objectif de réduction des « flux migratoires », ces lois ont comme principal effet d’accroitre le nombre de morts sur les routes de l’exil. Face à ces politiques assassines, il est plus qu’urgent de lutter au Royaume-Uni comme en France pour l’ouverture des frontières et la régularisation de tous les sans-papiers, massivement illégalisés à mesure que se durcit l’Europe-forteresse.


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