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Génocide

Bombardement du patrimoine à Gaza : Tsahal « détruit notre présent, mais également notre passé »

Depuis le début des frappes israéliennes, le patrimoine historique de Gaza, vieux de plusieurs siècles, subit des destructions irrémédiables. Une disparition des monuments et un effacement méthodique de la culture palestinienne qui va de pair avec l’entreprise génocidaire israélienne.

Antoine Chantin

14 février

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Bombardement du patrimoine à Gaza : Tsahal « détruit notre présent, mais également notre passé »

Église Saint-Porphyre de Gaza / crédit photo : Wikimedia Commons - rahimabaid

Depuis le 7 octobre, il y a un peu plus de quatre mois, la guerre génocidaire menée par l’État israélien détruit tout sur son passage. Les bombes et les raids lancés par l’armée coloniale ont mis fin à la vie de plus de 28.000 personnes, dont 5.000 enfants, et l’a rendue impossible pour les survivants, en détruisant 70% des habitations du territoire gazaoui, un chiffre qui monte a 85% pour la seule partie Nord de l’enclave. Ainsi, les bombardements massifs de Tsahal ont soufflé une immense partie des infrastructures essentielles du territoire, a commencer par les hôpitaux et les écoles, tout en détruisant les réseaux d’eau et d’électricité. 
 
Cette entreprise mortifère, qui a tué par milliers et qui continue de semer la mort, ne s’attaque pas uniquement aux habitants de l’enclave. Elle efface aussi, jour après jour, l’histoire, la culture, les vestiges de tout un peuple. Pour Mohammed Abulehia, fondateur du Musée d’al-Qarara à Khan Younès, « C’est comme s’ils lançaient ces attaques avec l’intention de détruire non seulement notre présent et notre avenir, mais également notre passé. » Visé par plusieurs bombardements, le musée de ce dernier a été fortement endommagé, réduisant en poussière une grande partie de ses collections, qui comptaient, notamment, des pièces remontant au deuxième millénaire avant J.-C. Un cas malheureusement loin d’être unique. Depuis l’offensive armée, l’ONG Icomos, qui œuvre à la protection du patrimoine culturel mondial, a recensé 200 sites détruits ou partiellement détruits sur les 350 que compte l’enclave palestinienne. Une politique consciente, que Tsahal mène depuis le premier jour du conflit, avec des dizaines de sites patrimoniaux pris pour cibles dès le 7 octobre.
 

Le bombardement d’un « musée à ciel ouvert »

 
Des destructions qui alarment l’UNESCO. L’agence de l’ONU chargée de la protection du patrimoine culturel mondial s’est ainsi dite « profondément préoccupée par l’impact des combats en cours sur le patrimoine culturel », dans un communiqué du 18 décembre 2023. Pourtant, tout comme l’agence des Nations unies en charge des réfugiés à Gaza (UNRWA), l’UNESCO ne pèse que peu face au rouleau compresseur israélien. Dans un état de siège complet depuis quatre mois, limitant extrêmement l’action de l’aide humanitaire et empêchant toute intervention de préservation culturelle à Gaza, l’UNESCO en est réduite à devoir surveiller « à distance l’impact du conflit sur le patrimoine culturel dans la bande de Gaza et dans la région, en s’appuyant sur les données satellitaires et les informations transmises par l’UNITAR/UNOSAT ».
 
Une surveillance par satellite, mais également l’inscription de certains sites sur la liste internationale des biens culturels sous protection renforcée, à l’image du monastère Saint Hilarion, le 14 décembre dernier, ne freinent en rien la destruction quotidienne du patrimoine culturel et historique de la bande de Gaza par Israël. « Ces sites risquent de disparaître si on ne les prend pas en charge dans les mois à venir », relate ainsi l’archéologue français René Elter, contraint de quitter l’enclave au début du conflit. Car les principaux joyaux de ce territoire, que l’archéologue qualifie de « musée à ciel ouvert », ont pour certains déjà été totalement détruits.
 
