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Hypocrisie

Le cessez-le-feu à l’ONU ne mettra pas fin au génocide

Ce lundi, une proposition appelant à un « cessez-le-feu » immédiat et inconditionnel à Gaza, durant le mois du ramadan, a été votée grâce à l’abstention des États-Unis. Une résolution qui témoigne des contradictions croissantes d’Israël et de ses principaux soutiens mais qui ne mettra pas fin au génocide.

Dimitri Baïza

29 mars

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Le cessez-le-feu à l'ONU ne mettra pas fin au génocide

Crédits photos : Wikimedia Commons

« Contradiction ». C’est certainement le mot qui convient le mieux pour qualifier l’attitude étatsunienne de ces derniers jours envers la politique génocidaire du gouvernement de Netanyahou. Mercredi 20 mars, les États-Unis proposaient à l’ONU le vote d’une motion qui reconnaissait « l’impératif d’un cessez-le-feu » à Gaza tout en le conditionnant à la libération des otages. Sanctionné par le veto de la Chine et de la Russie qui lui reprochaient son hypocrisie, Washington a bien été obligé, par souci de cohérence à court terme, de ne pas imposer son veto à la résolution plus ferme pour un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel voté ce lundi.

Mais il n’a pas fallu attendre 48 heures pour que John Kirby, porte-parole du département de la Défense américaine, ne s’empresse de rassurer son allié israélien : « Notre vote, je le répète, ne représente pas un changement de notre politique. C’est une résolution sans engagement. Il n’y a donc absolument aucune conséquence pour Israël ». L’envoyé de Joe Biden est même allé jusqu’à suggérer que la résolution va dans le sens des intérêts militaires d’Israël puisque, selon lui, elle « reflète clairement notre opinion qui veut qu’un cessez-le-feu et la libération des otages sont indissociables ».

Contradiction manifeste également du côté du gouvernement israélien qui, malgré sa dépendance à l’égard de la puissance étatsunienne, a dénoncé cette abstention des États-Unis et a manifesté sa colère en annulant la visite à Washington d’une délégation dans le cadre d’une discussion autour de la potentielle invasion terrestre de Rafah, ville du sud de Gaza dans laquelle ont du se réfugier plus d’un million de Gazaouis exilés par les opérations de Tsahal au nord et dans le centre de l’enclave. À ces premiers signes de dissension s’ajoutent les déclarations du bureau de Benyamin Nétanyahou, qui considère qu’il s’agirait là « d’un net recul par rapport à la position constante des États-Unis au Conseil de sécurité depuis le début de la guerre ».

Une guerre de plus en plus difficile à justifier pour les Etats-Unis

L’horreur du génocide à Gaza n’aura échappé à personne. Avec plus de 32 000 morts, des bombardements massifs, une famine organisée, les menaces d’interventions terrestre sur Rafah et la concrétisation du projet colonial de l’Etat israélien aiguisent les contradictions d’Israël mais aussi de ses principaux soutiens, les Etats-Unis en tête.

De Chuck Summer à la résolution étatsunienne soumise, vendredi dernier, au Conseil de Sécurité, la diplomatie étatsunienne feint de prendre ses distances avec la coalition gouvernementale d’extrême-droite de Benjamin Netanyahou. Appelant à de nouvelles élections et tentant de prévenir l’isolement international croissant de l’Etat colonial, le discours du président des Démocrates en début de semaine dernière a témoigné des craintes du camp démocrate à l’orée des élections présidentielles. Face à la désertion d’une partie de leur électorat, les Démocrates, dont l’image est écornée dans l’opinion publique étatsunienne, multiplient les opérations de communication afin d’en enrayer l’érosion : multipliant les largages humanitaires dans l’enclave, le président Biden a également annoncé, pendant son discours sur l’état de l’Union, que les forces étatsuniennes construiraient un port provisoire à Gaza. Au premier rang des électeurs traditionnels du camp démocrate qui pourraient faire défection en novembre, les arabo-américains jouent en effet un rôle clef et, dans certains États comme le Michigan (où ils représentent 2,1% des électeurs), pourraient s’avérer déterminants sur le résultat. Mais c’est surtout dans une partie de la jeunesse que le mécontentement à l’égard du soutien américain envers Israël grandit : les jeunes proches du parti démocrate sont nombreux à avoir pris part aux manifestations en solidarité avec la Palestine et dénoncent avec fermeté le soutien financier et militaire que les Etats-Unis continuent d’apporter aux opérations génocidaires de Tsahal dans la bande de Gaza.

