×

Loi immigration

Préférence nationale. Quand les macronistes font du Jean-Marie Le Pen

La loi immigration de Darmanin a été adoptée au Parlement grâce à l’alliance de Renaissance/LR/RN. Une loi que Le Pen salut comme une « victoire idéologique » alors que que les macronistes appliquent le programme historique du FN.

Joël Malo

19 décembre 2023

Facebook Twitter
Audio
Préférence nationale. Quand les macronistes font du Jean-Marie Le Pen

Crédits photo : Blandine Le Cain // France Diplomatie

« On peut se réjouir d’une avancée idéologique, d’une victoire même idéologique du Rassemblement national, puisqu’il est inscrit maintenant dans cette loi la priorité nationale, c’est-à-dire l’avantage donné aux Français par rapport aux étrangers présents sur notre territoire dans l’accès à un certain nombre de prestations sociales ». C’est avec ces mots que Marine Le Pen a salué ce mardi 19 décembre l’accord trouvé entre les députés macronistes, LR et RN en Commission Mixte Paritaire.

Ainsi, la loi adoptée ce mardi soir à l’Assemblée et au Sénat prévoit désormais des conditions différenciées selon la nationalité pour l’accès aux allocations familiales, au minimum vieillesse, au droit opposable au logement (le droit à un logement social) et aux Aides Personnalisées au Logement (APL). Jusqu’ici toute personne résidant légalement en France peut, selon des critères sociaux, bénéficier de ces aides au même titre qu’une personne de nationalité française.

Les macronistes viennent de voter aux côtés des LR et du RN pour que désormais, une personne étrangère hors Union Européenne ne puisse pas bénéficier des APL à moins de vivre en France depuis 5 ans ou de travailler depuis 3 mois. Pire, pour les autres allocations, il faut vivre en France depuis 5 ou travailler depuis deux ans et demi.

Cette mesure est une condamnation à la misère de centaines de milliers de personnes et un double racket puisque les étrangers continueront de payer les impôts, taxes et autres cotisations pour des aides qu’ils ne toucheront pas.

Marine Le Pen a évidemment salué cette avancée de la discrimination xénophobe en France ou « préférence nationale », qui constitue l’ADN de son parti.

Aux fondements du programme du FN

« Les Français d’abord. Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ». C’est autour de ce mot d’ordre que le FN de Jean-Marie Le Pen avait mené campagne lors des législatives de 1978.

L’expression de « préférence nationale » qui irrigue depuis sa fondation le programme du FN/RN est emprunté à Jean-Yves Le Gallou, qui intitulait ainsi un livre paru en 1985. Dans celui-ci, ce militant d’extrême droite (depuis passé du FN à Reconquête) professait ainsi que : « L’Education nationale n’a pas à prendre en charge la diffusion de cultures étrangères. L’école doit diffuser un contenu culturel français, et les jeunes Français ne doivent pas avoir à pâtir dans leurs études de la présence dans leurs classes de condisciples étrangers. »

Le programme du FN/RN a en conséquence à son cœur, la stigmatisation des étrangers et la lutte pour les empêcher de vivre en France. Ainsi, dans son programme électoral de 2022, Marine Le Pen souhaitait faire inscrire le principe de préférence nationale dans la Constitution afin d’interdire aux étrangers de travailler dans certaines professions publiques ou privées, de limiter leur droit à participer à certaines associations, les empêcher de se syndiquer ou encore de toucher certaines aides sociales.

Son programme ségrégationniste visait par exemple à conditionner les aides de « solidarité » à cinq ans de travail en France. Avec la loi immigration, les députés macronistes viennent de faire la moitié du chemin en ouvrant le droit aux allocations familiales après deux ans et demi de travail.

La macronie se défend (mal) de toute préférence nationale

« Nous ne sommes pas dans une logique de préférence nationale. Nous faisons la différence entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, qu’on soit français ou qu’on soit étranger » tentait ainsi maladroitement d’expliquer Olivier Dussopt sur France Info le 19 décembre au matin. A priori, le ministre du Travail qui nous a tous fait travailler deux ans de plus, ne voit pas de différence entre une personne de nationalité française qui a droit aux allocations et une étrangère qui doit attendre deux ans et demi si elle travaille, cinq si elle ne travaille pas.

