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Jordanie : les mobilisations contre la collaboration avec Israël se poursuivent à Amman malgré la répression

Depuis dimanche soir, des manifestations quotidiennes agitent le quartier de El Rabia à Amman. Contre la collaboration des autorités jordaniennes avec Israël, les manifestants, violemment réprimés par la police, demandent la fin du traité israélo-jordanien signé en 1994 et expriment leur colère à proximité de l’ambassade israélienne.

Enzo Tresso

28 mars

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Jordanie : les mobilisations contre la collaboration avec Israël se poursuivent à Amman malgré la répression

Crédits photo : Capture d’écran mobilisation Amman

Partageant, depuis de nombreuses années, son destin avec celui de la Palestine, le peuple jordanien a de nombreuses fois témoigné de sa solidarité avec le peuple palestinien. Aujourd’hui, près de 60 % de la population jordanienne est d’origine palestinienne. Exilés de force par Tsahal, les ainés des Jordaniens qui prennent aujourd’hui la rue et affrontent le régime réactionnaire du roi Abdallah ont fui la Nakba, en 1947, et la Naksa, en 1967. Alors que Tsahal anéantit Gaza et massacre sans retenue la population de l’enclave, la solidarité des Jordaniens à l’égard de la Palestine ne s’est pas démentie. Depuis le début de l’offensive israélienne à Gaza, des mobilisations massives ont ponctué la vie du pays. Si la lassitude avait quelque peu dépeuplé les rangs des manifestations, la situation humanitaire apocalyptique qui règne à Gaza, où de nombreux jordaniens ont encore de la famille, et la collaboration des autorités jordaniennes avec Israël ont aiguillonné la colère populaire qui s’exprime, sans discontinuer, depuis dimanche soir. 

Face à la campagne vengeresse de Tsahal à Gaza, la monarchie jordanienne, alliée depuis 1994 avec Israël et alignée sur les Etats-Unis, a tenté de trouver une position d’équilibre entre la solidarité avec la Palestine que son peuple lui impose de défendre et les exigences diplomatiques de la collaboration avec l’Etat colonial. En raison de la pression populaire, le roi Abdallah, dont l’épouse est elle-même palestinienne, a multiplié les initiatives humanitaires : administrant deux hôpitaux à Gaza, les forces jordaniennes ont également procédé à une douzaine de largages aériens pour ravitailler la population de l’enclave que Tsahal affame volontairement. Craignant que la solidarité avec la Palestine ne s’épaississe d’une dimension politique, la monarchie a également, à de nombreuses reprises, appelé à un cessez-le-feu et a condamné les exactions des colons en Cisjordanie, dénonçant les « crimes de guerre » de Tsahal et les « doubles standards » des puissances impérialistes. 

Si les relations diplomatiques entre la Jordanie et Israël se sont tendues, notamment en raison des craintes du pouvoir jordanien que Netanyahou ne profite du blanc-seing que les puissances impérialistes lui ont octroyé pour exiler les Palestiniens cisjordaniens au-delà du Jourdain, le Royaume n’en demeure pas moins un allié de l’Etat colonial, au désespoir d’une partie de sa population qui critique la poursuite des relations commerciales entre la Jordanie et Israël et la hausse des exportations fruitières à destination des marchés israéliens. 

La pression populaire s’était encore accrue, pendant le mois de février, après que la ministre israélienne des transports a annoncé la création d’un pont terrestre et d’un vaste réseau routier permettant d’approvisionner Israël et de contourner la route maritime de la Mer Rouge, devenue infréquentable pour les navires à destination des ports israéliens en raison des très nombreuses opérations du mouvement Houthis. Si Bisher Al-Khasawneh, le premier ministre jordanien, a démenti les propos de la ministre des transports israélienne, Miri Regev, dénonçant de simples « fabrications », la Jordanie est bel et bien engagée, aux côtés des Emirats-Arabes Unies, de l’Egypte et de l’Arabie Saoudite dans le plan israélien. 

