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Élections en Grèce

Abstention à 48% et droitisation du champ politique : que faut-il penser des élections en Grèce ?

Avec 52% de participation seulement, l’abstention est la grande vainqueure des élections qui se sont tenues ce dimanche en Grèce. Au milieu de cette crise politique et institutionnelle profonde, la droite et l’extrême-droite tirent leur épingle du jeu tandis que que la gauche parlementaire, en particulier Syriza, se retrouve satellisée.

Irène Karalis

27 juin 2023

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Abstention à 48% et droitisation du champ politique : que faut-il penser des élections en Grèce ?

Crédits photo : Vue du Parlement grec / Jebulon

Ce dimanche avait lieu le deuxième scrutin des élections législatives en Grèce. Les résultats entérinent la victoire franche du premier ministre sortant Kyriakos Mitsotakis qui obtient la majorité absolue au Parlement et distance de plus de 20 points le second parti, tandis que trois nouvelles formations d’extrême-droite entrent au Parlement et que Syriza s’effondrent. Mais la crise politique est loin d’être refermée, en témoigne l’abstention historique.

L’abstention, la grande vainqueure des élections

48% : c’est le score qu’a atteint l’abstention ce dimanche en Grèce. En hausse de près de 9% par rapport au premier scrutin électoral de mai, elle atteint ainsi un niveau historique, parmi les plus élevés depuis la période d’après-guerre. Elle est le signe d’une crise politique profonde, dans un pays où il y a eu un appauvrissement général de la population depuis la crise économique. La Grèce est par exemple le quatrième pays d’Europe où les salaires sont plus bas avec un salaire minimum fixé à 780 euros, une pension moyenne de retraite à 933€ dans le secteur public et 674€ dans le privé et où 35% de la population vit sous le seuil de pauvreté en 2021. Le pays a été par ailleurs très touché par la crise du Covid avec l’arrêt du tourisme et par la guerre avec l’explosion des prix, avec 15,6% d’inflation sur les produits alimentaires en janvier.

De plus, le premier mandat de Mitsotakis a été émaillé de nombreux scandales. Un scandale d’espionnage a ainsi éclaté l’été dernier, révélant que les services de renseignements grecs avaient mis sur écoute pendant plusieurs mois le dirigeant du PASOK, troisième parti politique du pays, ainsi que des journalistes d’investigation. Cette crise a entraîné deux démissions, celle du directeur du renseignement et celle du secrétaire général du bureau du premier ministre. Par ailleurs, le gouvernement de Mitsotakis s’est illustré par une gestion particulièrement violente de la question migratoire, et notamment ses pratiques de refoulements illégaux de réfugiés aux frontières, dont des images avaient été révélées par le New York Times. Ces pratiques abjectes de « pushback » s’inscrivent dans la droite lignée des politiques anti-migratoires du gouvernement dont l’exemple le plus criant a été révélé au monde entier il y a deux semaines seulement, lors du naufrage en Méditerranée qui a fait au moins 82 morts et 500 disparus, et à propos duquel la responsabilité des gardes-côtes grecs a vivement été remise en question.

Plus profondément, la situation est marquée par un discrédit profond des institutions et de la classe politique grecques auprès de la population, qui subit depuis plus d’une décennie les politiques austéritaires imposées par le FMI et la BCE et appliquées de manière zélée par les gouvernements successifs, que ce soit ceux du PASOK, de Syriza et de Nouvelle Démocratie. De fait, la trahison de Syriza en 2015 n’est pas pour rien dans ce score historique de l’abstention, qui marque un rejet et un dégoût de la part de la population des manœuvres politiciennes et des fausses promesses électorales de la classe politique grecque.

Une droitisation du champ politique qui s’approfondit

Au milieu de cette crise politique, la droite et l’extrême-droite tirent leur épingle du jeu, les élections marquant un approfondissement de la droitisation du champ politique. Nouvelle Démocratie enregistre ainsi un score de 40,55% et obtient 158 sièges sur 300 au Parlement grâce à la loi électorale qu’il a adoptée prévoyant un bonus de 50 sièges supplémentaires à la première force électorale.

Cette victoire peut s’expliquer par deux raisons : d’une part, sous le mandat de Mitsotakis, la situation économique s’est relativement stabilisée, l’assouplissement des contraintes économiques de l’UE et de la BCE pendant la pandémie lui ayant permis de donner quelques miettes aux ménages grecs et la reprise du tourisme à la fin de la pandémie ayant relancé la croissance économique. Mitsotakis a ainsi basé toute une partie de sa campagne sur des promesses démagogiques d’embaucher 10 000 soignants et d’augmenter le salaire moyen de 25% durant son prochain mandat et les pensions de retraite de 3 à 4%. Dans un contexte de crise économique toujours présente, beaucoup de franges de la population ont ainsi placé des espoirs dans Mitsotakis, sans que ce dernier parvienne pour autant à incorporer et entraîner les masses tout entières derrière son programme en réalité profondément néolibéral et antisocial.

