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Il s'appelait Pateh Sabally

Venise. La noyade d’un migrant, ou la banalisation morbide du racisme

Dimanche 23 janvier, un jeune migrant gambien s'est noyé dans le Grand Canal de Venise, en Italie. Il avait 22 ans et s'appelait Pateh Sabally. Des centaines de personnes ont assisté à la scène, qui s'est déroulée dans un endroit très fréquenté de cette ville touristique, sans rien faire. Enfin presque... Ali Norbert

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Beaucoup ont filmé avec leur téléphone portable. D’autres se sont moqués et ont rit du jeune homme. Certains, enfin, l’ont insulté. Sur les vidéos qui ont été postées sur les réseaux sociaux, on peut entendre des gens crier « Afrique ! Afrique ! », « il fait semblant ! », « c’est une merde. » Deux bouées de sauvetages sont finalement jetées à l’eau, mais elles ne permettront pas de sauver le jeune homme qui peine à garder la tête hors d’une eau à 5 degrés.

Ce que vaut la vie d’un noir dans l’Europe-forteresse

Que comprendre de la mort d’un jeune migrant africain, dans une des villes les plus touristiques d’Europe, sous les moqueries et les smartphones des touristes blancs ? Probablement cela constitue l’aboutissement logique et ultime de la politique de l’Europe-forteresse, qui n’est pas autre chose qu’un processus de déshumanisation des peuples du Sud. Le traitement indigne et barbare des migrants sur le territoire européen, de l’emprisonnement en centre de rétention aux violentes rafles policières, d’une part, et la fermeture des frontières et le renforcement du dispositif militaire aux frontières d’autres part, sont les deux face d’une même pièce.

Pourtant, les Etats occidentaux et les grands groupes capitalistes portent de lourdes responsabilités dans le déclenchement de vagues migratoires : conflits meurtriers, dérèglement climatique, plans d’ajustement structurel économique qui maintiennent les populations du Sud dans la pauvreté et la précarité. Le colonialisme européen trouve là son prolongement contemporain, dans cette politique impérialiste et, nécessairement, raciste. Les circonstances de la mort de Pateh Sabally expriment une des vérités profondes du monde capitaliste : la construction d’un rapport de domination dans lequel le dominé, c’est-à-dire le Noir, n’est plus tout à fait Homme.

La fermeture des frontières est une politique meurtrière

La politique anti-migrants est une politique qui tue. Le 6 janvier 2017, à Châlons-en-Champagne en Marne, Denko Sissoko se défenestre du 8ème étage du foyer où il résidait. Parti du Mali, il arrive en France en octobre 2016. Comme des centaines de mineurs isolés étrangers (mineurs migrants), sa situation est précaire. Les autorités françaises imposent à ces mineurs un véritable parcours du combattant pour l’accès à la protection dont ils ont pourtant droit, la France étant signataire de la Convention des droits de l’enfant. La pression administrative et policière est importante, l’incarcération en centre de rétention et le refoulement toujours menaçants. Dans le contexte actuel de « crise migratoire », cette pression est encore plus forte. Suite à la mort de Denko Sissoko, RESF dénonce dans un communiqué « la tragédie que vivent ces jeunes étrangers livrés au tamis de l’évaluation et de la pression institutionnelle, maltraités, suspectés, dénigrés, parce que la France ne veut pas les accueillir. » C’est ce qui l’a tué.

Samedi 7 janvier, l’association Médecins sans frontières dénonçait les violences policières que ses militants ont pu constater à l’encontre des migrants qui dorment dans les rues de Paris. Il est question de confiscation de couverture, de l’utilisation de gaz lacrymogènes, de rafles et d’empêcher les migrants de s’asseoir à proximité du centre d’hébergements de La Chapelle. L’organisation humanitaire parle de « déni de réalité par la violence » pour qualifier des pratiques policières qui ont pour but de rendre la vie des migrants impossible et de « soustraire cette population en détresse à la vue du public. »

Cette politique ne tue pas seulement sur le territoire européen. La fermeture des frontières contraint les migrants à risquer la mort à chaque instant du périple. Les réseaux mafieux sont les premiers à exploiter cette situation, en proposant aux migrants de les faire passer contre des grosses sommes d’argent et dans des conditions extrêmement dangereuses. Selon l’ONU, au moins 3 800 migrants sont morts en Méditerranée pour la seule année 2016.

Un racisme qui prend masse

Enfin, l’attitude des centaines de touristes qui ont vu Pateh Sabally se noyer et qui l’ont filmé, moqué et insulté pose question. Le degré d’inhumanité dans la réaction des badauds interpelle. Assiste-t-on à une banalisation du mal chez les populations européennes vis-à-vis des populations du Sud ? La progression, presque partout en Europe, des populismes d’extrême droite, foncièrement racistes et islamophobes, est remarquable. Elle s’exprime politiquement dans la montée des partis d’extrême droite. Mais elle s’exprime aussi socialement, dans la libération de la parole, de plus en plus suivie de l’acte, raciste.

Rappelons-nous des plages françaises, remplies de touristes et de vacanciers, durant l’été 2016. Nous avons pu y voir des policiers français patrouiller à la recherche de femmes voilées, car il avait été décidé que la présence de musulmanes sur ces plages constituait une atteinte à la République, un acte de militantisme de l’islam politique, une remise en cause de la communauté nationale. Tout a été dit sur le caractère raciste et sexiste de cet épisode. Mais ce que l’on a parfois pu voir, quand ces valeureux policiers trouvaient une femme voilée et procédaient au dévoilement, c’est la foule de vacanciers applaudir l’humiliation d’une femme et son exclusion de l’espace public. Oui, il y a un racisme qui prend masse en Europe, et qui s’installe d’autant plus vite que les populations européennes plongent dans la précarité et la grande pauvreté.


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