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Argentine

A Davos, Milei prône la surexploitation et attaque les féministes, les écologistes et le « socialisme »

Pour la première fois de son mandat, le président ultra-libéral s’est exprimé au forum économique mondial de Davos. A partir d'amalgames conceptuels et de chiffres douteux, il a expliqué que l’Occident serait menacé par le « socialisme ».

Daniel Satur

18 janvier

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A Davos, Milei prône la surexploitation et attaque les féministes, les écologistes et le « socialisme »

Crédits photo : Capture d’écran Word Economic Forum

Ce mercredi, à l’occasion de l’ouverture du Forum de Davos en Suisse, Javier Milei s’est exprimé pendant 25 minutes devant une assemblée composée de chefs d’État et de PDG des plus grandes entreprises du monde, formant une partie importante de l’élite capitaliste mondiale. Dans son discours, le président argentin a fustigé les idées « collectivistes », en particulier le « socialisme », soi-disant responsables de tous les maux qui existent sur Terre, et défendu coûte que coûte les « avantages » du système capitaliste, y compris le développement de monopoles.

Pour cela, mélangeant des définitions économiques et politiques, il a prononcé un discours combinant des affirmations historiques sur l’évolution de l’humanité et des données « statistiques » douteuses. Avec ces mensonges dissimulés dans une conférence au ton professoral, l’objectif est très clair : justifier « théoriquement » auprès du pouvoir économique international son plan de guerre brutale contre la classe ouvrière argentine au profit des entreprises nationales et multinationales. Tout cela dans le but de les inviter à conclure de nouvelles affaires et d’acheter aux enchères les ressources naturelles de l’Argentine.

Le plus ridicule est que Milei a accusé les capitalistes les plus puissants du monde d’être des « socialistes »... Cela mêmes qui, selon le nouveau rapport d’Oxfam (un réseau d’organisations humanitaires opérant dans 90 pays), sont les véritables causes et garants de la misère de milliards d’habitants de la planète. Ce rapport précise que« depuis 2020, les cinq hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune tandis que, dans le même temps, la richesse cumulée de 5 milliards de personnes a baissé ». Même l’école autrichienne d’économie, hétérodoxe très libérale, n’oserait pas nier le lien direct entre les deux.

À Davos, Milei a répété plusieurs fois les affirmations fallacieuses avec lesquelles il s’est fait connaître dans les médias il y a quelques années et autour desquelles il a structuré sa campagne présidentielle en 2023. Par exemple, que l’Argentine aurait été « la première puissance mondiale » entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème ou que le développement du capitalisme a généré « une explosion de richesse » qui a aujourd’hui « sorti 90 % de la population mondiale de la pauvreté ». Ou encore que le capitalisme est si « vertueux » qu’il va jusqu’à « promouvoir la paix ».

Se sentant entouré d’amis, Milei a demandé aux bénéficiaires de la surexploitation capitaliste « comment se fait-il que le monde académique, les organisations internationales, la politique et la théorie économique diabolisent un système économique » qui est « juste et moralement supérieur » à tout autre. « Grâce au capitalisme de libre entreprise, le monde est aujourd’hui au mieux de sa forme », a-t-il dit à ceux-là même qui appauvrissent le monde.

Haine des femmes, de l’environnement et de la gauche

Logiquement, lorsque Milei dit aux patrons du monde que « l’Occident est en danger », il n’en trouve aucune des causes dans le développement capitaliste. Au contraire, il revient une fois de plus à son bouc émissaire favori : le « socialisme », une sorte de maladie incurable dont ces mêmes maîtres du monde auraient été infectés. Étrange idée, mais il l’a proclamée à Davos : « je dis que l’Occident est en danger précisément parce que dans les pays où nous devrions défendre les valeurs du libre marché, de la propriété privée et des autres institutions du libertarianisme, des sections de l’establishment politique et économique, certaines par erreur dans leur cadre théorique et d’autres par ambition pour le pouvoir, sont en train de détruire les fondements du libertarianisme, d’ouvrir la porte au socialisme et de nous condamner potentiellement à la pauvreté, à la misère et à la stagnation ».

En plus d’affirmer que le marché « ne peut pas échouer », Milei associe à son idée confuse et polysémique de « socialisme » les causes de la pauvreté généralisée, de la misère qui produit des famines et des migrations de millions de personnes, et même des guerres entre pays capitalistes. Allant plus loin dans son raisonnement (si l’on peut l’appeler comme ça), Milei a déversé sa haine sur les mouvements féministes et écologistes, qui ont mobilisé largement à l’échelle mondiale . Il a identifié ces deux « domaines » comme les nouvelles tranchées choisies par le « socialisme » après qu’il ait « abandonné la lutte des classes » à la suite de la chute du mur de Berlin et de la fin des régimes staliniens.

« Les socialistes ont été contraints de changer leur programme, ils ont abandonné la lutte des classes basée sur le système économique pour la remplacer par d’autres conflits sociaux supposés qui sont tout aussi nuisibles à la vie de la communauté ». L’un de ces « prétendus conflits » , selon Milei, est « la lutte ridicule et contre nature entre les hommes et les femmes » a-t-il expliqué dans une référence claire au mouvement féministe qui lutte pour les droits fondamentaux des femmes et les droits LGBT+. Un mouvement qui, selon les libertariens, ne devrait pas exister puisque « le créateur » nous a créé tous égaux.