La deuxième clé de la victoire de Mitsotakis est à chercher du côté de la banalisation des idées réactionnaires, xénophobes et nationalistes, notamment sur la question de la Turquie, à propos de laquelle Mitsotakis a depuis le début de son mandat adopté une attitude belliqueuse, flattant les tendances les plus nationalistes et réactionnaires qui peuvent exister au sein de la population grecque. Ce discours nationaliste s’accompagne d’une propagande xénophobe nauséabonde permanente contre les réfugiés, afin de justifier le durcissement de la lutte contre l’immigration dite illégale. Par ailleurs, Mitsotakis semble avoir peu souffert de l’énorme colère qui a suivi l’accident de train et du naufrage en Méditerranée, la responsabilité de Syriza qui avait privatisé la compagnie ferroviaire mise en cause ayant été dénoncée au même plan que celle de l’État grec dans le premier cas, et celle des passeurs ayant monopolisé le débat public dans le deuxième.

Cette victoire de Nouvelle Démocratie s’accompagne de l’entrée de trois formations d’extrême-droite au Parlement. Le parti « Solution grecque » obtient 4,4% des voix tandis que l’organisation religieuse Niki fait ainsi 3,69% et obtient 10 députés. Dirigée par le théologien Dimitris Natsios, sa ligne politique est d’« unir tous les Grecs qui sont inspirés par un esprit patriotique et orthodoxe pour défendre les idéaux de liberté et d’indépendance de toute la nation et les valeurs de la foi chrétienne orthodoxe ». Un discours profondément réactionnaire qui s’incarne dans la réalité par un programme défendant la fin de l’éducation sexuelle à l’école et se prononçant contre l’avortement, les transitions pour les personnes trans et, globalement, la « perturbation » des rôles traditionnels dans la famille.

Enfin, les Spartiates obtiennent 12 sièges au Parlement grâce à un score de 4,64%. Ce parti se place en successeur de l’ancien parti néonazi Aube Dorée et a notamment obtenu le soutien de son ancien dirigeant Ilias Kassidiaris, aujourd’hui en prison pour « appartenance à une organisation criminelle » aux côtés de nombreux autres membres de l’organisation fasciste, qui ont notamment tenté d’assassiner quatre pêcheurs égyptiens et tué le rappeur antifasciste Pavlos Fyssas en 2013.

Au total, ces trois formations d’extrême-droite atteignent un score de près de 13%. Leur entrée au Parlement présage d’un champ politique toujours plus à droite, polarisé sur la question de l’immigration et la défense de réformes antisociales et anti-ouvrières.

Une gauche parlementaire satellisée

De l’autre côté, la gauche parlementaire se retrouve complètement satellisée par ces résultats. Du côté de Syriza, l’humiliation est totale. Avec 17,84% de voix contre 20,07% aux élections de mai et 31,5% en 2019, Syriza enregistre un écart avec Nouvelle Démocratie trois fois plus grand qu’en 2019 et perd la moitié de ses députés. Ce score est la conséquence de la trahison de Syriza en 2015, des politiques austéritaires appliquées pendant toute la durée de son mandat mais aussi du rôle de fausse opposition qu’il a joué pendant tout le mandat de Mitsotakis, votant la plupart de ses lois. Aujourd’hui, Syriza souffre de son incapacité à incarner à nouveau une alternative pour la population grecque, auprès de qui il s’est décrédibilisé pour un moment.

Dans le même temps, si l’effondrement de Syriza bénéficie au PASOK, le parti socialiste grec et a entériné le début de sa réhabilitation sur l’échiquier politique grec après une décennie de discrédit marquée par la corruption et les magouilles,, la formation socialiste n’enregistre qu’une faible progression depuis mai — elle passe de 11,46% à 11,85% — et ne parvient pas à retrouver la place centrale qu’elle voudrait avoir sur la scène politique bourgeoise.

Pour MeRA25, la formation de l’ancien ministre de l’économie de Syriza Yanis Varoufakis, la débâcle est totale. La formation, qui a par ailleurs fait alliance avec Unité Populaire, une autre scission de Syriza, perd ses députés au Parlement, montrant l’échec des tentatives de recomposition du néo réformisme et l’impasse d’une politique qui veut placer toutes ses forces au Parlement et non dans la lutte des classes, d’autant plus quand celle-ci est menée par celui qui a signé l’accord en février 2015 ayant prolongé les mémorandums pour six mois.

