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Françafrique

Coup de force de Macky Sall : la présidentielle sénégalaise reportée avec le soutien de l’impérialisme français

Le président sénégalais Macky Sall a annoncé le report de plus de dix mois de l’élection présidentielle. Un coup de force approuvé avec bienveillance par la France, accompagné de répression des manifestations et d’arrestation d’opposants.

Wolfgang Mandelbaum

6 février

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Coup de force de Macky Sall : la présidentielle sénégalaise reportée avec le soutien de l'impérialisme français

Crédit photo : Heather Shuker, CC BY-NC-ND 2.0 Deed.

Nouveau coup de force dans la « démocratie la plus stable de l’Afrique de l’Ouest » : le président Macky Sall a tout simplement annulé les élections du 25 février prochain. Un véritable coup d’Etat institutionnel alors que le scrutin présidentiel s’annonçait défavorable pour le clan Sall et son candidat, Amadou Ba, finalement entériné par le parlement lundi soir, après que des députés de l’opposition aient été dégagés de l’Assemblée par la gendarmerie avant le vote

Macky Sall ne pouvant se présenter à un troisième mandat, même s’il a longuement tenté de forcer la Constitution pour y parvenir malgré tout, procède à un ultime coup de force pour étouffer la crise politique et sociale et se laisser du temps pour assurer sa succession. Pour justifier ce coup, le Président estime qu’il y a une crise institutionnelle : « un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges », et qu’en tant que garant des institutions il doit suspendre les élections le temps que le différend soit réglé. En réalité, cette manœuvre politique est l’aboutissement d’une crise qui dure depuis des mois.

Un coup d’Etat après 3 ans de répression des manifestations et de l’opposition

La situation au Sénégal est en effet marquée par des difficultés économiques très importantes depuis 2021 et une agitation sociale forte, notamment de la jeunesse, qui s’exprime notamment contre la mainmise économique et militaire de la Françafrique et en soutien à l’homme politique Ousmane Sonko. C’est dans ces coordonnées que Macky Sall tente de manoeuvrer depuis près de 3 ans, afin de réprimer la contestation et empêcher l’ascension de Sonko et de son parti le Pastef, critiques de l’influence française.

A partir d’une accusation initiale de viol à l’égard d’Ousmane Sonko par une jeune femme, le gouvernement a cherché à comploter auprès de la justice pour écarter l’opposant, finalement condamné en juin dernier à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse  », l’empêchant de se présenter aux élections. Après une féroce répression, 23 manifestants sont tués et plus de 500 sont arrêtés, tandis que le Pastef est dissout au milieu de l’été. Sous la pression de la rue, Macky Sall est néanmoins contraint d’annoncer qu’il ne se représentera pas et choisit Amadou Ba, son premier ministre, comme son « successeur ». Selon Rémi Carayol pour Mediapart, il s’agit d’un candidat sans « aucune base électorale solide dans le pays » qui « ne fait pas l’unanimité au sein du parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR) ».

Depuis, le clan Sall a continué ses efforts pour verrouiller la présidentielle, avec un nombre important de candidature retoquées, Ousmane Sonko emprisonné et dans un état de santé grave étant interdit de se présenter, il est remplacé par le numéro deux du parti, Bassirou Diomaye Faye, lui aussi emprisonné. Dans le même temps, le pouvoir cherche à faciliter la candidature d’un autre candidat empêché de se présenter, Karim Wade, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade et un des principaux adversaires de Sall. Sa candidature a été invalidée par le conseil constitutionnel parce qu’il possédait la double nationalité franco-sénégalaise au moment du dépôt de la candidature. Une épine dans le pied du clan Sall, celui-ci ayant déjà tout fait pour que Wade puisse se présenter, jusqu’à faire modifier le Code électoral pour qu’une personne amnistiée soit éligible. En effet, devant les difficultés de son dauphin, Amadou Ba, à percer dans les sondages, Wade est vu comme une alternative préférable au candidat du Pastef, Bassirou Diomaye Faye. L’idée étant que dans l’hypothèse d’un second tour, Ba et Wade s’allieraient pour battre le candidat du Pastef.

Ce « plan B » est donc tombé à l’eau, et devant le risque d’une victoire du Pastef, les rumeurs ont enflé ces derniers jours d’un report de l’élection jusqu’à ce que le clan Sall trouve un successeur crédible. Ces rumeurs se sont donc concrétisées avec l’annonce du report des élections samedi dernier. Ce report a été approuvé par le PDS, le parti de Wade, qui s’est vraisemblablement accordé avec le clan Sall. L’ensemble des autres candidats se sont insurgés et ont dénoncé un coup d’État institutionnel, appelant leurs soutiens à manifester contre la décision du président.

