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Palestine

Offensive sur Rafah : Israël cible le dernier refuge de la population gazaouie

Ce mercredi, Benjamin Netanyahou a ordonné à l’armée israélienne de préparer une offensive sur Rafah, ville située au sud de la bande de Gaza, où se sont réfugiés une grande partie des Palestiniens chassés par les bombardements dans le nord et à Khan Younès. Retour sur les enjeux de cette nouvelle offensive, qui promet un nouveau massacre.

Irène Karalis

8 février

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Offensive sur Rafah : Israël cible le dernier refuge de la population gazaouie

Crédits photo : Jules El-Khatib sur Twitter

Mercredi soir, au milieu des négociations entre la diplomatie étasunienne et certains gouvernements arabes, Benjamin Netanyahou a annoncé vouloir poursuivre sans trêve l’offensive génocidaire dans l’enclave palestinienne. Après avoir rasé le nord de la bande de Gaza, exilé ses habitants au sud et dévasté la ville de Khan Younès où des centaines de milliers de Palestiniens s’étaient réfugiés, l’armée israélienne a reçu l’ordre de « préparer » une offensive sur la ville de Rafah ainsi que « sur deux camps » de réfugiés, considérés comme les « derniers bastions du Hamas ».

Une offensive annonciatrice de nouveaux massacres

Alors que 27 700 Palestiniens ont déjà été tués, 67 000 blessés et que 85% de la population de la bande de Gaza a été déplacée de force par les opérations génocidaires de Tsahal, l’offensive sur Rafah présage de nouveaux massacres. La ville a ainsi accueilli plus de 1,3 million de Palestiniens depuis le début de la guerre, 60% de la population totale de la bande de Gaza, soit cinq fois sa population initiale. Les conditions de vie des réfugiés y sont terribles, l’eau courante rare, les sanitaires en nombre insuffisant et la nourriture fraîche trop chère pour la plupart d’entre eux. Les habitants dépendent principalement des livraisons intermittentes de nourriture et de médicament, acheminées par camion grâce aux convois humanitaires.

Auprès de RFI, Faten, une Palestinienne originaire de Khan Younès qui a vu une frappe israélienne détruire sa maison, témoigne de la vie à Rafah : « Pour que les enfants prennent une douche, on doit payer très cher ; pour qu’ils mangent, on doit aussi payer. On vit dans le dénuement, il y a plein de microbes et de bactéries partout. Il n’y a que des toilettes communes. On a dû acheter une tente. On l’a payée très, très chère ». Elle ajoute : « Lorsqu’on est partis de chez nous, il faisait chaud. On se retrouve au cœur de l’hiver, sous la pluie, avec des habits d’été et en sandales. Les enfants souffrent à cause du froid ». La peur a envahi le camp : Om Khaled Ashour, mère de trois enfants, explique auprès du Financial Times qu’elle a dû répondre aux questions de ses enfants qui lui ont demandé si « les chars [allaient] venir à Rafah et [les] tuer comme ils l’ont fait dans le nord ».

Alors que la crise humanitaire à Gaza est catastrophique, l’offensive sur Rafah menace d’annihiler une population meurtrie dont les conditions d’existence sont effroyables. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a ainsi alerté sur les « conséquences régionales incalculables » qu’aurait cette offensive qui « augmenterait de façon exponentielle ce qui est déjà un cauchemar humanitaire ».

Une intensification du nettoyage ethnique de la bande de Gaza

Cette nouvelle offensive intervient dans un contexte où l’armée israélienne se voit dans l’incapacité de réaliser ses objectifs stratégiques : les gains de l’offensive terrestre restent limités, le Hamas est loin d’avoir perdu toutes ses ressources combattantes et le gouvernement Netanyahou fait face à une grave crise de légitimité. Orient XXI explique ainsi que les objectifs initiaux de Tsahal n’ont pas été atteints : « Le « plan » initial de l’armée israélienne prévoyait un « contrôle opérationnel » total des trois grandes villes de la bande (Gaza city, Khan Younès et Rafah) avant la fin décembre. Le délai est dépassé d’un mois et l’objectif n’est pas atteint. On apprend aussi que le réseau de tunnels des forces armées du Hamas était beaucoup plus étendu qu’on ne le croyait, et que s’en emparer via des opérations terrestres provoquerait beaucoup plus de victimes que prévu. Surtout, le Wall Street Journal révèle que seuls 20 % des tunnels auraient été détruits en plus de trois mois ». Au sein même du gouvernement, des voix contestataires s’élèvent. « Cette guerre n’a ni objectif ni avenir, ce n’est qu’un moyen pour Nétanyahou de repousser le moment de s’attaquer à la question de sa responsabilité », a ainsi affirmé un membre du gouvernement auprès du journal israélien Haaretz.

