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Fermes-usines

Mensonges, « corruption évidente » : le scandale écologique de l’industrie porcine dans le Finistère

A Landunvez dans le Finistère, la méga-porcherie Avel-Vor est un désastre écologique et sanitaire pour les habitants. L’élevage industriel, en concentration continue, est un secteur puissant de l’économie bretonne. Les fermes-usines se multiplient et bénéficient de l’appui indéfectible de l’État. Depuis 2016, habitants et associations du pays d'Iroise luttent contre l’extension de la porcherie.

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Mensonges, « corruption évidente » : le scandale écologique de l'industrie porcine dans le Finistère

Un cochon gonflable lors d’un événement festif du collectif « Stoppons l’extension ! » à Landunvez au printemps dernier. Crédit photo : Ambredav

Les « tripatouillages » de l’ARS

Le 22 juin dernier le tribunal administratif de Rennes donnait raison à l’association Eau et Rivières de Bretagne (ERB) dans le contentieux qui l’opposait à L’Agence Régionale de Santé (ARS) de la région. Selon le jugement, l’ARS, depuis 2016, a bel et bien « tripatouillé » - selon les mots même du rapporteur - les chiffres concernant la qualité des eaux de baignade.

Lors de sa surveillance de la qualité des eaux, l’agence a sciemment écarté des mesures lors d’épisodes pluvieux, tout en éloignant des points de prélèvement des sources de pollution. Cela a eu pour effet d’augmenter fallacieusement le nombre de plages bien classées dans le pays d’Iroise (au nord de Brest), ce qui est déterminant pour l’ouverture de ces dernières et l’attractivité touristique de la région.

Par le biais de ce « tripatouillage », l’ARS contribue à masquer ce qui est la source de pollution la plus probable : les effluents des élevages industriels, dont la concentration en Bretagne est hors-norme.

Avec une estimation de 6,8 millions de têtes en 2022, les porcs sont deux fois plus nombreux que les humains dans cette région. Le département du Finistère se place tout en haut du classement, en hébergeant pas moins de 19,4 % de la population porcine de France en 2022.

Dans le même temps, le nombre d’exploitations n’a cessé de diminuer tandis que leur taille poursuit le chemin inverse. Entre 2010 et 2020, 31 % des exploitations et des emplois correspondants ont disparu.

Cette concentration industrielle de l’élevage de porcs est désastreuse : du lisier épandu, parfois directement dans les rivières, en passant par les quantités astronomiques de produits phytosanitaires nécessaires à la production des aliments, de la prolifération des algues vertes, de la pollution par l’ammoniac, de la privatisation de points d’eau à l’accaparement des terres arables par une minorité, de la destruction de la santé des travailleurs et travailleuses menant parfois à leur mort, des conditions proprement horribles qui règnent dans les abattoirs pour les humains et les non humains, la liste est longue. Ces catastrophes environnementales, sanitaires, sociétales et économiques sont perpétrées avec l’assistance de l’État pour le plus grand profit des industriels au nom de la « souveraineté alimentaire ».

Par ailleurs, militants écologistes, citoyens et journalistes sont également victimes d’intimidation, de procédures baillons et de menaces. Que ce soient Inès Léraud attaquée en justice par l’agro-industrie, Morgan Large, Fabrice Hamon ou encore François Florenty dont les voitures ont été sabotées, parler de l’industrie porcine, de ses mensonges et de ses ravages ne se fait pas sans conséquences.

Avel Vor : État et industrie porcine main dans la main pour saccager l’eau

Si la politique de « tripatouillage » de l’ARS montre l’appui des différents relais étatiques à l’industrie porcine, le cas Avel Vor en constitue une illustration éclairante.

La plage de Penfoul, à Landunvez, est très appréciée des surfeurs et des familles. Pourtant, ce paysage de carte postale se transforme régulièrement en un lieu peu propice aux activités sportives et vacancières. Tandis que la rivière en amont est empuantie par l’odeur âcre du lisier de porc, les eaux de la plage d’habitude azuréennes dans lesquelles se baignent les familles prennent une couleur marron et trouble.

La plage de Penfoul à marée haute.

À quelques centaines de mètres de là, Philippe Bizien, fils de Jean-Michel Bizien, maire pendant 20 ans de Landunvez, possède une méga-porcherie : Avel Vor. Et elle se porte bien. Entre 2008 et 2016, les extensions successives ont permis de doubler la production d’animaux.