La jeunesse sénégalaise ne se laisse pas faire

En réponse, les Sénégalais se sont mobilisés en masse, notamment dans la capitale Dakar, sous les chants de « Macky Sall, dictateur ! » ; la répression a, comme d’habitude, été féroce, la police sénégalaise bénéficiant du « savoir-faire » et du matériel répressif français. Le ciel de Dakar était samedi noir de la fumée des feux de barricades, mais aussi des gaz lacrymogènes, tirés à l’envi par la police.

La chaîne Walf TV, qui a suivi les mobilisations en direct, a vu son signal coupé pour « incitation à la violence », et l’accès à internet a été restreint lundi, une méthode devenue habituelle dans la « démocratie la plus stable de l’Afrique de l’Ouest ». Plusieurs candidats aux élections ont été arrêtés, de même que l’ancienne première ministre, Aminata Touré. Si la situation sur place est difficile à identifier précisément en raison de la censure, il y a fort à parier que ce nouveau saut autoritaire déclenche des explosions sociales, notamment auprès de la jeunesse sénégalaise.

Un coup d’Etat opéré avec l’accord de l’Etat français

Derrière cette affaire, il y a, bien évidemment, la main de Paris. En difficulté en Afrique de l’Ouest suite aux coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la France essaye à tout prix de conserver un de ses derniers atouts dans la région. Macky Sall a tout fait pendant sa présidence pour avancer les intérêts de la France, notamment en facilitant l’implantation des entreprises françaises, avec des avantages fiscaux. Aussi, la victoire du Pastef serait inacceptable pour Paris, son ancien leader Ousmane Sonko ayant à de nombreuses reprises critiqué l’emprise de la France sur le Sénégal, tant du point de vue économique que militaire. Même si le candidat n’est pas prêt à transformer en profondeur les structures économiques du pays, largement formatées par l’emprise néocolonialiste de la France, la remise en cause de l’influence française qu’il avance ne peut pas être tolérée par Paris, après la fragilisation de la position française dans le Sahel ces dernières années. Surtout, les manifestations radicales et répétées contre Macky Sall et l’impérialisme français rendent la situation particulièrement instable, et marquent une différence avec les coups d’Etats opérés par des militaires surfant sur le sentiment anti-français, comme au Niger cet été. La France cherche donc à empêcher que ne se reproduise le scénario sahélien, et que le Sénégal ne lui échappe lui aussi.

Dans ce cadre, la diplomatie française a scandaleusement soutenu l’annonce du report des élections. Paris a juste communiqué son souhait que les élections aient lieu « dans le meilleur délai possible ». Pour se convaincre de l’ingérence profonde de la France dans ces élections, il n’y a qu’à voir que le décret retirant la nationalité française à Karim Wade, signé par Gabriel Attal et Gérald Darmanin le 16 janvier dernier a été expédié en quelques jours ; l’administration française est bien efficace parfois ! Il est possible que cette célérité soit due à une demande expresse du clan de Macky Sall. La manœuvre n’a cependant pas abouti, le Conseil constitutionnel sénégalais ayant confirmé que ce retrait de nationalité n’est pas rétroactif.

Comme à son habitude, l’Etat français joue le « deux poids deux mesures » quand il s’agit de coups d’État en Afrique. Comme celui-ci correspond largement à ses intérêts, la France voit le coup de force avec bienveillance, à l’instar de celui instigué par Mahamat Déby au Tchad en 2021. Une réaction bien différente à celle observée cet été après le coup au Niger, où Paris a remué ciel et terre pour que la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) déclare la guerre au Niger pour réinstaller l’ancien gouvernement plus favorable à la France

Cette complaisance envers le coup d’État institutionnel a été docilement imitée par les satellites de l’impérialisme que sont la Cédéao et l’Union Africaine, qui se sont contentés de « demander » à ce que les élections se tiennent au plus vite. Même son de cloche pour l’UE et les États-Unis, qui ont comme la France intérêt à maintenir le Sénégal sous contrôle, et concèdent donc pour le moment à maintenir Macky Sall au pouvoir.

Véritable coup d’État institutionnel, celui-ci n’est rendu possible que par la complicité de la France et des autres puissances impérialistes, qui auraient dans d’autres circonstances condamné le coup d’État, voire participé à renverser le gouvernement putschiste. L’empire français est menacé, et la France va se montrer de plus en plus féroce dans sa tentative de le sauvegarder ; acculée, la diplomatie française expose son ingérence au Sahel comme au Sénégal au grand jour. Peut-être s’agit-il du chant du cygne de la Françafrique, qui « n’en finit pas de mourir ».


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