À cet enjeu électoral s’ajoutent en outre des intérêts contradictoires pour les États-Unis. Alors que les Etats-Unis avaient fait de l’Indopacifique leur terrain d’engagement privilégié depuis la présidence Obama, désireux de laisser derrière lui le bourbier afghan et le désastre irakien, la course fanatique qu’a adoptée Benjamin Netanyahou et la guerre « multifront », comme la désignait Yoav Gallant à la Knesset, que mène Israël à Gaza, au Liban, en Syrie et en Jordanie, ont contraint les Etats-Unis à se réengager provisoirement dans la région, au risque de s’embourber dans une nouvelle guerre. Tandis qu’Obama avait réussi à apaiser les relations entre les Etats-Unis et l’Iran, grâce à l’accord sur le nucléaire signé en 2019, la course à l’abime dans laquelle Tsahal précipite la région, a profondément fragilisé les équilibres régionaux. Affaiblissant le crédit porté aux Etats-Unis, détournant partiellement l’Arabie Saoudite de la tutelle étatsunienne, menaçant le Liban d’une guerre totale, les opérations de Tsahal ont précarisé les positions régionales des Etats-Unis. S’il est hors de question pour la Maison-Blanche de mettre fin à ses relations avec Israël qui joue un rôle vital pour la protection des intérêts états-uniens au Proche et Moyen-Orient, les Etats-Unis tentent de réasseoir leur autorité affaiblie sur Israël, un instrument devenu incontrôlable de l’impérialisme étatsunien.

L’abstention américaine au vote de la résolution appelant à un « cessez-le-feu » n’a ainsi rien d’un revirement géopolitique. Loin de prendre ses distances avec Israël, les Etats-Unis tentent de fixer des limites aux opérations militaires de Tsahal afin de préserver leurs intérêts régionaux et de pérenniser leurs positions. Sous le voile des passes d’armes diplomatiques, les Etats-Unis continuent par ailleurs d’alimenter la machine de guerre israélienne en accordant à un gouvernement coupable du premier génocide du XXIème siècle des aides massives. Rien que le mois dernier, en plus des 3,8 milliards de dollars d’aide que reçoit chaque année l’Etat colonial, le Sénat américain a voté, sous la pression des Démocrates, l’envoi d’un « paquet » d’armement d’une valeur de 14,3 milliards de dollars destiné à appuyer l’offensive israélienne.

Les contradictions d’Israël s’approfondissent

Alors qu’il fait face à de nombreuses poursuites judiciaires, Netanyahou de son côté ne peut espérer rester au pouvoir qu’à satisfaire les intérêts de l’aile la plus droitière de sa coalition gouvernementale. Afin d’essouffler la société civile israélienne, Netanyahou fait ainsi le choix de la guerre permanente tout en ratifiant les propositions coloniales maximalistes de certains membres de son cabinet comme Bezalel Smotrich ou Itamar Ben-Gvir, pour s’assurer de leur soutien. Si un mouvement en faveur de la libération des otages s’est structuré, l’opposition populaire à Netanyahou est néanmoins ambiguë : faisant de la libération des otages une priorité, l’opposition populaire n’en ratifie pas moins la poursuite de l’offensive à Gaza, conditionnant toutefois le déclenchement d’une guerre totale à la libération préalable des prisonniers détenus par le Hamas et par certains des clans qui ont repris en partie le pouvoir depuis le 7 octobre. Dans ces conditions, les réticences dont les Etats-Unis font publiquement preuves à l’égard de la stratégie du cabinet de guerre permettent à Netanyahou de se poser en défenseur des intérêts israéliens remis en question par le « grand frère » yankee alors même qu’une partie de l’opposition parlementaire à Netanyahou, conduite par Benny Gantz, tente de mettre à bas sa coalition en demandant la fin de l’exemption du service militaire pour les juifs orthodoxes.

Toutefois, malgré ce discours « jusqu’au boutiste » et en dépit des déclarations de Netanyahou, la dépendance d’Israël à l’égard de l’aide étatsunienne demeure très importante. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis lui ont par exemple fourni plus de 300 milliards de dollars d’aide militaire (somme ajustée sur l’inflation). Aussi, 69% des armes importées entre 2013 et 2022 en Israël provenaient des États-Unis, et une bonne partie du Dôme de fer, indispensable à la sécurité aérienne du pays, est financée grâce à l’aide directe américaine. Un soutien de nature à fragiliser encore la position précaire d’Israël à court et moyen terme dans le Moyen-Orient. Et cela d’autant plus que les contradictions qui attisent les échanges israélo-étatsuniens se reflètent à une échelle internationale plus large. D’autres pays membres de l’OTAN, comme le Canada, commencent à remettre en question leur soutien matériel à Israël. Ottawa a ainsi annoncé, lundi 19 mars, l’interruption de la vente d’armes à Israël suite au vote du Parlement d’une motion non contraignante en faveur d’un « cessez-le-feu immédiat » qui demandait au gouvernement de « cesser l’approbation et le transfert » d’armes à « destination d’Israël ». L’Italie avait, pour sa part, suspendu dès le 7 octobre ses exportations d’armes à destination d’Israël. Au nord de l’Europe, les Pays-Bas ont interrompu l’exportation des composants de F-35 après que la Cour d’appel de la Haye ait estimé, le 12 février, qu’il y aurait « un risque clair » que ces F-35 soient utilisés dans le cadre de l’offensive israélienne. Dans le même mouvement, l’Espagne et la Belgique ont par ailleurs aussi réduits la voilure en matière d’exportation d’armes.