Ce qui permet aujourd’hui à l’exploitation – l’une des plus grosse de France - de faire sortir plus de 27000 porcs charcutiers par an. La dernière extension, construite en 2016 dans la foulée de l’autorisation préfectorale contre l’avis même de ses services, fait l’objet d’une lutte sur le terrain judiciaire entre différentes associations environnementales [1] et notre « exploitant ».

Armelle Jaouen, élue municipale de Saint-Renan, très active dans cette lutte par le biais du collectif « Stoppons l’extension », nous explique « qu’un travail énorme a été fait par [ces] associations », notamment scientifique et juridique. Sur le plan judiciaire, ce travail de fond a porté ses fruits : à une première victoire en 2019 au tribunal administratif a suivi une seconde devant la cour d’Appel de Nantes en 2021. Et pourtant, l’extension – pour rappel construite depuis 2016 – a été systématiquement « autorisée temporairement » par les préfets successifs.

La méga-porcherie Avel Vor.

L’élue municipale pointe que « ce qui est très curieux, c’est que tous les dossiers sont faits comme s’il s’agissait d’une régularisation, tout en les qualifiant de nouvelle autorisation  ». Ce tour de passe-passe juridique a permis la poursuite de l’exploitation de Philippe Bizien. Une nouvelle autorisation en novembre 2022 est intervenue suite à une enquête publique favorable et biaisée menée par l’ex-gendarme Jacques Soubigou et l’entérinement du CODERST [2], dont la composition était majoritairement à la solde des intérêts de l’agro-industrie.

C’est que Philippe Bizien est un héritier très influent qui cumule de multiples fonctions : gérant d’une ferme-usine (qui produit les porcs, leur nourriture, l’énergie nécessaire aux installations), ancien président du Comité Régional Porcin - un lobby du porc -, nouveau président d’INAPORC, président d’Evalor, une entreprise de méthanisation. Cette dernière est co-détenue par Evel’up, la très puissante coopérative d’exploitants porcins qui regroupe 30 % de la production en Bretagne, dont Bizien est également le président.

Ajoutons à cela la présidence du syndicat Confédération Agricole pour dit-il dans le Télégramme, «  ramener de la science dans les débats sociétaux actuels qui se nourrissent trop souvent de considérations émotionnelles ».

Une vision de la « science » très personnelle

Une « science » dont l’exploitant a une définition particulière. Les études d’impact nécessaires à l’autorisation des installations sont négligées, copiées-collées d’un dossier à l’autre. Selon la MRAE [3], qui en faisait état dès 2015 et a renouvelé ses critiques en 2021, les dossiers de Philippe Bizien sont faussement scientifiques. Ils en possèdent les atours - courbes, graphiques, calculs complexes sur des centaines de pages - mais pas le fond.

Ils ne prouvent rien quant à la prétendue innocuité d’une installation qui produit 27 000 porcs charcutiers à l’année. Qui consomme 40 000m³ d’eau par an. Qui déverse dans les champs et les bassins versants des plages les déjections de ces dizaines de milliers d’animaux.

Laurent Le Berre, administrateur d’ERB, ajoute que l’exploitant « fait comme s’il était seul au monde », alors qu’on retrouve plusieurs installations porcines le long du Foul, la rivière qui se jette dans la mer et à laquelle est accolée l’exploitation de Bizien. Sans compter toutes celles qui existent sur le territoire.

Un porc, c’est l’équivalent en émissions de bactéries E. Coli et entérocoques [4] de 30 humains selon une étude de l’IFREMER [5]. Si l’on multiplie 27 000 porcs par 30, on arrive à l’équivalent des déjections de pas moins de 810 000 personnes sur une année dans un village qui compte 1 500 habitants.

Des mesures ont en outre permis de déceler des quantités très importantes de
phosphore, d’azote et de potassium (NPK). Ces substances, non régulées, sont les bases de la vie végétale. Seulement, à haute dose [6], comme dans les engrais et les fèces de porcs, elles posent des problèmes de pollutions, comme l’apparition des fameuses algues vertes.

De plus, les ressources en eau sont privatisées, dont le point de captage de Querelet, à Landunvez. Ce que ne manque pas de rappeler Laurent Le Berre, évoquant « 30% des terres d’épandage au profit de Phillipe Bizien » autour de cet ancien point d’eau. Comme l’explique le journal breton Splann dans un article très fourni, le lieu n’étant plus un point de captage, il ne bénéficie plus des protections afférentes à ce type de ressource. Mais pour notre exploitant, c’est une aubaine : non seulement il peut utiliser cette eau à son profit, mais également épandre les énormes quantités de lisier dans des champs qui ne servent plus qu’à cela, car ne pouvant même pas être totalement absorbées par les cultures.

