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Droit international

Génocide en Palestine : que peut-on attendre de la Cour pénale internationale ?

Le 9 novembre, 298 avocats ont annoncé déposer une requête devant la Cour pénale internationale (CPI) pour qu’elle ouvre une enquête sur les crimes commis sur la bande de Gaza. Que peut-on attendre de cette juridiction internationale ?

Enora Lorita

13 décembre 2023

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Génocide en Palestine : que peut-on attendre de la Cour pénale internationale ?

Crédits photo : jbdodane / Flickr

Le 9 novembre, 298 avocats de plusieurs nationalités, menés par l’avocat lyonnais Gilles Devers, se sont constitués au nom de 200 associations pour déposer une plainte devant la Cour pénale internationale (CPI) à la Haye. Parmi eux, on trouve des avocats français mais aussi de nombreux avocats de Palestine, de Turquie, de Jordanie, du Maroc, de Tunisie ou encore d’Algérie.

En invoquant diverses dispositions du droit international, ces avocats du monde entier entendent notamment faire reconnaître par la justice internationale l’existence d’un « génocide par destruction de groupe social », en s’appuyant sur les déclarations de responsables politiques et militaires eux-mêmes qui affirment vouloir détruire la société palestinienne à Gaza et les conditions matérielles des Gazaouis qui sont obligés de fuir pour ne pas mourir. Une initiative qui met donc au cœur la question du génocide, terme nié par les puissances occidentales qui revendiquent un « droit d’Israël à se défendre ».

Du côté des institutions internationales, certains experts de l’ONU ont cependant dès le 2 novembre affirmé que le peuple palestinien courrait un grave risque de génocide. Une position partagée par la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ainsi que par un haut-commissaire aux droits de l’Homme, Craig Mokhbier, qui avait démissionné deux jours plus tôt qualifiant la situation d’un « cas d’école de génocide » et dénoncé la complicité des États-Unis et des pays occidentaux. Des déclarations sur lesquelles s’appuient les avocats, en plus de la jurisprudence en la matière, pour démontrer que la combinaison entre les bombardements, le blocus total, la privation de besoins élémentaires, le transfert forcé de la population et les déclarations des dirigeants israéliens suffisent à prouver l’existence d’un génocide.

Dans un contexte de criminalisation très importante du soutien au peuple palestinien, que près de 300 avocats prennent clairement parti contre le génocide et rendent publique leur action participe à imposer cet enjeu dans le débat public, à rebours du discours dominant diffusé par les grands médias. Aussi, si cette initiative est progressiste, le risque qu’elle comporte est celui de créer l’illusion que la CPI et les institutions internationales pourraient, in fine, participer à libérer la Palestine alors même qu’elles jouent un rôle actif pour le maintien de la domination impérialiste à travers le monde.

La Cour pénale internationale saisie depuis 2009 par la Palestine

C’est en réalité loin d’être la première fois que la Cour pénale internationale est saisie à propos des crimes commis par Israël en Palestine. Dès 2009, après une offensive militaire d’ampleur dans la bande de Gaza qui tue 1500 Palestiniens, l’Autorité palestinienne saisit la Cour pour obtenir une reconnaissance de l’État de Palestine, condition pour que celle-ci se prononce sur le sujet, et pour exiger l’ouverture d’une enquête. Pendant plusieurs années, l’ouverture d’une enquête est refusée au motif que le statut de la Palestine est flou et qu’elle n’est pas membre de la Cour pénale internationale. Ce n’est qu’en 2015 que la Palestine est autorisée à l’intégrer.

En 2015, un « examen préliminaire » est lancé pour savoir si une enquête pourrait être ouverte. Ce n’est que six années plus tard, en mars 2021, qu’une enquête est finalement lancée. Depuis, l’enquête est… au point mort. La raison affichée ? Israël ne veut pas coopérer, empêchant la CPI de se rendre sur place, et d’autres priorités, comme la situation en Ukraine, auraient retardé la situation.

Plus encore, puisqu’Israël n’est pas membre de la Cour pénale internationale, celle-ci n’aurait même pas la compétence pour prononcer une condamnation. Une soi-disant impossibilité pour la CPI de mettre un pied en Israël et de faire avancer l’enquête depuis plus de dix années… Pourtant, fin novembre, pour la première fois, le procureur général de la Cour pénale internationale s’est bel et bien rendu en Israël pour rencontrer les victimes du 7 octobre et leur témoigner toute sa sympathie.

La Cour pénale internationale : un gendarme des conflits mondiaux indépendant ?

