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Interview

Interview. « Je milite contre la colonisation israélienne mais aussi contre le pinkwashing »

Hamza, réfugié.e queer palestinien.ne, raconte le quotidien de l’oppression que vit le peuple palestinien et démasque l'hypocrisie d'Israël sur les questions LGBT.

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Interview. « Je milite contre la colonisation israélienne mais aussi contre le pinkwashing »

Crédits photo : Themis Belkhadra @themisinthekitchen

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Hamza, je suis un.e artiste militant.e queer palestinien.e ayant grandi en Jordanie. Je travaillais en tant qu’architecte en Jordanie puis je suis arrivé.e en France à 28 ans pour faire mes études à Sciences Po et j’ai pu obtenir la nationalité française depuis. Je me suis retrouvé.e dans le militantisme actif pour la Palestine à partir du 7 octobre car avant je militais plutôt via les réseaux sociaux mais la politique du pays m’a poussé à réagir… Face aux circonstances qu’on nous impose j’ai eu envie de prendre la parole en tant que français.e d’origine palestinienne.

Ta famille fait partie des milliers de familles palestiniennes qui ont vécu la violence de l’État d’Israël. Est-ce que tu peux parler de l’impact que l’emprisonnement et la répression ont eu sur ta famille ?

Oui, j’ai hérité de cette force, ce courage de mon père qui était un général palestinien de l’OLP [Organisation de Libération de la Palestine], et qui est mort dans une prison israélienne. Il a été emprisonné après la deuxième Intifada en 2002 pendant 11 ans et j’ai vu, j’ai vécu dans notre famille, comment nous étions vus en tant que musulmans, comment nous étions traités. J’ai été en Israël pour rendre visite à mon père, c’était dans un bus de la Croix rouge avec deux bagnoles de flics autour, une devant, une derrière, parce qu’on avait pas le droit de descendre ailleurs et je me suis dit « mais c’est quoi ce bordel ? ». Même les appels des visites sont enregistrés. Il avait déjà été emprisonné 2, 3 ans à la fin des années 70 puis il a été exilé en Jordanie pendant 20 ans : il était interdit de territoire pendant jusqu’à ce que Yasser Arafat revienne au pouvoir en 98.

Cette violence est systémique, tous les jeunes passent par là, car qui détient le pouvoir ? Même s’il m’est arrivé une fois de réussir à rentrer à Jérusalem sans permis, j’ai été scanné.e aux checkpoints, aux frontières avec la Jordanie, on y passe parfois 3-4h - et ça encore c’est le plus rapide - parce que c’est fait pour les Palestiniens et qu’on est traités comme du bétail. Et encore, pour les gens qui atterrissent à Ben Gourion, déjà inaccessible aux Palestinien.nes de Cisjordanie et de Gaza, il y en a pour 12h et tu ne sais jamais pour quelle raison.

Quand je vais en Palestine maintenant, je vais à Hebron dans le centre historique. C’était la ville de ma famille, une des rues principales était à l’époque inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, mais maintenant c’est une ville fantôme. Il y a des barbelés sur les fenêtres, sur le balcon de ma grand-mère, il y a des protections, car les colons brisent les vitres. J’ai vu ma grand-mère se faire frapper par un soldat israélien et ma mère m’a raconté que lorsqu’elle était jeune, l’un d’eux a traversé sa maison, est monté dans sa chambre alors qu’elle était endormie et l’a tirée par ses cheveux jusque dans la rue et qu’à partir de ce moment-là, elle avait ses règles toutes les deux semaines à cause du traumatisme.

Leur domination rentre dans tout, dans toutes les sphères, ça s’immisce dans nos relations. J’étais privilégié.e par rapport à mes parents qui m’ont dit de toujours mettre mes choix de vie en priorité par rapport à la politique. Mais après le 7 octobre, la politique a refait surface devant moi, alors que je ne m’y attendais pas. Ça n’est pas réellement un choix, je ne suis pas un cavalier plein de courage, mais je suis réaliste quant à ce que j’ai vécu.

Aussi, c’est quand même un héritage familial parce que ma tante était une des premières femmes d’Al Khalil (Hebron) à faire des études à la fac, et la première dans la ville à intégrer et à rejoindre le Parti communiste , elle a donné un discours à 17 ans en minijupe aux chefs des tribus de sa ville. Ma grand-mère qui était propriétaire du foncier de la famille, mon autre tante créatrice de mode. Ce sont elles qui m’ont transmis leur force et sont les premières à m’inspirer.

Peux-tu nous dire quelques mots sur ton militantisme queer ? Qu’est-ce qui t’as politisé.e en tant que personne queer ? Comment fais-tu le lien avec la lutte pour la libération de la Palestine ?

Mon engagement queer a commencé en Jordanie, avec un ami journaliste que j’ai rencontré dans le milieu LGBT. Expatrié.e en Jordanie, j’ai commencé à me décomplexer de tout ça, moi-même venant d’une famille musulmane bourgeoise qui ressemble beaucoup dans ses valeurs aux autres familles petites-bourgeoises de la région. C’est le fait de ne plus avoir de contact avec ma famille biologique qui m’a politisé.e, je suis devenu.e plus ouvert.e mais ça n’est qu’en France que j’ai pu réussir à m’exprimer publiquement, en faisant mon coming out car je n’avais plus rien à craindre. C’est à la fois un privilège de pouvoir le vivre ouvertement mais c’est devenu une responsabilité pour moi, je me suis dit comment je peux faire moi, maintenant que j’ai ce privilège, avec cette position assez unique où je peux faire quelque chose, en fait. C’est une réaction à la colonisation israélienne, mais c’est devenu plus fort en m’installant en France.