Ensuite, la pluie fait son œuvre : les champs sont lessivés, les molécules et micro-organismes se déversent dans les rivières alentours, et c’est toute une chaîne de différentes exploitations qui viennent polluer les plages. Tout récemment, l’association Surfrider a confirmé via ses propres analyses à Penfoul ce qui n’est une surprise pour personne : dans un lieu où viennent se baigner les enfants, les taux d’E. Coli et entérocoques explosent la limite autorisée tandis que l’ARS, qui semble fidèle à ses méthodes mensongères, mesure des taux systématiquement 10 fois en-dessous des analyses indépendantes, en prélevant des échantillons loin des zones de baignade. Résultat, la plage de Penfoul est classée comme suffisante, et des industriels comme Philippe Bizien peuvent brandir ces résultats falsifiés comme preuve de la bonne tenue de leur exploitation.

« le dialogue est inutile, il faut contraindre ces gens là »

La pugnacité des militantes et militants écologistes, et d’un collectif comme « Stoppons l’extension ! », ont permis de montrer au grand jour le rôle de l’Etat aux côtés de l’exploitation de Philippe Bizien et leurs responsabilité dans les pollutions de l’eau. Armelle Jaouen considère que s’ils ont obtenu des avancées, celles-ci n’ont pas réussi pour autant à stopper Philippe Bizien. Elle le cite : « Vous pouvez y aller, avec votre prochain recours j’en ai encore pour 5, 6 ans devant moi ».

En effet, les multiples recours juridiques gagnés par les associations et collectifs n’ont en rien empêché la poursuite de la construction de l’extension de la porcherie, aujourd’hui achevée. Un de nos interlocuteurs, passé par la haute administration et diverses institutions européennes, détaille ainsi : « tous les appels étant de fait suspensifs, il suffit d’enchaîner les autorisations, même formellement annulées par des jugements successifs espacés de deux ou trois ans, pour être sûr d’amortir le capital investi. Les sanctions sont non seulement symboliques (quelques milliers d’euros), mais en plus elles touchent l’État, soit in fine les contribuables. Sans que jamais les exploitants aient à supporter la moindre conséquence judiciaire, sanction, amende ou astreinte. »

L’ancien haut fonctionnaire évoque par ailleurs « des politiques qui cultivent l’inertie » tout en s’accordant systématiquement sur les positions patronales, avec « des préfets plus sensibles à l’ordre, et donc au rapport de forces, qu’à l’intérêt général » et «  La corruption évidente » au niveau local. Il conclue : « le dialogue est inutile, il faut contraindre ces gens là ».

Avel-Vor est avant tout un projet symbolique du capitalisme dans la sphère agricole, d’un élevage industriel perfusé à l’argent public. La justice, qui peut être contrainte grâce à un rapport de force de longue haleine à reconnaître ces pollutions, est cependant structurellement taillée pour permettre aux patrons de continuer à amasser les profits au détriment de l’environnement et des riverains.

Ces exploitations très destructrices ne représentent pourtant qu’une petite partie des travailleuses et travailleurs autour de cette industrie. 70% des salariés le sont dans les abattoirs. Ces ouvriers et ouvrières, exploités dans des conditions inhumaines pour des salaires de misère, vivent également dans ces territoires détruits. Le peu qui est syndiqué subit la répression, et prend également le risque de se faire tabasser comme le démontre l’exemple très récent de deux syndicalistes de l’abattoir de Guerche-de-Bretagne en Ille-et-Vilaine. Au même titre que les militantes et militants écologistes. Pour mettre fin aux pollutions de l’industrie porcine, et « contraindre ces gens-là », c’est un rapport de force conséquent qu’il va falloir créer en cherchant à affermir un lien entre ces concentrations ouvrières exposées aux conséquences terribles de l’élevage, et les collectifs de riverains et écolos qui luttent contre ces pollutions.


[2Le CODERST est une commission multi-partite qui rend des avis consultatifs sur différents projets qui peuvent avoir des répercutions sanitaires.

[3La Mission régionale d’autorité environnementale. Instance consultative régionale qui n’a pas
de pouvoir de décision mais à laquelle sont systématiquement soumis des dossiers d’études, à propos desquels elle rend un avis, comme ce fut le cas pour l’extension de la ferme-usine de Philippe Bizien.

[4Escherichia coli est une famille de bactéries qui peut être pathogène. Les entérocoques sont une famille de bactéries pathogènes responsables d’infections diverses.

[5Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer. L’étude est citée ici, section 3.2.1

[6Par le mécanisme d’eutrophisation des milieux terrestres et aquatiques



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