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Free Palestine

Interview d’une étudiante de Columbia : « les campements doivent s’étendre à l’ensemble du pays »

Depuis plus d’une semaine, les étudiant.e.s de l’université de Columbia occupent la fac en solidarité avec la Palestine. Ce mouvement a fait l’objet d’une répression violente de la part de la police. Révolution Permanente a interviewé K.S. Mehta, étudiante qui participe à l’occupation et militante à Left Voice.

Tommaso Luzzi

26 avril

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Interview d'une étudiante de Columbia : « les campements doivent s'étendre à l'ensemble du pays »

Crédits photo : Wikimedia Commons

Les images des étudiants occupant la pelouse du campus de Columbia, aux États-Unis, en soutien à la Palestine, ont fait le tour du monde, et ont inspiré des actions similaires en France. Ce mouvement a fait face à une répression de l’Etat et de la présidence de l’université. Révolution Permanente s’est entretenue avec K.S. Mehta, étudiante à Columbia, et militante à Left Voice (organisation-sœur de RP aux Etats-Unis), présente sur le campement depuis le premier jour.

Révolution Permanente : peux-tu nous dire ce qui s’est passé ces deux dernières semaines à l’université de Columbia, comment s’est formé le campement et quelle a été la répression qui s’en est suivie ?

K.S. Mehta :

Le campement de solidarité avec Gaza a été créé à 4h du matin le mercredi 17 avril pour soutenir les revendications de Columbia University Apartheid Divest Redemands. C’est une coalition de plus de 100 organisations étudiantes sur le campus, qui luttent contre le génocide et pour la libération de la Palestine. Le campement n’a cessé de s’agrandir au fur et à mesure que les étudiants et les professeurs venaient nous soutenir.

Les trois revendications pour lesquelles nous nous battons sont : l’arrêt de tous les programmes de financement liés à des entreprises et a des institutions qui profitent de l’occupation colonial d’Israël en Palestine, la transparence financière totale de l’Université, et l’amnistie pour tous les étudiants ou professeurs sanctionnés ou licenciés en lien avec le mouvement en soutien à la Palestine.

La répression s’est accélérée jeudi, à la mi-journée, quand l’université de Columbia a appelé la police pour lui demander d’intervenir pour violation de propriété. Plus de 100 étudiants ont été arrêtés, mis en garde à vue et gardés menottés pendant environ huit heures. Outre les arrestations, une centaine d’exclusions ont été prononcées jusqu’à présent.

Ce qui n’a pas empêché l’occupation de se poursuivre : après l’arrestation des étudiants, des centaines de personnes ont envahi le terrain en face du campement, en solidarité avec les étudiants arrêtés et pour défendre les mêmes revendications. Jusqu’à aujourd’hui, des centaines d’étudiants y vivent, y dorment et n’en bougeront pas tant que leurs revendications ne seront pas satisfaites ou qu’ils ne seront pas expulsés par la force.

RP : Cela fait partie d’une vague plus large de répression des militants qui s’expriment en solidarité avec la Palestine. Comment cela s’est-il manifesté plus largement aux Etats-Unis, en dehors du cas de Columbia ?

KSM :

L’université de Columbia a menacé de déployer la Garde nationale [une force de l’armée, ndlr.], ce qui n’a pas encore eu lieu, mais je pense que cela rejoint la répression violente que nous observons sur d’autres campus. Par exemple, à l’université Emory (Atlanta, Géorgie) ou à l’université de Princeton (New Jersey), les étudiants ont été suspendus, de manière à ce qu’ils ne puissent pas obtenir leur diplôme. Ils empêchent ainsi les étudiants qui participent au mouvement pro-palestinien de terminer leurs études. À Austin, les étudiants qui manifestaient ont également fait l’objet de répressions très violentes. Comme partout aux États-Unis, nous commençons à voir non seulement qu’on essaie de faire taire les étudiants, mais aussi l’utilisation accrue de la force pour lutter contre les étudiants qui manifestent.

RP : La présidence de l’université et la Maison Blanche ont tenté d’assimiler ces manifestations à de l’antisémitisme. Comment cela a-t-il été ressenti sur le campus et comment le mouvement a-t-il réagi ?

KSM :

L’université continue de faire croire que le campement est antisémite. Leur justification pour réprimer les étudiants est de dire que les étudiants juifs ne se sentent pas en sécurité à Columbia. Un rabbin a envoyé un mail dimanche pour encourager les étudiants juifs à ne pas venir sur le campus en raison de l’antisémitisme.

Toutefois, ce n’est pas le cas au sein du campement. Pour autant que je sache, il y a eu des services religieux juifs tous les jours, un Seder de Pessah a eu lieu sur le campus, le Shabbat est observé, les gens ont apporté des dons pour Pessah. Nous avons volontairement fait en sorte que les personnes juives fassent partie du campement et du mouvement. Jewish Voice for Peace (JVP) a également joué un rôle déterminant dans l’organisation et la planification du campement.

Je pense qu’en termes de ressenti sur le campus, il y a un sentiment très fort que les étudiants juifs ont leur place. Le débat ne porte pas sur le fait d’être juif, mais sur l’Etat d’Israël et le sionisme. Je pense qu’il a été très important de clarifier notre position à ce sujet. Dans tout le pays, des sections de Jewish Voice for Peace ont travaillé aux côtés de Students for Justice in Palestine pour réagir à la fois au génocide et à la répression sur les campus.

RP : Le Congrès américain a également exercé des pressions considérables sur les présidents d’université pour qu’ils répriment les manifestants pro-palestiniens, ce qui a poussé certains d’entre eux à démissionner. Comment a réagi la présidente de l’université de Columbia face à ces pressions ?

