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Emprisonnements politiques

 Assa Traoré : « En sept mois ils nous ont fait un mort et trois prisonniers »

Une vengeance d'Etat. Un acharnement méthodique pour détruire une famille qui a l'audace de résister. Une véritable guerre, dans la France néocoloniale. Difficile de trouver des mots suffisamment forts pour rendre compte de ce qui est en train d'être fait à la famille Traoré, d'ailleurs dans un silence insupportable des médias, et, malheureusement, trop peu brisé par les milieux militants. Pourtant, deux coups de massue viennent d'être portés successivement à cette famille devenue un symbole, et dont désormais deux frères dorment en prison, aux côtés du jeune rappeur Dooums, et cela après le meurtre d'Adama le 19 juillet dernier. Guillaume Vadot

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La nouvelle agression du tribunal de Pontoise : Yacouba Traoré et Dooums, 20 ans, emprisonnés cette semaine pour 18 et 15 mois respectivement


Ce lundi 13 mars matin, la gendarmerie de Beaumont, celle qui a tué Adama, a monté une opération spectaculaire. Il s’agissait pour elle d’interpeller Yacouba, Cheikne, Youssouf et Dooums dans le cadre de la plainte d’un jeune Beaumontois qui les accusait de violences à son égard. A-t-elle pris la peine d’envoyer des convocations aux quatre jeunes hommes ? Est-elle venue les chercher leur domicile comme elle le fait au quotidien dans les autres affaires ? Non, ce lundi matin les gendarmes de Beaumont-sur-Oise avaient prévu toute une mise en scène, et un déploiement de forces qui témoignait déjà de l’objectif visé : faire apparaître, auprès des Beaumontoises et Beaumontois qui depuis sept mois entourent la famille dans sa lutte pour la vérité et la justice, les membres de la famille Traoré comme de dangereux criminels.

Cheikne Traoré a ainsi été interpellé à 6h du matin, dans le bus qui le conduisait au travail, où s’étaient postés deux gendarmes en civil, appuyés par dix autres de leurs collègues qui ont fait arrêter le bus en hurlant, sur un rond point. Une méthode qui fait échos à celle utilisée lors de l’interpellation de Baguy Traoré en novembre dernier, quand des gendarmes l’avaient suivi pendant 45 minutes avant de le plaquer au sol en criant à l’instant même où il entrait sur son lieu de travail – un travail qu’il a évidemment perdu depuis, du fait de sa condamnation.

Salir la famille, pour l’isoler et la réduire au silence : voilà ce à quoi vise la multiplication des accusations et des condamnations sommaires contre les Traoré, à grand renfort de scénarisation spectaculaire. En l’occurrence, Yacouba Traoré a reconnu avoir porté un coup de poing à ce jeune homme...et a écopé de dix-huit mois de prison ferme et deux ans d’interdiction de revenir à Beaumont-sur-Oise. Autant dire une peine extrêmement lourde au vu des faits, qui vaut surtout pour sa signification politique dans l’affaire Adama. Dooums, 20 ans lui aussi et rappeur qui nous avait fait l’honneur de venir chanter à l’université Paris 8 pour un concert contre les violences policières mardi 7 mars, a écopé de quinze mois de prison ferme et des mêmes deux années d’éloignement. Le jeune homme était en réinsertion, venait d’avoir son permis et se préparait pour une formation de brancardier en septembre 2017.

« Le délibéré à duré vingt minutes, c’est en vingt minutes qu’ils brisent la vie de deux jeunes », confiait Assa Traoré à la sortie du jugement qui s’est tenu mercredi dernier, et qui a été prononcé par la même procureure de Pontoise que celle qui avait déjà condamné Bagui et Youssouf en décembre dernier. Ce dernier, qui avait alors écopé de prison avec sursis, n’était pas présent lors des faits incriminés cette fois-ci, pas plus que son frère Cheikne arrêté pourtant comme un terroriste deux jours plus tôt. Yacouba et Dooums, militants de la cause de leur frère et ami Adama, sont donc derrière les barreaux jusque l’été 2018, une peine scandaleuse qui en fait de nouveaux prisonniers politiques dans cette affaire. Les trois gendarmes qui ont tué Adama, eux, ne sont toujours pas mis en examen.

Baguy Traoré au 11e jour de sa grève de la faim en prison


Le 4 mars dernier à Beaumont-sur-Oise, dans le quartier de Boyenval, Assa Traoré avait expliqué avec émotion comment le fils de son petit frère Baguy, marqué par la séparation d’avec son père à cause de son emprisonnement, venait de baptiser « Baguy » un poisson rouge qui lui avait été offert. Voilà en effet plus de trois mois que Baguy Traoré vit dans un bocal, une cellule de quelques mètres carré. Il a en effet écopé de huit mois de prison ferme le 14 décembre dernier, pour de prétendues violences sur des policiers qui n’ont jamais pu l’identifier, et ont du reconnaître lors du procès qu’ils s’étaient blessés eux mêmes avec leur chien et leurs lacrymos. Huit mois ferme et donc, un premier prisonnier politique.

