×

Billet

Cachez ce génocide que je ne saurais voir

Ce jeudi à la Haye (Pays-Bas), l’Afrique du Sud plaidait contre Israël, accusé de génocide, devant la Cour Internationale de Justice dans le silence médiatique. Ce vendredi, la « défense » d’Israël fait déjà la une des médias et des plateaux télés.

Nathan Deas

12 janvier

Facebook Twitter
Audio
Cachez ce génocide que je ne saurais voir

Crédit photo : Blinne Ní Ghrálaigh devant la Cour Internationale de Justice de la Haye. Jeudi 11 janvier. Capture d’écan @RTE

« C’est le premier génocide de l’Histoire dont les victimes diffusent leur propre destruction, en direct, dans l’espoir, pour le moment vain, que le monde fasse quelque chose […] Tout le monde devrait être horrifié et avoir honte ». Les mots puissants de l’avocate irlandaise Blinne Ní Ghrálaigh, membre de la délégation sud-africaine, ce vendredi devant la Cour Internationale de Justice font froid dans le dos. Ils ont pris, ce jeudi (et à nouveau ce vendredi), une coloration particulière.

Naïvement, on aurait pu se laisser à penser que le mémorandum soumis par l’Afrique du Sud aurait été de nature à intéresser les médias. Il y avait, en effet, de quoi y trouver quelques « scoops ». Ceux-là dont les plateaux télé et autres éditocrates ordinairement raffolent. Ceux-là qui font du « clique » et de l’audimat. Cette fois, pourtant : nada. Blackout médiatique.

Ce vendredi, pourtant, jour de « défense » d’Israël, la Haye fait la une. Le Monde s’empresse de commenter le « retour » de l’ancien juge Aharon Barak, « auréolé d’une réputation de progressiste », pour « répondre aux accusations de génocides auxquelles fait face l’Etat hébreu dans sa conduite de la guerre à Gaza ». Son envoi « acté par le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a[urait] suscité » l’ire de l’extrême-droite. Un saint donc. Tout juste, peut-on lire en fin d’article : « au fil de sa carrière, M. Barak a protégé avec constance l’Etat et l’armée israélienne de toute critique, menée au nom du droit international, contre la guerre coloniale sans fin qu’ils mènent dans les territoires palestiniens occupés ».

De son côté, France Info a dépêché deux journalistes pour faire le direct de la plaidoirie d’Israël. La veille, l’argumentaire sud-africain n’avait pas suscité pareil intérêt. C’est qu’il ne faudrait pas cette fois risquer de manquer le moindre « argument » susceptible de laver « l’affront » fait à Israël. Pas de direct pour les Echos mais un article au titre on ne peut plus clair ; Guerre à Gaza : Israël se défend d’avoir commis un « génocide ». L’Express, enfin, a réalisé l’exploit jeudi de chercher à produire la défense d’Israël avant même qu’elle ne soit réalisée.

Quelques jours plus tôt, dans une enquête pour Arrêts sur Image, le journaliste Loris Guémart faisait le récit des pressions qui pèsent sur les rédactions au sujet de Gaza, en l’occurrence à Libération. Morceaux choisis : « Le manque de couvertures consacrées aux civil·es gazaoui·es, un portrait pro-palestinien supprimé de l’édition papier dans laquelle il devait paraître, et des reproches appuyés du directeur envers un article de la rubrique "CheckNews" démontant la communication israélienne autour du 7-Octobre. La première réunion collective de la rédaction de "Libération" autour de la couverture de la guerre à Gaza a été particulièrement animée. ».

Pour en revenir aux propos de Blinne Ní Ghrálaigh, pour la première fois en effet, un génocide a lieu en direct, littéralement en live stream sur certaines chaînes d’informations panarabes ou sur les réseaux sociaux, ce qui n’a été le cas ni pour le Rwanda ni pour le Srebrenica. Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas, beaucoup par contre auront à se défendre d’avoir choisi de ne pas montrer. Voilà en tous cas, la première leçon (s’il fallait la réapprendre) de la Cour internationalE de justice de la Haye : les journalistes aussi ont du sang sur les mains. Et cela, depuis des mois.

A chaque fois, du moins, qu’ils ont accompagné de suspicion les chiffres du nombre de morts donnés par le ministère de la santé à Gaza. A chaque fois qu’ils ont déshumanisé, relativisé, le traitement réservé aux Gazaouis et justifié un massacre au nom du traitement d’exception réservé au Hamas. A chaque fois, qu’ils ont propagé les fake news de l’armée israélienne (et de ses soutiens impérialistes) et donné leurs antennes à ses responsables, sans la moindre contradiction. A chaque fois enfin, qu’ils ont choisi de ne pas couvrir.

Sans même parler de la suspicion qui a frappé les journalistes accusés de « communautarisme » quand ils offraient un autre récit ou de la cabale islamophobe que les médias français se sont acharnés à construire sur fond de narration d’un conflit religieux et civilisationnel en Palestine.

On remarquera la disproportion, fin décembre, à la suite d’une attaque russe sur les villes ukrainiennes qui avait fait une trentaine de morts, le Monde titrait sur la « campagne de terreur russe ». Ce qui se passe en Palestine a un nom, c’est un génocide. Combien de temps (de morts et de déplacés) faudra-t-il encore pour en faire le récit ?


Facebook Twitter
Netanyahou compare les étudiants américains pro-Palestine aux nazis dans les années 1930

Netanyahou compare les étudiants américains pro-Palestine aux nazis dans les années 1930

Interview d'une étudiante de Columbia : « les campements doivent s'étendre à l'ensemble du pays »

Interview d’une étudiante de Columbia : « les campements doivent s’étendre à l’ensemble du pays »

Etats-Unis : la mobilisation de la jeunesse étudiante attise les difficultés de Biden

Etats-Unis : la mobilisation de la jeunesse étudiante attise les difficultés de Biden

Du Vietnam à la Palestine ? En 1968, l'occupation de Columbia enflammait les campus américains

Du Vietnam à la Palestine ? En 1968, l’occupation de Columbia enflammait les campus américains

Hongrie : 4 antifascistes menacés de jusqu'à 24 ans de prison ferme pour leur lutte contre des néo-nazis

Hongrie : 4 antifascistes menacés de jusqu’à 24 ans de prison ferme pour leur lutte contre des néo-nazis

Mumia Abu Jamal, plus vieux prisonnier politique du monde, fête ses 70 ans dans les prisons américaines

Mumia Abu Jamal, plus vieux prisonnier politique du monde, fête ses 70 ans dans les prisons américaines

Surenchère xénophobe : La déportation des migrants vers le Rwanda adoptée au Royaume-Uni

Surenchère xénophobe : La déportation des migrants vers le Rwanda adoptée au Royaume-Uni

Argentine : 1 million de personnes dans les rues pour défendre l'université publique contre Milei

Argentine : 1 million de personnes dans les rues pour défendre l’université publique contre Milei