Ainsi, la grande mosquée Al-Omari, la plus ancienne de Gaza a été rasée par les bombardements, tout comme sa bibliothèque qui comptait de nombreux ouvrages précieux. Il s’agissait d’une ancienne église byzantine construite au Ve siècle sur ce qui était peut-être un temple philistin, transformée en mosquée au VIIIe siècle quelques décennies après l’Hégire. Subsistent des décombres et le minaret de cet édifice qui avait, durant des siècles, survécu à des tremblements de terre, aux incursions des Templiers ou des Ayyoubides et aux bombardements britanniques. Un véritable drame culturel, auquel s’ajoute, entre autres, la destruction de l’église byzantine de Jabaliya. Ce site archéologique, découvert en 1997, n’avait été ouvert que récemment au public, 2022. Il a été totalement détruit lors du bombardement de l’hôpital du camp de Jabaliya qui le jouxte, visé par « un bombardement direct » selon l’ONG Heritage For Peace.
 
Les infrastructures culturelles étrangères ne sont pas en reste. La France, qui soutient inconditionnellement son allié israélien, lui fournissant armes et bombes depuis le début du conflit, tout en réprimant toute dénonciation du génocide en cours, a elle-même fait les frais de cette politique d’anéantissement. L’Institut français de Gaza, construit sur un terrain offert au Président Chirac par Yasser Arafat, a été directement visé par les bombardements de Tsahal. Une attaque qui avait valu à Tel-Aviv des demandes d’explication de la part de Paris, sans toutefois que l’exécutif français ne remette en cause sa complicité dans le massacre du peuple palestinien.
 

Effacer tout un peuple de l’histoire

 
Cette destruction, survenue seulement un mois après le début de l’offensive armée, aura au moins permis de dévoiler au grand jour, s’il le fallait, la supercherie du discours officiel de l’État hébreu, qui clame, jusqu’à aujourd’hui, ne viser que des infrastructures liées au Hamas. Une supercherie d’autant plus flagrante que les monuments historiques visés, tout comme les nombreux hôpitaux assiégés et détruits, abritaient un grand nombre de déplacés palestiniens. Deux jours après avoir visé l’hôpital baptiste al-Ahli al-Arab, en service depuis 141 ans, le 18 octobre 2023, l’armée israélienne visait directement l’église orthodoxe grecque de Saint-Porphyre qui se trouve à proximité, et où s’étaient réfugiés des dizaines de Palestiniens.
 
Cette politique de destruction systématique du peuple palestinien et de son patrimoine, est consciemment menée et exécutée par l’État Israélien. En ce sens, la destruction à la dynamite de l’université Al-Israa et de son musée archéologique, il y a quelques semaines démontre la volonté délibérée du régime colonial de détruire le patrimoine palestinien. « On ne sait pas si les Israéliens ont pillé ce qu’ils y ont trouvé ou s’ils l’ont tout simplement détruit. C’est une guerre israélienne contre les Palestiniens dans tous les domaines. Pour prouver qu’il n’y a pas de peuple palestinien et qu’il n’y a même pas de patrimoine palestinien. », avait alors réagit Anwar Abu Eisheh, ministre de la culture de l’Autorité palestinienne entre 2013 et 2014.
 
Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de l’effacement de tout un peuple de l’Histoire. Une entreprise génocidaire à l’œuvre depuis 1948, comme l’a documenté l’historien israélien Ilan Pappé. Pour Najla Nakhlé-Cerruti, chargée de recherche au CNRS et spécialiste du théâtre en arabe, « il y a un vrai vide en sciences sociales et humaines sur Gaza, car les chercheurs n’y ont pas accès. Cela contribue à l’effacement à tous les niveaux, notamment du point de vue de la science, qui pourrait contribuer à fixer des mémoires et des connaissances. »
 
« Israël anéantit l’identité de Gaza, que son objectif soit d’écraser le Hamas ou non. Le patrimoine, c’est plus que de la culture. Ce sont des pratiques sociales, économiques… Tout cela est en train d’être perdu », déplore Shireen Allan, présidente d’Icomos Palestine. Une volonté de s’attaquer au « au présent, au passé et au futur » que le bombardement de nombreux cimetières depuis le 7 octobre illustre cruellement. Un effacement qui ne semble pas près de prendre fin, alors que le président israélien Benjamin Netanyahu, semble prêt à franchir un nouveau cap dans le nettoyage ethnique en cours, en demandant à Tsahal de préparer un plan visant à expulser le million de Gazaouis réfugiés à Rafah.


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