Darmanin, au micro de BFM, continue sur la même ligne en prétendant sans rougir que ce texte n’instaure pas une préférence nationale mais « une préférence pour les travailleurs quelle que soit leur nationalité » et affirmant que ce texte contient des mesure de « justice », à propos de la carotte des prétendues régularisations de travailleurs sans-papier. Carotte à destination de l’ex-NUPES, qui a pourtant été effacée du texte par les LR. En effet, ces régularisations auront lieu « au compte-gouttes et à la discrétion du préfet, sur la base de critères et sur la base de dispositions législatives » précisait Dussopt le matin-même.

L’argumentaire de Darmanin est tellement fallacieux qu’il ne convainc même pas ses propres collègues. Six ministres macronistes auraient menacé de démissionner si la loi était adoptée. La reprise du programme du FN/RN par Macron déplace la crise politique du Parlement jusqu’au sein de son gouvernement et menace de le faire exploser.

Un précédent qui ouvre la boite de Pandore de la « préférence nationale »

Cette situation illustre à quel point Macron a fait sien le programme du FN/RN, au risque de braquer une partie de sa base et de son personnel. C’est dire qu’il a tourné à droite, car ses ministres, pour beaucoup venus du PS, assument totalement toutes les mesures de « préférence nationale » qui existent d’ores et déjà.

Ainsi, pour obtenir le RSA, un étranger doit déjà attester de cinq ans de présence sur le territoire français (15 ans à Mayotte). L’attribution du minimum vieillesse à une personne étrangère est conditionnée à 10 ans de permis de travail, tandis que 5 millions d’emplois sont fermé aux travailleurs étrangers, essentiellement dans la fonction publique mais également dans certaines professions privées. Par-dessus tout, les travailleurs étrangers ont tout à fait le droit de se faire exploiter et souvent dans les pires conditions mais n’ont pas le droit de vote.

Cette réalité est passée sous silence par les partis de la gauche institutionnelle qui n’ont jamais lutté contre cette « préférence nationale », ou seulement pour attirer les sympathies des travailleurs étrangers pour mieux les trahir une fois arrivés au pouvoir. C’est pourtant en s’appuyant sur cet état de fait que Darmanin justifie le plus normalement du monde l’élargissement de ces mesures de discrimination.

Le rejet de cette loi immigration ne peut donc être que synonyme de lutte pour l’égalité totale des droits de tous les exploités peu importe leur nationalité, contre la division raciste et xénophobe entretenue quotidiennement par le gouvernement, les médias et l’extrême droite.

Mais si la préférence nationale existait déjà dans les faits, son intégration dans les lois de la « République » et à une échelle encore plus large constitue un pas de plus vers sa généralisation à d’autres domaines. Cette première loi et la banalisation du FN ouvrent la boite de Pandore pour de futures restrictions des droits des étrangers et toujours plus de discrimination. Evidemment, ces attaques sont toujours un moyen d’enfoncer des coins pour remettre en cause des droits plus larges de l’ensemble des travailleuses et des travailleurs. La lutte contre la loi immigration est une urgence pour l’ensemble de notre classe, qui doit être mise à l’ordre du jour de toutes les organisations du mouvement social et du mouvement ouvrier.


Facebook Twitter
« Sciences Po a le droit d'évacuer » : Glucksmann soutient la répression des étudiant·es pro-Palestine

« Sciences Po a le droit d’évacuer » : Glucksmann soutient la répression des étudiant·es pro-Palestine

Projet de loi logement : le gouvernement prépare une offensive contre les plus précaires

Projet de loi logement : le gouvernement prépare une offensive contre les plus précaires

Tribune. Stop à la criminalisation du soutien à la Palestine !

Tribune. Stop à la criminalisation du soutien à la Palestine !

Sciences Po occupés : rejoignons leur combat contre le génocide à Gaza

Sciences Po occupés : rejoignons leur combat contre le génocide à Gaza

« Préférence européenne », bouclier anti-missile : Macron précise son projet militariste pour l'Europe

« Préférence européenne », bouclier anti-missile : Macron précise son projet militariste pour l’Europe

Toulouse. 33 organisations appellent à se rassembler contre la criminalisation du soutien à la Palestine

Toulouse. 33 organisations appellent à se rassembler contre la criminalisation du soutien à la Palestine

Nouveaux dispositifs policiers et surveillance accrue : l'offensive sécuritaire se déploie à Brest

Nouveaux dispositifs policiers et surveillance accrue : l’offensive sécuritaire se déploie à Brest

Simplification administrative : des annonces creuses qui préparent des offensives d'ampleur

Simplification administrative : des annonces creuses qui préparent des offensives d’ampleur