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Tribune libre

Tout le monde déteste [les matraques de] la police.

Par Mangez Chaud Blog : Le blog de Mangez Chaud L'affirmation selon laquelle tout le monde déteste la police est désormais reprise et scandée par les émeutiers d'Aulnay comme par ceux de la place de la République à Paris. Dans le détail, trois faits massifs donnent raison à cette assertion sur le point précis du traitement politique et médiatique de l'affaire Théo d'Aulnay-sous-bois. De quoi la matraque-qui-viole est-elle le sinistre visage ?

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« Tu vois ce que ça fait maintenant les viols en réunion connard ! et encore, ce que tu as subi c’est rien comparé à toutes ces filles qui vous ont vu défiler dans vos caves crasseuses  ! »
commentaire de ‘Cherrypop’

« La matraque doit être rayée par les clochettes autour du trou du cul de négro, elle est bonne a incinérer, en plus il y a l’odeur de fion d’un sauvage…. Avant la trique ils la prenaient sur la gueule, du temps de bon patron blanc, Nostalgie d’une époque ou le blanc était respecté par les sauvages »,
commentaire de ‘Ma femme s’appelle maurice’

commentaires publiés sous un article du site Fdesouche.com relatif à l’Affaire Théo. source

Tout le monde détesterait donc la police. À grands cris, les émeutiers d’Aulnay-sous-Bois et de la place de la République scandent le fameux slogan, caillassant, modestes, ceux qui leur réservent des tirs à balles réelles.

Trois faits massifs interpellent sur ce que nous appellerons désormais l’Affaire Théo. Rappelons très [mais alors très] brièvement ce dont il est question : un jeune aulnaysien est hospitalisé avec une blessure grave de cinq à six centimètres dans le rectum causée par l’introduction d’une matraque pendant son interpellation par quatre policiers. Ni plus, ni moins, ni à côté : mais bien dans l’anus de Théo.

Premier fait massif. le parquet de Bobigny publie une déclaration alors que la famille de Théo est reçue par le ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux. Cette déclaration lunaire tend à exonérer les policiers du chef d’accusation de viol et précise que le parquet demande de poursuivre pour des faits de violences volontaires en réunion. C’est parfaitement classe, et on demandera à l’évanescente Juliette Méadel, secrétaire d’État aux victimes ce qu’elle en pense si on a le temps.

On connaît la suite. Le juge d’instruction auquel on présente les quatre policiers ne s’en laisse pas trop compter. Il met en examen un policier, l’introducteur-de-matraque, pour viol et les trois autres pour violences volontaires en réunion. Depuis quelques jours, les plateaux des chaînes d’information en continu et l’hémicycle bruissent d’un grand cri (à l’exception notable du cri de Marine Le Pen qui vocifère son soutien premier et prioritaire aux forces de l’ordre, avant que la « justice ne passe ») : si ce comportement est avéré, il doit être puni avec la plus grande sévérité, les policiers se doivent d’être exemplaires, etc. etc. merci-bonsoir.

Or, non, l’introduction d’une matraque dans l’anus de Théo ne constitue pas un dérapage ou un « manquement grave », comme le premier ministre Cazeneuve a qualifié les menées de la police sur l’Affaire Théo. Il constitue le fer de lance de ce qu’est le contrôle des corps en banlieue. On blesse, on humilie, on contrôle à tout va, on encage temporairement. Les « débordements » qui entourèrent le mouvement de contestation contre la Loi Travail (oeil crevé - matraquage en bande sur des personnes vulnérables - charges de badauds pacifiques) ne sont que la continuation des techniques de maintien de l’ordre violentes qui s’exercent quotidiennement sur les populations de banlieue, qui se constituèrent et se sédimentèrent dans le maintien de l’ordre colonial. ‘Populations de banlieue’, ce stock informe de précaires qui subit quotidiennement la disciplinarisation corporelle de la police de contrôles en fouilles. Pour un policier, introduire une matraque dans l’anus de Théo, à l’abri de ses propres caméras de surveillance, celles censées prévenir le crime et la débauche du populaire, ça n’est rien de moins que poursuivre avec méthode et un brin d’acharnement ce que sa propre institution inflige aux populations dominées et racisées des quartiers populaires.

Second fait massif. Théo a été présenté par tous et partout comme un jeune sans casier judiciaire, occupant l’emploi d’éducateur, très sportif et engagé dans les associations de son quartier. Un jeune sans histoires finalement. C’est abject. Théo serait un délinquant multi-récidiviste, en rupture de ban et d’attaches familiales, un peu drogué, un peu paumé, un peu sans domicile fixe, il mériterait donc de se faire violer par la police à coup de matraque. Et bien non. Et dans cette présentation du jeune-qui-n’en-veut, on valide de fait la violence d’État qui s’exerce contre les migrants, les SDF, les prostitués entre autres catégories dominées et qui n’ont pas accès à la parole ni à la justice. Le discours médiatique et politique, la réception au ministère de l’Intérieur, la visite de François Hollande dans la chambre d’hôpital de Théo viennent donc occulter la violence d’État qui s’exerce sur les plus pauvres des plus pauvres. Oui, Théo est un jeune homme formidable et très bien intégré dans le tissu associatif de sa ville. Mais non, ça n’est pas pour cela qu’il est scandaleux qu’il fût violé par la police, comme tant d’autres qui ne peuvent — ou ne peuvent plus, par mort ou prescription — le dire.

Troisième fait massif, n’en jetez plus. À chaque fois qu’une chaîne diffuse le témoignage de Théo, il est sous-titré. On attend les lunettes 3D et les friandises. Théo s’exprime en français, dans un français parfaitement compréhensible. La parole est certes un brin hachée, du fait de l’émotion de celui qui parle depuis son lit d’hôpital (et du haut de ses soixante jours d’interruption totale de travail). Le son est sans doute monté en régie pour gagner quelques précieuses secondes. Mais il s’exprime tout de même en français. Et les auditeurs francophones de BFM-TV peuvent le comprendre aussi bien qu’ils comprennent Eric Ciotti. Ainsi, pourquoi sous-titrer les paroles de Théo ? Sans doute pour permettre au téléspectateur d’éprouver une certaine forme d’exotisme, une « fenêtre sur le monde », où d’Aulnay à Bamako, on éprouve de l’empathie pour le sympathique sauvage, cette empathie un peu absente, un peu fugace, qui va s’envautrant au gré du mort-kilomètre dans la fange boueuse du racisme.

Et, puisqu’on parle de kilomètre, il en faudra combien, des kilomètres de matraque dans le cul des jeunes des quartiers pour qu’enfin, on se décide à hurler en cœur, tout le monde déteste la police ? Combien de temps pour qu’on prenne conscience que la violence de la police dans les quartiers est systémique, consubstantielle des missions de disciplinarisation des corps qu’on lui assigne depuis tant d’années ? Quotidienne, systématique, organisée et permise, elle est le masque de mort d’un racisme d’État qui doit désormais s’éteindre, et il faut l’y aider.

CREDIT PHOTO : François Guillot / AFP


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