Sur la route qui mène à la prison de Muret, on loge une autre taule, un immense bâtiment grisâtre qui ouvre sur l’extérieur uniquement pour charger les containers des poids lourds qui viennent charger et décharger la marchandise. Il s’agit de l’entrepôt logistique, tenue par ID Logistics Santé (une filiale de ID Logistics – leader du secteur nationalement) qui livre à l’international les produits du géant cosmétique Pierre Fabre. Depuis vendredi, quelques points colorés font leur apparition dans le paysage, ce sont les drapeaux des syndicats plantés devant l’entrée de l’entrepôt, qui marquent le piquet de grève tenus par les salariés de l’entreprise.

Depuis le 16 juin, ce sont 80% des salariés se sont mis en grève pour revendiquer des augmentations de salaire. Une première dans l’entreprise, après une première expérience d’un débrayage de deux heures il y a quelques années. Les intérimaires ne peuvent malheureusement pas se mettre en grève, par peur de voir la direction les renvoyer et les blacklister, mais ils soutiennent le mouvement. Alors les rôles s’inversent, c’est aux cadres de tirer les palettes ! Et sans CACES, il faut faire ça au transpalette manuel ! C’est dire si l’entreprise tourne au ralenti !

La météo n’épargne pas les grévistes entre soleil brûlant et averses, mais ils tiennent courageusement le piquet, car ils savent leurs revendications plus que légitimes : absolument nécessaires ! « On n’est pas gourmand, on demande juste ce qu’il faut pour faire face à l’inflation » nous confie un travailleur de l’entrepôt.

En effet, lors de ces Négociations Annuelles Obligatoires (NAO), les syndicats (CFDT, CGT, CFE-CGC) ont posé sur la table la revendication d’une augmentation de 9% du salaire (majorée selon l’ancienneté), ainsi que des primes, notamment de transport. D’abord, la direction a proposé une augmentation générale de 2,5% des salaires, en bref une perte sèche pour les salariés, alors que l’inflation globale affiche 5,1% sur un an en mai et l’inflation alimentaire 14,1% ! Signe supplémentaire de mépris, la direction s’est dite prête à aller vers 3% : le compte n’y est décidément pas pour les ouvriers !

🔴 80% des salariés d’ID Logistics en grève pour leurs salaires

« On demande 9% d’augmentation face à l’inflation et la direction nous propose 2,5 ! » : face au mépris de leur patron, les salariés d’ID Logistics à Muret sont en grève reconductible depuis vendredi. ⬇️ pic.twitter.com/7EOkI9D6zt

— Révolution Permanente (@RevPermanente) June 19, 2023

Les salariés rencontrés sur le piquet sont unanimes : « les primes c’est bien, mais nous ce qui nous intéresse surtout c’est le brut, une vraie augmentation de long terme. Sinon à la retraite on va se retrouver avec un RSA ! ». D’autant que l’inflation et la hausse (insuffisante) du SMIC viennent grignoter les quelques avancées en termes d’ancienneté : « Quelqu’un qui rentre aujourd’hui, il gagne autant que quelqu’un comme moi qui suis là depuis 5 ans ! Ca sert à quoi d’avoir un CDI si c’est pour être payé au SMIC ? »

D’autant que les salariés ont beaucoup donné et peu reçu ! Les premières années, il a fallu huiler la machine puisqu’ID Logistics venait de reprendre les activités d’export de Pierre Fabre. « La première année et demie, ça partait dans tous les sens, nous raconte un gréviste, mais depuis quatre ans, ils font que du bénéfice ! ». Cyberattaque, structure d’un bâtiment récent qui menace de s’effondrer, baisse des effectifs passés de plus de 200 à l’installation, à moins d’une centaine aujourd’hui : les ouvriers en ont vu de toutes les couleurs ces dernières années, mais ils ont tenu la baraque.

« Et puis pendant le Covid, on n’a jamais arrêté ». Pourtant, ID Logistics comme toutes les entreprises du secteur a largement profité de la situation pour dégager des profits extraordinaires. Rire jaune quand on demande aux salariés comment ils ont été récompensés : « 13€ par jour… Et la prime Macron, on l’attend encore ! ».

Voilà le secret de la réussite d’ID Logistics : user les dos et payer au lance-pierre pour les profits du propriétaire Eric Hémar, 145ème fortune de France ! Ce lundi, tandis que les grévistes luttent, sur BFM Business un spéculateur boursier explique tout le bien qu’il pense du modèle de l’entreprise et commente ses incroyables résultats. Des discours qui ne collent pas tout à fait à ceux de la direction qui refuse de mettre la main à la poche pour accéder aux revendications des grévistes !

Comme l’explique à notre micro Françoise, syndiquée CFDT, la grève est reconduite au jour le jour selon si la direction se décide enfin à venir discuter avec les grévistes et écouter leurs revendications. Après seulement deux jours de grève, les grévistes savent qu’ils ont les clefs en main. Par leur travail, l’entreprise avait de l’avance dans son carnet de commande. Dès ce lundi, l’avance était rattrapée, et à partir de demain, il va y avoir du retard et la dalle va commencer à s’encombrer !

La direction s’inquiète et tient à caresser dans le sens du poil les non-grévistes. La directrice de site aurait offert des glaces à ceux restés à l’intérieur. « En 5 ans de boîte, je l’ai vu une seule fois descendre faire le tour de l’entrepôt pour dire bonjour à tout le monde, rigole un gréviste, elle connaît pas notre métier, et elle nous méprise au quotidien. » Peut-être que le rapport de force instauré par les grévistes pourrait lui apprendre la politesse…

De nombreuses grèves pour les salaires ont lieu pour les salaires simultanément dans le pays ! La région toulousaine n’est pas épargnée : à Tisséo, les salariés seront de nouveau en grève ce mercredi pour revendiquer le maintien de l’indexation des salaires sur l’inflation ; les ID Logistics envoient également un message fort : les travailleurs ne sont pas contraints de voir leur salaire reculer, il est possible de demander des hausses de salaire supérieures à l’inflation et ce n’est que justice face aux centaines de millions que l’entreprise amasse uniquement grâce à leur travail !