KSM :

Je pense que pour l’instant, on lui met toujours la pression pour qu’elle « résolve » la situation ou pour qu’elle démissionne. Il semble peu probable qu’elle reste ici encore longtemps. Elle continue cependant à dire que l’université s’efforce de négocier et de trouver une solution. L’université craint qu’on perturbe les examens. Ils essaient donc de faire en sorte que les gens quittent le campement avant la remise des diplômes, tout en disant qu’ils ne nous expulseront pas si nous continuons à négocier. Cependant, nous savons tous qu’il est impossible pour une université de négocier de bonne foi. Je suis convaincue que la négociation ne suffira pas pour obtenir nos revendications.

RP : Ce qui se passe actuellement a été comparé à une sorte de McCarthysme du 21e siècle. Comment cela s’est-il traduit à Columbia, mais aussi de manière plus générale ?

KSM :

À Columbia, l’un des aspects les plus importants de ces attaques contre la liberté de s’organiser et de manifester est la sécurisation complète du campus, où il est aujourd’hui impossible d’entrer ou sortir si l’on n’est pas étudiant – et même pour les étudiants. On m’a raconté que les enseignants n’étaient pas non plus autorisés à se rendre dans leurs bureaux, à moins d’être escortés par des agents de sécurité du campus, et qu’il n’y avait pas assez d’agents de sécurité pour escorter tout le monde, de sorte que les gens ne pouvaient pas se rendre dans leurs bureaux et ne pouvaient pas faire leur travail.

Ailleurs aussi, la répression est violente. À la faculté Emerson de Boston, 100 personnes ont été arrêtées et la police a également utilisé des tasers. La présidente du département de philosophie a été arrêtée très violemment, jetée à terre, on lui a mis un genou dans le dos. Je pense donc que les attaques contre la capacité à s’organiser et à se mobiliser se reflètent à la fois dans la sécurisation et la fermeture des campus, dans l’augmentation de la présence de policier sur les campus et dans l’utilisation de la violence par ces policiers.

RP : Pourquoi le gouvernement a-t-il réagi de manière aussi violente à l’organisation des étudiants ? De quoi a-t-il peur ?

KSM :

Je pense qu’ils ont peur de notre colère et de notre solidarité. Si nous sommes organisés et que nous sommes capables de faire avancer ce mouvement, ce sera énorme. Si ce mouvement est capable de s’étendre à tout le pays, s’il y a un campement sur chaque campus universitaire, que vont-ils faire ? Je pense qu’ils voient le mouvement s’étendre, et ont peur que nous soyons capables de nous organiser et de nous mobiliser, pas seulement sur plusieurs campus, mais en tant qu’étudiants dans tout le pays.

RP : En ce qui concerne l’avenir du mouvement, quelles sont les tâches auxquelles le mouvement est confronté aujourd’hui ? Quelles sont ses perspectives d’avenir ?

KSM :

Les campements doivent s’étendre à l’ensemble du pays. Cette réponse à la répression de l’Etat pourrait vraiment changer le cours du mouvement en soutien à la Palestine. Aujourd’hui plus que jamais, en particulier à cause de l’immense répression que nous observons dans les universités et au sein de l’État, nous devons élargir le mouvement, nous devons prendre en main l’organisation de la lutte et nous devons unir le mouvement étudiant et le mouvement ouvrier. Cela pourrait porter un coup énorme à l’ordre mondial impérialiste et ouvrir la voie à la lutte pour une Palestine libre, laïque et socialiste, où les Arabes et les Juifs pourraient vivre en paix.

RP : Ces dernières semaines, nous avons assisté à des mobilisations similaires en soutien à la Palestine dans les universités françaises, et elles ont également été confrontées à une vague de répression violente. Quel message adressez-vous aux étudiants et, plus largement, aux personnes qui se mobilisent pour la Palestine en France ?

KSM :

Tout d’abord, continuez la mobilisation, continuez à lutter, à faire preuve de solidarité. La façon dont les campements se sont étendus à travers les Etats-Unis et le monde nous donne vraiment de la force. C’est tellement important que nous ayons enfin cette mobilisation étudiante, dans des proportions incroyables. Nous sommes à un moment où nous pouvons avoir beaucoup de force si nous sommes capables à nous organiser.

Mon message aux étudiants français est que nous devons trouver un moyen de continuer à étendre la lutte qui a lieu sur les campus universitaires, trouver un moyen de créer un réseau d’étudiants qui discutent de comment poursuivre le mouvement. Nous devons discuter de ce que nous faisons dans cette lutte et de comment nous pouvons nous coordonner, pour étendre encore le mouvement.

Un autre élément clé est de s’assurer que les enseignants et personnels qui travaillent dans les universités se mobilisent, comme on l’a vu aux États-Unis. Ils ont pris la défense des étudiants, contre l’utilisation par les administrateurs d’université de policiers armés pour disperser des manifestations pacifiques. Ils luttent contre les licenciements de collègues qui ont dénoncé le génocide. À l’université de New York, les enseignants ont physiquement bloqué les policiers alors qu’ils avançaient sur les étudiants. À UT Austin, les enseignants ont organisé une grève de 24 heures pour protester contre la répression sur le campus, alors même que la loi l’interdit !

Une autre question essentielle est de savoir comment intégrer davantage les syndicats. Aux États-Unis, les syndicats de personnels des universités se sont engagés, mais il est urgent que davantage de syndicats et de syndicats non universitaires commencent à s’opposer à la répression avec la force et les méthodes du mouvement ouvrier. Ici, la section 9A de l’UAW, qui est le syndicat des étudiants de Columbia, a appelé à des actions de solidarité face à la répression. Ainsi, je pense qu’il est essentiel de s’assurer que les enseignants, le personnel et les syndicats participent à la construction de la mobilisation et rejoignent le mouvement étudiant.


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