Face à la mobilisation croissante de la population jordanienne, le gouvernement a multiplié les opérations répressives. Comme le souligne, Laure Stephan, envoyée spéciale du journal Le Monde à Amman, « s’il a encouragé les Jordaniens à investir le champ de la solidarité, le pouvoir verrouille l’expression plus politique du mécontentement. Dès octobre, les manifestations ont été interdites à proximité de la frontière avec Israël. Des vagues d’arrestations et d’interpellations de militants pro palestiniens ont eu lieu depuis octobre. Neuf activistes seraient toujours en détention. Quelques sept cents personnes font l’objet de poursuites, selon un rapport d’Amnesty International publié début février ». Visant des militants des partis de gauche et des partis islamistes, les autorités craignent la popularité croissante du Hamas, dont la direction a été chassée hors du territoire en 1999, au sein de la population.

Depuis dimanche, les manifestations se succèdent, tous les soirs, dans le quartier de El Rabia à Amman, à proximité de l’ambassade israélienne. Tous les soirs, des centaines de policiers sont déployés pour entraver les manifestants et protéger la délégation israélienne. Mardi, des dizaines de personnes ont tenté de forcer le cordon de sécurité et de s’approcher du bâtiment, et ont été brutalisées par les forces de sécurité de la monarchie jordanienne. 

Mercredi soir, la situation s’est encore tendue : la police anti-émeute a violemment battu des manifestants et arrêté des dizaines de manifestants. Alors que plus de deux mille personnes manifestent tous les soirs dans le quartier, affrontant parfois les forces de l’ordre qui tentent de les empêcher de s’exprimer, les autorités jordaniennes sont fébriles, craignant que ces manifestations de colère ne prennent un tour plus radical encore. 

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Les manifestants réclament l’abolition du traité de 1994. Comme l’explique Raya Sharbaine, dont la famille vit en Palestine et qui manifeste depuis dimanche avec ses amis : « les manifestations n’ont pas cessé depuis octobre dernier. Si les manifestations dans d’autres pays demandent un cessez-le-feu, nous voulons que la Jordanie coupe tout lien avec Israël. Nous devons revenir à la situation d’avant 1994. Je me sens autant Jordanienne que Palestinienne. Aujourd’hui il y a dans les manifestations, autant de Jordano-Palestiniens que de Transjordaniens. Cette guerre nous réunit ». 

Alors qu’un nouveau rassemblement est prévu ce vendredi 29 mars, sous l’égide du front national, qui regroupe plusieurs partis issus du centre gauche et de la gauche, les manifestations se poursuivent, rassemblant plusieurs milliers de personne tous les soirs. Tandis que l’inaction de leur gouvernement les exaspère, le spectre d’une invasion de Rafah aiguise la colère des manifestants, qui comme Houla al-Hroub, députée du Parti des Travailleurs, ont parfois perdu plus d’une centaine de proches dans les bombardements de Gaza. 

Protégé par la compromission des bourgeoisies arabes [1], l’Etat colonial israélien a toujours réussi à défaire la résistance palestinienne. Dirigeants d’un pays dont le destin a toujours été lié avec la Palestine, les monarques jordaniens n’ont jamais soutenu la libération du peuple palestinien. Pendant la guerre israélo-arabe de 1948, les troupes coalisées contre Israël avaient ainsi été placées sous le commandement du Roi Hussein qui avait secrètement obtenu des autorités du Yishouv le contrôle de l’actuelle Cisjordanie. En septembre 1970, alors que les forces de la résistance palestinienne avaient fait de la Jordanie une de leurs bases arrières et que le pays connaissait presque, de l’aveu de Nayef Hawatmeh, une situation de double pouvoir [2], les forces palestiniennes administrant directement une grande partie du pays, le roi Hussein II avait lancé son armée sur la résistance, la contraignant à fuir au Liban. 

Alors que les bourgeoisies arabes maintiennent des relations très fortes avec l’Etat colonial, les manifestants jordaniens rappellent que la révolution en Palestine ne pourra réussir qu’avec le soutien des peuples arabes, unis contre la trahison de leur bourgeoise et portés par l’idéal d’un Moyen-Orient libéré de l’étau impérialiste. 


[1Jean-Pierre Filiu, Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné  : histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècle), Paris, Éditions du Seuil, 2024, pp. 223-256.

[2Alain Gresh, « Mémoire d’un septembre noir », Le monde diplomatique, septembre 2020, lire ici.



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