Pour comprendre qui est dans le viseur de la Cour pénale internationale et les intérêts qu’elle sert, il est intéressant de regarder quels pays sont aujourd’hui visés par des enquêtes. Sur les dix-sept enquêtes en cours, onze visent des dirigeants de pays africains auxquels s’ajoutent le Venezuela, le Bangladesh, la République des Philippines ou encore l’Afghanistan. Aucun pays occidental n’a jamais été condamné et ne fait aujourd’hui l’objet d’une enquête.

La façon dont a été traité le dossier afghan est à ce titre révélatrice. Depuis mai 2003, une enquête est ouverte concernant les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis en Afghanistan. Si les talibans et les forces de sécurités nationales afghanes étaient visées et le sont toujours, le mandat incluait initialement les crimes commis par les forces armées américaines ainsi que par la CIA.

Alors que plusieurs organismes internationaux avaient fourni une documentation très dense sur les crimes commis par l’armée américaine sur place, notamment concernant la torture et les traitements infligés aux détenus, il avait été finalement annoncé en 2021 que l’enquête se concentrerait sur la responsabilité des talibans et de l’État islamique, évinçant les États-Unis. Cette décision était notamment intervenue après que le gouvernement américain ait menacé la Cour de mesures de rétorsion en cas d’enquête.

De la même façon, alors qu’il existait un dossier solide concernant des faits de torture, d’homicides et de viols perpétré par les forces britanniques en Irak entre 2003 et 2009, l’enquête de la Cour avait été fermée en 2020 au prétexte que le Royaume-Uni avait déjà lui-même enquêté. Ces quelques exemples en disent long sur le rôle de la Cour pénale internationale et de son rôle dans l’ordre mondial international.

Au prétexte de la « neutralité », celle-ci a jusqu’ici toujours été du côté des puissances impérialistes occidentales. Difficile d’attendre beaucoup de cette même Cour, dans un contexte où la quasi-totalité des pays occidentaux affichent leur plein soutien à Israël et revendiquent son « droit à se défendre ». En réalité, la CPI n’a pas pour objectif d’arbitrer à partir de critères juridiques abstraits entre les différents pays du monde pour mettre un terme à l’oppression des peuples. A l’inverse, en pratique, elle sert avant tout à doter d’une légitimité juridique les rapports de force existants entre les grandes puissances et les pays anciennement colonisés ou colonisés.

Un levier dans une campagne au service de la mobilisation de solidarité internationale ?

Si la plainte portée par les 298 avocats, peut jouer un rôle progressiste en permettant de médiatiser à l’international la cause palestinienne et la gravité du génocide en cours, elle ne doit pas générer d’illusions qui tendraient à déplacer le centre de gravité des mobilisations. En effet, seul un mouvement de masse dans les pays arabes ainsi qu’une lutte de solidarité puissante dans les principaux pays impérialistes est à même de mettre à un coup d’arrêt à la détermination sans faille d’Israël à poursuivre son projet colonisateur. S’en remettre aux institutions internationales pour la libération de la Palestine c’est non seulement ignorer qu’aucune des résolutions de l’ONU n’a permis de restaurer les droits du peuple palestinien mais c’est aussi nier le rôle fondateur de cette dernière, dès 1947, dans la mise en place de la colonisation par Israël.

C’est en ce sens que dans l’histoire des luttes anticoloniales, de nombreux juristes et avocats ont contesté la prétendue neutralité des institutions internationales et tenté de construire des alternatives politiques permettant de soutenir les guerres de libération nationale. C’est le cas par exemple du Tribunal Russel-Sartre, tribunal d’opinion fondé en 1966 sous l’égide de Bertrand Russel et Jean-Paul Sartre, pour dénoncer les crimes de guerre commis par les États-Unis pendant la guerre du Vietnam. Différentes personnalités, telles que James Baldwin, Simone de Beauvoir ou Gisèle Halimi ont participé aux sessions de ce « tribunal ». L’issue juridique d’une telle démarche était évidemment secondaire, l’objectif étant avant tout de produire un contre-discours à large échelle qui dénonce l’implication des puissances impérialistes dans les massacres des peuples colonisés.

Ces tribunaux populaires revendiquaient le combat des peuples en lutte comme principal moteur de leur libération et visent aussi à encourager les mobilisations de solidarité au cœur des pays européens. De la même façon, dans les pays occidentaux, il est fondamental de faire de la construction de mobilisations de solidarité avec la Palestine un enjeu central. En ce sens, les avocats et les juristes ont un rôle important à jouer, pour soutenir et encourager les mobilisations face à la répression de l’État, dénoncer le rôle d’une justice internationale au service des puissants et participer à la reconstruction d’une grande tradition politique anti-impérialiste.


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