Quant au parti Cap sur la liberté qui constitue une tentative de recomposition du néoréformisme sur la droite, il obtient 3,17% ce qui lui permet d’entrer au Parlement avec 8 députés. En effet, fondé par Zoé Konstantopoulou, ancienne présidente du Parlement et dissidente de Syriza qui est également passée par la formation de gauche Unité Populaire, il se caractérise par une forte dimension populiste aux tendances nationalistes. Sous un discours contre la corruption des élus, la formation populiste défend des mesures nationalistes et réactionnaires, à l’image de l’annulation des accords de Prespa de 2018 sur les relations entre la Grèce et la Macédoine et l’extension des eaux territoriales à 12 milles, s’inscrivant ainsi dans la rhétorique belliqueuse du gouvernement, de la droite et de l’extrême-droite grecques à l’égard de la Turquie.

Enfin, le KKE, le parti communiste grec, enregistre une légère progression depuis mai, passant de 7,23% à 7,69%, sans réussir à bénéficier de manière significative du nouveau recul de Syriza. Si ces scores illustrent un renforcement depuis 2019, ils ne doivent pas véhiculer d’illusions sur le rôle du KKE au Parlement et dans la lutte des classes : en effet, le KKE mène depuis des décennies une politique d’adaptation totale au gouvernement et à la bourgeoisie grecque, que ce soit en s’alignant sur cette dernière concernant les tensions avec la Turquie ou en votant par exemple 600 euros supplémentaires pour les forces de répression. Par ailleurs, il faut souligner son rôle traître pendant le mouvement qui a suivi l’accident de train en mars : ce dernier a en effet refusé d’agiter tout mot d’ordre offensif et notamment la nationalisation des chemins de fer, en expliquant que privés ou publics, ces derniers étaient au service du capital et de la bourgeoisie, et a fini par arrêter net le mouvement en appelant fin mars à une prochaine date de mobilisation…le 1er mai.

La situation politique offre des possibilités pour la gauche révolutionnaire !

Si sur le terrain électoral, la crise politique s’est exprimée par une abstention historique, sur le terrain de la lutte des classes, elle s’est manifestée par plusieurs épisodes de grèves et manifestations ces dernières années. En 2020 a ainsi eu lieu une mobilisation nationale contre la réforme des retraites du gouvernement, tandis que plusieurs centaines de lycées ont été occupés pendant la pandémie. En 2021, une grève nationale a explosé contre une loi travail du gouvernement visant à augmenter les heures de travail, et en 2022, des manifestations massives ont eu lieu contre l’inflation et les bas salaires. Dans la jeunesse également, de grandes mobilisations se sont tenues contre les violences policières et contre une loi instaurant une unité de police spéciale dans les universités. Enfin, cette année a été marquée par plusieurs journées de grève générale après l’accident de train qui a fait 57 morts le 28 février ainsi que par de grandes manifestations suite au naufrage en Méditerranée, pointant la responsabilité de l’État grec mais aussi des politiques racistes de l’Europe forteresse.

Dans ce contexte, il existe un terrain propice à une politique offensive de la part des révolutionnaires en Grèce. Or, force est de constater que l’extrême-gauche grecque n’est pas parvenue à apparaître comme une alternative crédible pour la population et à incarner un discours de combat face à la droitisation du champ politique et à l’effondrement de la gauche institutionnelle. Au contraire, elle enregistre même une baisse significative depuis les élections de mai, avec 31 079 voix contre 50 358 en mai. L’OKDE-EP enregistre le même score de 0,03% et la coalition anticapitaliste Antarsya passe de 0,54% à 0,31%.

Si cette baisse s’explique notamment par le soutien d’organisations à MeRA25, par le rabattement d’un certain nombre de voix sur le vote KKE et par l’augmentation de l’abstention, les militants du NAR, organisation communiste membre d’Antarsya, tirent un bilan critique de ce score, expliquant : « La forte baisse des voix d’ANTARSYA par rapport aux élections du 21 mai, mais aussi la grande distance de son bilan électoral par rapport à l’influence de la gauche anticapitaliste dans le mouvement de masse et dans les syndicats, les associations et les municipalités-régions, mettent en évidence le très grave problème de cohésion, de profondeur politique et de liens politiques avec la classe ouvrière et les couches populaires pauvres auquel il est confronté [...]. Il est évident qu’ANTARSYA n’a pas réussi à convaincre le potentiel plus large des luttes, la recherche de radicalité et la gauche communiste au sens large de la nécessité et de la possibilité d’une expression politique et électorale en faveur du programme de lutte et de la perspective anticapitalistes dans le présent. »

Alors que le nouveau mandat de Mitsotakis s’annonce d’ores et déjà comme quatre nouvelles années d’offensive contre les classes populaires, la classe ouvrière et la jeunesse grecques, il y a fort à parier que de nouveaux épisodes de lutte des classes exploseront. Dans ce contexte, il y a urgence à construire une gauche révolutionnaire de combat, capable d’intervenir dans la lutte des classes et de proposer des perspectives fortes au mouvement de masse.


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