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Colonialisme

Répression xénophobe à Mayotte : les contours du « rideau de fer maritime » de Darmanin se précisent

Mardi, le média Next relayait 11 « demandes d'information » publiées par le sous-préfet chargé de la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte. Celles-ci permettent de donner une idée du contenu du projet de « rideau de fer maritime » promis en février, à savoir un investissement technologique pour durcir la chasse aux étrangers dans l'Océan Indien.

Raji Samuthiram

20 mars

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Répression xénophobe à Mayotte : les contours du « rideau de fer maritime » de Darmanin se précisent

Crédit photo : Gendarmerie

Le 10 février, alors que Mayotte était encore paralysé par un mouvement xénophobe, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin annonçait la mise en place d’un « “rideau de fer” dans l’eau », en collaboration avec le ministre des Armées, pour stopper l’immigration venant des autres îles comoriennes. Un volet du plan ultra-sécuritaire annoncé en février, comprenant également le lancement de l’opération Wuambushu II et la fin du droit du sol, resté jusqu’alors flou.

Cette semaine, la liste de vœux gouvernementale pour la construction de ce « rideau de fer » a cependant été dévoilée par le média Next, qui analyse 11 demandes d’information aux industriels publiées récemment par le sous-préfet chargé de la lutte contre l’immigration clandestine. Dans le cadre du prolongement d’une opération lancée en 2018, Shikandra, ces demandes d’information constituent un appel à candidatures pour les entreprises capables de fournir un véritable arsenal de guerre technologique : des balises de géo-positionnement pour détecter tout type de navire, caméras IA pour prévoir l’heure et le lieu de leur arrivée, établissement d’un centre de contrôle dédié à la surveillance maritime…

Pour opérer le « changement radical » que promet Darmanin, le gouvernement mise donc sur un renforcement technologique sans commune mesure, à disposition de la préfecture et de l’armée, pour militariser la traque aux étrangers.

Une technologie au service d’un « rideau de fer » meurtrier

Les dispositifs envisagés pour militariser la frontière reposent sur plusieurs volets : premièrement, le gouvernement souhaite renforcer les technologies à sa disposition pour les dites « frontières intelligentes » avec la mise à jour d’une base de connaissance, AQUILA, qui recense les dernières technologies anti-immigrés. Cette base sert à « regrouper l’arsenal des solutions les plus avancées et éprouvées, s’appuyant sur des innovations technologiques pour renforcer la lutte contre l’immigration clandestine ».

Ce renforcement passe par la création d’un centre de commandement de surveillance maritime, C2, géré par l’État-major de lutte contre l’immigration clandestine (EMOLIC), dont les opérations en mer sont entièrement coordonnés par la Marine nationale. Le C2 constituerait un véritable centre militaire pour mieux coordonner la surveillance et la répression des immigrés, en s’appuyant sur des technologies dernier cri : radars adaptés à toute condition météo, caméras capables d’identifier tout type de navire, balises de géolocalisation exportant les coordonnées GPS et la route en temps réel. Une dizaine de caméras IA devraient aussi être en capacité d’estimer le temps et le lieu d’arrivée des navires sur l’île. A partir du centre, ces militaires pourront piloter et contrôler de caméras de surveillance et terrestres à distance, et exporter des données sur les opérations de recherches et sauvetages depuis la Réunion.

Le C2 coordonnerait aussi des données terrestres afin de pouvoir géolocaliser tout individu dans une « zone d’intérêt. » Pour ce faire, la préfecture demande des « caméras mobiles de surveillance terrestre » capable de lire des plaques d’immatriculation et de détecter tout mouvement humain ou de véhicules, et qui devraient être placées « sur l’ensemble des plages propices au débarquement de clandestins. »

Le tout est conçu pour faciliter les communications entre ce centre et les forces répressives chargés d’appréhender « la menace maritime » - c’est-à-dire les immigrés qui risquent déjà leur vie en traversant le canal du Mozambique, transformé en cimetière marin par le renforcement des contrôles frontaliers depuis les années 2000.

