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Yémen

Coalition internationale en Mer rouge : vers une régionalisation de la guerre Israël-Gaza

Ce lundi, les États-Unis ont annoncé la création d’une nouvelle coalition navale en mer Rouge, pour contrer les opérations des houthistes du Yémen qui perturbent le commerce maritime depuis plusieurs semaines, soi-disant au nom de la cause palestinienne. Si, pour l’instant, la perspective d’un conflit armé ouvert n’est pas à l’ordre du jour, il faut dénoncer cette nouvelle intervention impérialiste au Moyen-Orient.

Irène Karalis

21 décembre 2023

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Coalition internationale en Mer rouge : vers une régionalisation de la guerre Israël-Gaza

Crédits photo : compte X de Lloyd Austin, secrétaire américain d’État à la défense

Ce lundi, les États-Unis ont annoncé la création d’une nouvelle coalition navale en mer Rouge chargée de mener l’opération « Prosperity Guardian » pour contrer les attaques des houthistes. « L’escalade récente des attaques irresponsables des houthistes en provenance du Yémen menace la libre circulation du commerce, met en danger la vie de marins innocents et viole le droit international », a expliqué Lloyd Austin, secrétaire américain d’État à la défense, pour justifier la création de cette coalition. Composée du Royaume-Uni, de Bahreïn, du Canada, de l’Italie, des Pays-Bas, de la Norvège, de l’Espagne, des Seychelles, de la France et des États-Unis, cette coalition constitue une extension d’une des cinq forces maritimes combinées dirigées par les États-Unis depuis vingt ans entre le golfe Persique et la mer Rouge. Si les objectifs de cette coalition ne sont pas encore tout à fait précisés, elle devrait servir surtout à effectuer des patrouilles conjointes dans le Sud de la mer Rouge et dans le golfe d’Aden.

Ces derniers jours, les houthistes ont multiplié les tirs de missiles et les attaques par drone à côté du détroit de Bab al-Mandeb. Lundi, les forces houthistes ont ainsi revendiqué une attaque contre un tanker norvégien, le M/T Swan Atlantic. Des attaques qui s’inscrivent dans la continuité du détournement, le dimanche 19 novembre, du Galaxy Leader, un navire commercial appartenant à la société Ray Car Carriers dirigée par l’homme d’affaires israélien Abraham Rami Ungar, pendant qu’il naviguait en mer Rouge en provenance de la Turquie vers l’Inde. Ces attaques font suite à la déclaration de guerre du mouvement houthiste à Israël en représailles à l’offensive militaire menée par Tsahal contre Gaza après le 7 octobre. Dans un message posté sur X, Yahia Sarei, porte-parole des forces armées houthistes, mettait ainsi en garde « tous les navires appartenant ou traitant avec l’ennemi israélien », affirmant qu’elles « continueront à mener des opérations militaires contre l’ennemi israélien jusqu’à ce que l’agression contre Gaza cesse. »

La France s’est empressée d’annoncer sa participation à cette coalition, Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangères, ayant affirmé en amont des annonces des États-Unis que les attaques houthistes ne « pouvaient rester sans réponse » et que la France étudiait des options « avec ses partenaires [pour] éviter que cela ne recommence ». L’Arabie Saoudite, en revanche, par peur de compromettre le processus de paix entamé avec les forces houthistes, a refusé de faire partie de la coalition. En ce qui concerne l’Iran, le ministre de la Défense Mohammad Reza Ashtiani avait affirmé dès le 14 décembre à propos des États-Unis et de leurs alliés et de l’hypothèse d’une coalition internationale que « s’ils [prenaient] une décision aussi irrationnelle, ils [seraient] confrontés à des problèmes extraordinaires ».

Pour l’instant, les marges de manœuvre de la coalition sont étroites. Michel Olhagaray, vice-amiral et ancien commandant de l’École navale et ex-directeur du Centre des hautes études militaires, explique ainsi auprès de France24 : « La réponse internationale aux attaques des Houthis s’annonce très compliquée, parce que comme dans toute coalition, il faut d’abord que tous ses membres soient d’accord sur la nature et l’ampleur de la réplique. Il va s’agir d’une opération complexe de sécurisation de la mer, mais une espèce de sécurisation entravée puisqu’à mon avis cette coalition n’a pas vocation à frapper directement sur le territoire du Yémen car un tel engrenage serait synonyme de déclaration de guerre. » Le vice-amiral exclut ainsi la possibilité d’un conflit armé : « Ce n’est pas pensable, parce qu’il y a des lignes rouges et parce que cela pourrait entraîner un déchaînement de violence et une explosion du conflit, ajoute-t-il. » Si selon le vice-amiral, l’opération ne permettrait pas d’empêcher complètement les attaques des Houthistes, elle pourrait en revanche permettre de « sécuriser le détroit de Bab al-Mandeb contre des petits esquifs ou des boutres armées utilisés dans des attaques de surface. »

En effet, les attaques menées par les houthistes commencent à avoir des répercussions non négligeables. 20 000 bâtiments circulent par le Canal de Suez chaque année, et entre 10 % et 15 % du commerce maritime mondial transite par ce canal, ainsi que 60 % à 80 % des importations européennes, et notamment le pétrole, le charbon, le minerai de fer et les produits semi-manufacturés. Plus encore, 40 % du commerce mondial transite par le détroit de Bab al-Mandeb, qui est régulièrement la cible des attaques des houthistes. Face à ces risques, plusieurs géants mondiaux du transport maritime ont annoncé suspendre la traversée de la Mer rouge, parmi lesquels l’armateur danois Maersk, le français CMA CGM, le taïwanais Evergreen et la multinationale pétrolière britannique BP. Ces derniers ont choisi de passer par le cap de Bonne-Espérance en Afrique du Sud, choisissant de rallonger le trajet en mer de 10 jours, générant des coûts de transports supplémentaires.