« La seule chose que ce programme du féminisme radical a engendré est une plus grande intervention de l’État pour entraver le processus économique et donner des emplois à des bureaucrates qui ne contribuent en rien à la société », a-t-il déclaré. Il a également accusé le féminisme de « prôner des mécanismes de contrôle de la population ou la tragédie de l’avortement ». Sur ce point, il n’a même pas réussi à avancer des fausses statistiques, précisément parce que toute étude sérieuse sur le sujet, même de la part d’organisations pro-capitalistes, certifie non seulement les inégalités de genre, mais aussi leur relation avec le système même de « l’offre et de la demande » des rapports sociaux et du travail.

Milei ajoute qu’ « un autre des conflits que les socialistes soulèvent est celui de l’homme contre la nature ». Là encore, il met dans le même sac que « socialiste » toutes sortes d’expressions idéologiques et d’associations, y compris celles qui sont loin de remettre en cause le capitalisme. Il les accuse de prétendre « que les êtres humains abîment la planète et qu’il faut la protéger à tout prix ».

Sur ce point, cherchant à mettre sur le même plan la démagogie des puissances impérialistes et les luttes inlassables des peuples et des communautés, il a ajouté que « ce qu’il y a de plus cruel dans l’agenda écologiste, c’est que les pays riches, qui se sont enrichis en exploitant légitimement les ressources naturelles, chercheraient maintenant à expier leur culpabilité en punissant les pays plus pauvres et en les empêchant de développer leurs économies pour un prétendu crime qu’ils n’ont pas commis ».

Tout cela, selon le président argentin, est dû au fait que « les néomarxistes ont réussi à coopter le sens commun de l’Occident », infusant « fortement » leurs « idées néfastes » dans « notre société ». Et ils y seraient parvenus « grâce à l’appropriation des médias, de la culture, des universités et oui, aussi des organisations internationales ». Jusqu’à son ami Elon Musk (propriétaire, entre autres, de l’influent réseau X) au FMI, tout serait imprégné de socialisme. Mais le ridicule ne s’arrête pas là.

Saint Javier

Dans un nouveau ravissement de messianisme guidé par les « forces du ciel », Milei a terminé son discours à Davos en affirmant que, « heureusement », il y en a « de plus en plus » qui, comme lui, osent « lever la voix » contre toutes les expressions du « collectivisme », allant selon lui des « ouvertement communistes » aux « démocrates-chrétiens », en passant par les « fascistes », les « nazis », les « nationalistes » et les « mondialistes ».

« Nous sommes ici pour vous avertir de ce qui pourrait arriver si les pays occidentaux qui se sont enrichis sur le modèle de la liberté continuent sur la voie de la servitude », a déclaré Milei à la fin de son discours. Et c’est avec un théâtralisme propre à un prêtre qu’il a terminé son discours en adressant un message de motivation à son auditoire de parasites : « je veux laisser un message à tous les entrepreneurs présents ici et à ceux qui nous regardent des quatre coins de la planète : ne vous laissez pas intimider, ne vous soumettez pas à une classe politique qui ne cherche qu’à rester au pouvoir. Vous êtes des bienfaiteurs sociaux, vous êtes des héros, les créateurs de la période de prospérité la plus extraordinaire que nous ayons jamais connue. Que personne ne vous dise que votre ambition est immorale. Si vous gagnez de l’argent, c’est parce que vous offrez un meilleur produit à un meilleur prix, contribuant ainsi au bien-être général. Vous êtes les véritables protagonistes de l’histoire et vous savez qu’à partir d’aujourd’hui, vous avez un allié indéfectible en la République argentine ».

C’est ainsi qu’il a terminé son discours et a été immédiatement applaudi par le public. Sa dernière annonce est clairement une invitation aux magnats du monde entier à investir en Argentine, ce qui, vu de l’autre côté, est un plaidoyer officiel pour que, en échange d’énormes profits, les monopoles et les organisations viennent fournir davantage de dollars à un État qui a besoin de devises étrangères pour payer la dette frauduleuse et illégale auprès du FMI, pour continuer à alimenter le jeu financier et pour rendre les importations viables dans une économie stagnante.

Sans promesses sérieuses d’investissements et avec une économie nationale où de plus en plus de travailleurs s’appauvrissent chaque jour, Milei revient de Suisse avec une urgence : concentrer autant de pouvoir que possible (par le biais du DNU et de la loi Omnibus) pour exécuter à tout prix son plan de mégatransfert de ressources de la classe ouvrière aux profits du patronat. Le maintien en vigueur du mégadécret et le vote de la mégaloi sont des conditions préalables à cette prétendue « pluie d’investissements ».

Sans ces urgences, la tentative de Milei d’« imposer l’agenda » à Davos, avec un appel en faveur de la surexploitation capitaliste illimitée, ne peut pas être pleinement comprise. De même pour sa grande inquiétude quant à la démonstration de force que pourrait représenter la grève nationale avec manifestations du 24 janvier. Le spectre qui hante réellement les divagations de Milei est celui de l’action massive de la classe ouvrière et des secteurs populaires contre son plan de guerre. Il ne manque pas de raisons.


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