Quand on vit l’immigration, y a un déclassement, il faut s’adapter, donc je me suis rendu.e compte que la justice ne s’appliquait plus pareil. Je me suis pris des baffes. J’ai essayé d’éviter les questions identitaires mais j’ai essayé d’en faire quelque chose. J’interagis avec le système, ce système qui nous met des barrières en permanence, qui nous dit stop quand on est arabe. Et même si j’avais fait Sciences Po et que j’avais appris le français, je faisais encore face à beaucoup d’obstacles, que ce soit par rapport à mes papiers ou dans le système de soins. Après avoir essayé le déni ou le refoulement, après avoir essayé d’être dans des milieux qui ne portaient pas mes valeurs, finalement, je me sentais mieux en levant ma voix et en essayant de faire bouger les choses.

On a vu en France mais aussi aux USA ou en Angleterre un soutien LGBT et féministe a la Palestine. Comment est-ce que tu penses que ce phénomène a démarré ?

La Palestine n’est pas une île et la plupart de ces jeunes LGBT engagé.e.s pour la Palestine ont eu un interaction plus ou moins directe avec Israël, iels se sont rendu.e.s compte qu’iels subiraient quand même de la discrimination si iels y allaient en tant que gays mais aussi en tant que noirs, ou arabes, etc. Avec les récits des gens qui y allaient et en revenaient, iels se sont rendu compte de la convergence des discriminations. C’est comme ça qu’on peut créer le consensus : en parlant. C’est la convergence de nos luttes en tant que personnes LGBT et racisées qui se crée comme réaction face aux oppressions que le système nous impose. J’ai appris aussi avec humilité à ne pas toujours être au centre en tant que Palestinien.ne. Ce qui m’aide à penser l’articulation des luttes, c’est le marxisme, parce que c’est toujours la classe qui empêche par exemple la solidarité des femmes blanches bourgeoises avec les LGBT plus précaires, les personnes racisées…

Les féministes et LGBT qui soutiennent le peuple palestinien à travers le monde se voient souvent répondre qu’à Gaza iels subiraient une homophobie ou une transphobie très dure, on entend souvent la rhétorique comparant ces militant.es aux poulets qui militeraient en soutien à KFC. Sans effacer les LGBTphobies que peuvent subir les Palestinien.nes queers, qu’est-ce que tu penses que les militants LGBT qui s’engagent comme toi pour la Palestine peuvent répondre à ces arguments ?

Il faut comprendre l’homophobie du monde arabo-musulman. L’homophobie européenne n’est pas du tout la même que dans notre partie du monde. En Palestine, il y a de l’homophobie parce que cela fait « trop occidental » ou parce que les personnes LGBT sont considérées comme traîtres des principes religieux. Mais le Coran ne condamne pas explicitement l’homosexualité, alors que le viol si et ça ce n’est pas pareil ! Si on veut parler de l’homophobie, allons-y, regardons dans l’histoire : il y a 1000 ans, Aboû Nouwâs était un poète arabe ouvertement homosexuel. Dans la littérature, dans la peinture, on retrouve tous ces personnages queer.

L’idée de la famille nucléaire elle a quoi, 200 ans peut-être ? Avant, un enfant n’était pas élevé que par un papa et une maman. C’est Napoléon qui a imposé ça à toute la planète. Ce sont les États-Nations qui ont créé cette nouvelle forme de société, ce système binaire homme-femme dans la famille qui est très isolant et individualiste pour accumuler des richesses pillées par l’impérialisme.

Ces rhétoriques sont déployées principalement par la droite ou l’extrême-droite française, américaine… En tant que militant.e queer et anti-impérialiste en France, qu’est-ce que tu penses du fait que la droite et l’extrême-droite des pays impérialistes s’intéressent tout d’un coup au sort des personnes LGBT ? »

Pour moi, cette rhétorique c’est clairement une offensive politique de la bourgeoisie. Je perçois ça comme un déjà-vu car ça me rappelle la manière dont, dans les pays comme en Jordanie ou en Palestine ou dans les pays arabes, les classes bourgeoises, financières, royales, etc. s’organisent, comment elles ont réussi à garder le pouvoir par rapport à tout ce qui a à voir avec le système de production, à garder la main sur là où l’argent va, comment il est dépensé et tout ça. Et en France, ça me rappelle la même chose : comment l’élite et la bourgeoisie française sont en train de s’allier avec l’élite du Golfe, et des États-Unis et je trouve beaucoup de parallèles entre ce qu’on subit en ce moment et le Thatchérisme et le Maccarthysme. J’ai un problème avec les médias car ils caricaturent à la fois les juifs et les musulmans, ils contribuent à faire des amalgames. Il y a aussi beaucoup d’instrumentalisation dans les médias, qui font croire à une guerre de religion : en Israël ils instrumentalisent l’antisémitisme mais ici on instrumentalise les femmes voilées aussi.

En parlant d’Israël, tu as vu le sketch homophobe et transphobe relayé par les comptes officiels de l’État d’Israël se moquant du soutien à la Palestine exprimés par des jeunes LGBT dans les pays occidentaux. Qu’est-ce que tu penses que ça dit sur leur pinkwashing ?

C’est dans la continuité de leur stratégie de marketing : la mairie de Tel Aviv a mené une politique soutenue par l’État pour faire venir des touristes avec le programme Brand Israël. C’est lié à une étude de marché montrant qu’il faut cibler une communauté précise : ils ont ciblé une communauté LGBT mondiale, dont une partie gagne pas mal d’argent, et aime voyager. Ils ont parié que ça allait être gagnant-gagnant mais ils se sont fait avoir car les personnes LGBT ne sont pas que ça. Elles peuvent être aussi précaires, d’ailleurs en leur majorité elles le sont, elles peuvent être racisées, handicapées et elles ont fini par voir l’apartheid et l’oppression que crée Israël.


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