Sur le terrain, le « scénario du pire » continue

Sur le « terrain », c’est pourtant bien le scénario du pire qui reste à l’ordre du jour. Comme un symbole de son caractère « langagier », la résolution adoptée à l’ONU ne s’accompagne d’aucune précision quant à ses modalités d’application. Ne prévoyant aucune sanction en direction de l’Etat colonial, la disposition ne prévoit ainsi ni embargo, ni pression économique. Bien au contraire, les principaux fournisseurs d’armes à Israël que sont les États-Unis, l’Allemagne et la France continuent de se rendre complices des opérations génocidaires en cours. Ainsi, le projet de loi de finances déposé jeudi 21 mars au Congrès des Etats-Unis, prévoit de réduire drastiquement le financement américain de l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine qui assure l’essentiel des livraisons d’aide humanitaire destinées aux Gazaouis dont 2,4 millions d’entre eux sont, selon l’ONU, menacés de famine. Ce texte prévoit aussi une aide militaire supplémentaire de 4 milliards de dollars à Israël.

Israël a par ailleurs déjà annoncé qu’elle ne renoncerait pas à prendre, par voie terrestre, Rafah où 1,5 millions de Palestiniens sont réfugiés, organisant toujours aussi méthodiquement la famine dans la bande de Gaza en bloquant l’acheminement de l’aide humanitaire et en tirant à vue sur les Gazaouis risquant leur vie pour quelques grammes de farine. En outre, Tsahal a poursuivi ses opérations dans l’enclave dès le lendemain du vote de la résolution au Conseil de Sécurité, faisant fi d’un texte qu’Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, jugeait qu’il était impardonnable d’ignorer. Israël a ainsi revendiqué dès le lendemain du vote de la résolution des attaques sur plus de soixante cibles dans toute la bande de Gaza. Des opérations qui ciblent particulièrement les hôpitaux, comme l’hôpital Al-Shifa à Gaza, l’hôpital Nasser à Khan Younés, ou encore l’hôpital Al-Amal à environ un kilomètre de Nasser qui, d’après le Croissant-Rouge, est désormais « hors service ». Seulement quelques jours après le vote de la résolution, plus de 200 palestiniens auraient été abattus, faisant regretter à Christos Christou, président international de Médecins sans frontières (MSF), de ne « constater aucun changement sur le terrain après la résolution » . Mais en plus de l’intensification du génocide à Gaza, il n’a pas fallu plus de 48 heures après le vote de la résolution pour que l’armée israélienne décide d’intensifier ses opérations au Liban, en bombardant la plaine de la Bekaa, en menant des frappes simultanées à environ 18 kilomètres de la ville de Baalbek et en échangeant des tirs avec le Hezbollah dans le sud du pays, faisant déjà 16 morts, dont deux secouristes.

Si la création de l’Etat Israël a été légitimée par une résolution onusienne, il s’agit également de la nation qui, au cours de son histoire, a le plus systématiquement ignoré les prescriptions des Nations Unies. Si la résolution votée, ce lundi, au Conseil de Sécurité témoigne de l’affaiblissement des Etats-Unis, elle n’aura aucune conséquence concrète et n’améliorera en aucun cas le sort de la population gazaouie. Elle montre également la duplicité des institutions impérialistes chargées de réguler l’ordre international : juge de paix des conflits impérialistes, ces institutions, l’ONU en tête, sont non seulement totalement impuissantes à freiner les velléités coloniales et guerrières d’Israël mais elles permettent aussi aux nations dont elles représentent les intérêts de se dédouaner de leurs responsabilités, légitimant ainsi soit activement soit par leur passivité le maintien de la Palestine dans un état colonial. Demandant, presque pour le symbole, un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, l’ONU ne prend aucune disposition susceptible de rendre cette décision effective et fait volontairement de ses déclarations d’encre et de papier de simples lettres mortes. Impasse collective, le droit international impérialiste est incapable d’interrompre la machine de guerre israélienne. Seul le mouvement de masse et la révolte des prolétariats arabes pourront, sur une base régionale, transformer décisivement et libérer la région et la Palestine de la domination impérialiste.


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