Prolongement de Shikandra 2, une opération militaire

Si le but affiché de ces technologies est de mieux refouler les immigrés, leur portée semble plus large, permettant d’intensifier la surveillance militaire de toute embarcation passant dans le canal du Mozambique, point régional central, où circule 30% du trafic pétrolier mondial. Plusieurs dispositifs devraient être en mesure d’identifier et de localiser tous les navires susceptibles de passer, comme 300 balises de géo-positionnement « permettant d’identifier et de suivre en temps réel les navires des pêcheurs et les autres navires autorisés à évoluer dans une zone donnée. »

Pour le moment, ces demandes d’information visent à sonder les entreprises en capacité de répondre aux souhaits du ministère, et ne sont donc pas publiquement associées à un budget. Cependant, l’énumération surréaliste – comprenant notamment une « plateforme de vie flottante écologique » dans le lagon de Mayotte, servant comme point d’amarrage et doté d’un espace vie « avec 6 bannettes ou points d’ancrage permettant d’installer des hamacs » - laisse penser que l’argent ne sera pas un obstacle.

En 2018, Shikandra avait été revendiquée comme une « approche globale, civilo-militaire, pour relever durablement le défi migratoire à Mayotte. » C’est à ce moment-là que le gouvernement a installé l’État-major de lutte contre l’immigration clandestine, unité qui pilote toute les actions anti-immigrés, sous l’autorité de la préfecture. La Marine Nationale et la légion étrangère travaillent régulièrement dans le cadre de ces opérations. Concrètement, l’opération avait ainsi approfondi les liens entre l’armée et la préfecture, et avait aussi mené aux investissements dans les outils technologiques au service de la répression xénophobe. C’est donc dans ce contexte que s’inscrivent les volontés des ministres de lancer Shikandra 2, en passant notamment par la création de ce centre doté d’une panoplie de technologie militaro-policière, gérée par l’EMOLIC en coopération avec l’armée.

Ces demandes témoignent de la militarisation accrue de la gestion de l’immigration à Mayotte, où la répression des étrangers est « toujours en toile de fond » selon le ministre de l’Intérieur. Elles confirment le statut d’exception de l’île qui sert de véritable laboratoire à l’élaboration des technologies les plus cyniques pour intensifier la traque aux immigrés et militariser davantage les frontières maritimes.

Le développement des technologies mortifères aux frontières : une surenchère mondiale

En poursuivant son agenda raciste et xénophobe sur le terrain technologique, la France ne fait que suivre la tendance globale du développement de la barbarie aux frontières. Dans le Pas-de-Calais, cette surenchère résulte d’un investissement de millions d’euros du Royaume-Uni, de la France, et de l’Union Européenne dans des technologies permettant, par exemple, de détecter la chaleur humaine dans les camions routiers traversant la Manche. Frontex, arme de l’Europe forteresse, publie de son côté régulièrement des appels d’offres pour financer la création de drones, de technologies de surveillances, ou de robots capables de traquer les personnes tentant de traverser la frontière. La course aux inventions grotesques s’étend aussi aux méthodes d’enfermement, comme la prison flottante créée aux Royaume-Uni pour « accueillir » les demandeurs d’asile.

Cette industrie mortifère se développe grâce à la guerre anti-immigré menée partout dans le monde, qu’il s’agisse du pacte migratoire de l’Union Européenne ou de la surenchère xénophobe au cœur des élections aux États-Unis. Cette politique accompagne le durcissement des régimes comme celui de Macron, qui a récemment passé sa loi immigration d’une brutalité historique, ainsi que les campagnes de la droite et l’extrême droite qui surfent sur les crises sociales et économiques pour répandre leur venin xénophobe.

Ce programme xénophobe accélère la mort des plus pauvres de notre classe, tout en tentant de les ériger en boucs émissaires des crises que les politiques tentent de nous faire payer. A Mayotte, cette volonté est ouvertement portée par les élites et les élus qui se font le relai des intérêts impérialistes français, alors que les macronistes cherchent à faire de l’île la vitrine de leurs politiques racistes et réactionnaires. Il y a donc urgence à refuser cette logique en y opposant un programme pour l’ouverture des frontières et la régularisation de tous les sans-papiers, avec des mesures capables d’adresser les racines profondément coloniales de la misère et la pauvreté à Mayotte et dans le reste de l’Océan Indien.


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