Dans ce contexte, la prise de Rafah par l’armée israélienne permettrait au gouvernement de Netanyahou d’avancer sur la voie du nettoyage ethnique de la bande de Gaza et de l’expulsion des habitants de l’enclave. Le 30 octobre, le site +972 publiait ainsi un document du ministère du renseignement israélien listant les différentes options concernant l’avenir des habitants de la bande de Gaza. Il privilégiait le transfert forcé et durable des 2,2 millions d’habitants de la bande de Gaza vers le désert du Sinaï en Égypte. Ce « plan de transfert » devrait être appliqué en plusieurs temps : évacuer la population vers le sud pour multiplier les frappes aériennes au nord, étendre le périmètre des incursions terrestres pour, finalement, occuper toute la bande de Gaza. +972 précisait alors que « le document recommande à Israël d’agir pour « évacuer la population civile vers le Sinaï » pendant la guerre, d’établir des villages de tentes, puis des villes plus permanentes dans le nord du Sinaï qui absorberont la population expulsée, et de créer ensuite « une zone stérile de plusieurs kilomètres ... à l’intérieur de l’Egypte, et [d’empêcher] le retour de la population à des activités/résidences à proximité de la frontière avec Israël ».

Cet objectif est aujourd’hui porté par les franges les plus extrêmes du gouvernement et a été réaffirmé le 29 janvier lors d’une « Conférence pour la victoire d’Israël » organisée à Jérusalem par l’extrême-droite israélienne en réponse à l’ordonnance de la Cour internationale de justice concernant la plainte de l’Afrique du Sud qualifiant de « risque génocidaire » la guerre menée à Gaza. L’avocat Aviad Visoli a ainsi expliqué qu’« une Nakba 2 [était] entièrement justifiée par les lois de la guerre » tandis que le colon Eliahou Libman déclarait que « ceux qui ne sont pas tués doivent être expulsés, il n’y a pas d’innocents ». Le ministre de la sécurité nationale d’Israël, lui, a cyniquement plaidé pour une « émigration volontaire » des Gazaouis.

Or, pour pouvoir expulser les Palestiniens vers le Sinaï, le contrôle du corridor de Philadelphie et du point d’accès de Rafah, principal point de passage entre la bande de Gaza et l’Égypte, est essentiel. Le corridor de Philadelphie, une bande de terre de 14 kilomètres de long et de 100 mètres de large qui fait office de frontière entre l’Égypte et Gaza, sert de zone tampon depuis les accords de paix de Camp David de 1979. Sous contrôle de l’Égypte depuis 2005, l’armée israélienne a accusé à plusieurs reprises le Caire de ne pas exercer de contrôle suffisamment efficace sur le corridor, permettant au Hamas de faire passer des armes dans la bande de Gaza depuis l’Égypte. Le 30 décembre, Benjamin Netanyahou était clair sur ses intentions : « Le corridor de Philadelphie doit être entre nos mains et sous notre contrôle, et tout arrangement autre que celui-là ne sera pas accepté par Israël ». Depuis l’avertissement du ministre de l’information égyptien, Diaa Rashwan, qui a mis en garde Israël contre toute « violation du traité de paix », la tension monte de manière croissante à la frontière, l’Egypte ayant demandé à la Résistance palestinienne de se tenir à distance du corridor pour ne donner aucun prétexte d’intervention aux forces israéliennes.

Lire aussi : Course à l’abîme : la « troisième phase » de la guerre à Gaza

De ce point de vue, l’offensive contre Rafah pourrait accélérer, même de façon non « assumée » ou « volontaire », la déportation des Gazaouis et les effets d’une concentration de plus en plus massive à la frontière égyptienne qui finirait par déborder les gardes-frontières. Une situation qui conduirait à une intensification des tensions régionales alors que les États-Unis interviennent toujours plus massivement dans la région après la mort de trois soldats en Jordanie, frappant des milices pro-iraniennes en Syrie, en Irak, au Yémen et en Mer rouge. Alors que les tensions s’intensifient également à la frontière israélo-libanaise où le Hezbollah a augmenté l’intensité de ses frappes contre Tsahal dans l’espoir de dissuader Israël de s’engager dans une nouvelle guerre, l’intensification des combats à la frontière égyptienne pourrait ouvrir un nouveau front : le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui n’a aucun intérêt à accueillir plus de 2 millions de personnes et à assumer les conséquences d’un conflit qui risquerait de nourrir le mécontentement du peuple égyptien, a déjà exprimé son opposition à la proposition israélienne.

Dans ce cadre, il est urgent de poursuivre la construction d’un mouvement international de solidarité avec la Palestine et de s’opposer au génocide en cours. Un mouvement qui se doit de pointer la complicité objective des régimes arabes avec l’Etat colonial mais aussi l’immense responsabilité des puissances impérialistes qui arment et soutiennent inconditionnellement le régime israélien.


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