Mais l’acharnement contre l’aîné d’un an de Adama ne s’est pas arrêté là. Le 28 février dernier, il était tout-à-coup sorti de sa cellule pour une garde-à-vue où il apprenait sa mise en examen pour une prétendue « tentative d’homicide » sur des agents de forces de l’ordre en juillet dernier. Baguy, militant de la première heure du collectif Justice et Vérité pour Adama, n’est pas visé par hasard. Il est aussi, en effet, le principal témoin dans l’affaire du meurtre de son frère, présent au moment de son interpellation. C’est lui qui a constaté que l’un des gendarmes qui a emmené Adama est revenu avec un t-shirt plein de sang, t-shirt dont la famille a demandé l’analyse depuis octobre dernier...sans jamais obtenir jusque là les résultats.

« Depuis décembre, l’argent et la nourriture qu’on envoie à notre frère sont interceptés, et l’on ne nous a jamais permis de voir Baguy, tous les parloirs sont refusés. Le premier prévu l’était justement le lendemain de cette nouvelle mise en examen », explique Assa Traoré. L’accusation qui pèse sur Baguy est lourde, et pourrait déboucher sur une peine de vingt ou trente ans de réclusion criminelle. Une autre vie volée à la famille. C’est face à ce nouveau coup d’une véritable vengeance d’Etat que Baguy Traoré a entamé ce mardi 6 mars une grève de la faim. Voila donc onze jours qu’il ne s’alimente plus, a été mis à l’isolement et est surveillé vingt quatre heures sur vingt quatre. Son combat doit être connu, car le silence, l’invisibilisation, ce sont les armes qu’utilise le racisme d’Etat pour gagner.

« S’appeler Traoré aujourd’hui, c’est être traité différemment, à cause de notre lutte »


La phrase est à nouveau de Assa Traoré, porte-parole de la famille. Et pour cause. Déjà deux frères de Adama et un de ses amis sont en prison, dans le cadre d’un acharnement répressif que même le plus mal intentionné des juristes de cette société-là ne pourrait pas ne pas constater. Mercredi à Pontoise, la procureure enrageait même de ne pas pouvoir faire condamner Youssouf et Cheikne. Jusqu’où donc l’Etat va-t-il aller ? Quelles nouvelles accusations fantaisistes vont-elles être lancées contre la famille ? Lors de la conférence de presse organisée par le collectif Justice et Vérité pour Adama juste après la nouvelle mise en examen de Baguy, le parallèle était fait par Samir Elyes avec la vendetta lancée en 2007 contre les frères Kamara, militants reconnus contre les violences policières à Villiers-le-Bel, qui avaient été accusés (déjà !) de tentative d’homicide contre les forces de l’ordre et avaient écopé de 14 et 17 ans de prison ferme.

Nous ne les laisserons pas isoler la famille Traoré !


Face à cet acharnement, il nous revient à tous de comprendre le dispositif qui est à l’oeuvre, et les racines qui sont les siennes dans une France néocoloniale. S’il y a quinze morts par an dans les quartiers populaires, si les contrôles policiers visent huit fois plus les noirs et les arabes, ce n’est pas par hasard. La répression ciblée des populations racisées, originaires des anciennes colonies aujourd’hui encore sous le joug de la domination économique et politique de l’impérialisme Français, est au cœur de l’ordre social imposé par ce dernier. C’est ce qui fait répéter inlassablement à Assa Traoré que pour qu’il n’y ait plus de morts, il faudra une révolution. Voilà le niveau de profondeur qui est celui du combat mené par la famille Traoré depuis 7 mois. Et voilà pourquoi ce combat nous concerne tous, autant qu’une réforme de la sécu ou qu’un plan de licenciement.

En multipliant les calomnies et les condamnations judiciaires, l’Etat veut jeter l’opprobe sur la famille, faire peur à ses soutiens. Il veut aussi réimposer la peur dans l’esprit de toutes les familles, de tous les habitants des quartiers. Nous sommes donc dans un moment particulier du combat entamé en juillet dernier, où il s’agit de mettre en échec cette stratégie d’isolement. Et tout le monde est concerné, car si la police tue et la justice travaille à deux vitesses, le silence aussi est criminel.

La famille a besoin d’argent pour faire face aux frais d’avocats qui lui sont imposés par toutes ces procédures, n’hésitez donc pas à contribuer à la cagnotte en ligne.


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