Si pour l’instant, la situation n’a rien à voir avec la situation durant la crise du Covid, quand les coûts des transports avaient plus que quadruplé, elle risque de perturber les chaînes d’approvisionnement. Pierre Cariou, économiste spécialiste du transport maritime et professeur à la KEDGE Business School, explique ainsi auprès de L’Express : « Aujourd’hui, les tensions géopolitiques sont telles qu’elles peuvent amplifier un basculement des chaînes d’approvisionnement. Certains industriels européens pourraient ainsi choisir de transférer leur production asiatique vers d’autres pays plus proches, comme la Turquie ou le Maroc. » Dans le même sens, Peter Sand, analyste à Xeneta, une plateforme d’analyse comparative des tarifs de fret maritime et aérien, explique auprès du journal gCaptain : « En raison de l’importance du canal de Suez pour les chaînes d’approvisionnement mondiales, même une petite perturbation peut avoir de grandes conséquences [...]. Nous pourrions également voir le coût du transport de marchandises par voie maritime augmenter considérablement. En fonction de l’ampleur et de la durée d’une perturbation du canal de Suez, nous pourrions assister à une augmentation des tarifs de transport maritime pouvant aller jusqu’à 100 %. »

La multiplication des incidents en mer Rouge constituait déjà un pas de plus dans l’escalade vers un potentiel embrasement régional consécutif de la guerre à Gaza. L’annonce de la création d’une coalition internationale vient renforcer ce risque d’escalade. Les houthistes, par la voix de Mohammed Albukhaiti, ont déjà affirmé que la coalition internationale ne les arrêterait pas : « Participer à une coalition pour protéger les auteurs de crimes génocidaires est une honte dans l’histoire des pays participants [...]. Si l’Amérique avait agi dans la bonne direction, elle aurait obligé Israël à mettre fin à ses crimes sans qu’il soit nécessaire d’étendre la portée du conflit », a ainsi affirmé leur dirigeant.

En réalité, si les houthistes prétextent le génocide commis par Israël en Palestine pour justifier leurs attaques, ces dernières visent surtout à peser sur les rapports de force régionaux, en particulier vis-à-vis de l’Arabie Saoudite qui dirige la coalition armée lancée par les puissances impérialistes au Yémen pour maintenir au pouvoir l’ancien président Abdrabbo Mansour Hadi. Après l’échec de cette coalition, le prince héritier tente désormais de tourner la page de la guerre au Yémen pour se concentrer sur les grands projets économiques et culturels censés permettre au Royaume de s’ouvrir sur l’Occident. Les opérations des forces houthistes en Mer rouge visent ainsi à faire pression pour obtenir le maximum de concessions de la part de l’Arabie saoudite, notamment le versement des salaires des fonctionnaires yéménites impayés depuis le début de la guerre civile et la reprise des exportations de gaz et de pétrole. Derrière ces attaques plane en outre l’ombre de l’Iran, qui malgré un relatif réchauffement de leurs relations avec les Saoudiens, restent leur principal rival dans la région. Les houthistes, un mouvement chiite, fait partie du dit « Axe de la Résistance », et sont pour large part subordonnés à l’Iran, qui les équipe militairement. Les attaques de ces dernières semaines ont ainsi permis à l’Iran de viser leurs trois principaux ennemis – l’Arabie Saoudite, Israël et les États-Unis.

Ainsi, bien loin d’être des alliés de la cause palestinienne, l’offensive des houthistes vise avant tout à gagner en légitimité populaire et peser sur la scène géopolitique régionale, en ayant recours à un discours populiste qui confond antisionisme et antisémitisme – le slogan des houthistes dit expressément « Malédiction sur les Juifs » –, contribuant à la confusion entretenue par l’État d’Israël et ses alliés impérialistes pour nier la nature coloniale du conflit en cours. En réalité, seule une mobilisation des masses populaires en toute indépendance des régimes autoritaires et corrompus peut constituer une perspective conséquente pour s’opposer à l’État colonial d’Israël et à l’intervention des puissances impérialistes au Moyen-Orient.

Une intervention d’une coalition internationale des puissances impérialistes, même si ces dernières ne semblent pas vouloir aller vers une guerre à proprement parler, ne peut qu’encourager un embrasement régional dont les populations locales feront les frais. D’autant plus que les exemples d’interventions militaires par des « coalitions » dans d’autres pays ne manquent pas et ont déjà montré les conséquences désastreuses des politiques des pays impérialistes pour les populations, à commencer par l’intervention militaire en Libye dont le pays peine encore à se relever. Il faut dénoncer toute intervention impérialiste dans la région.


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