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Loi immigration

Précarisation du séjour, déchéance de nationalité : une loi au service de la répression des quartiers ?

Fin du droit du sol par automaticité, expulsion automatique des étrangers condamnés… La loi Immigration intègre de nombreuses propositions racistes visant à criminaliser toute personne dite « issue de l’immigration ». De quoi faire écho à la répression des révoltes des quartiers populaires.

Raji Samuthiram

21 décembre 2023

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Précarisation du séjour, déchéance de nationalité : une loi au service de la répression des quartiers ?

Crédit photo : Serge D’Ignazio

La loi Immigration, fruit d’une surenchère raciste entre la droite, l’extrême droite, et l’exécutif, arrive quelques mois après la révolte des quartiers populaires suite au meurtre policier de Nahel. Le gouvernement minoritaire, fragilisé suite au mouvement social contre la réforme des retraites, avait alors déployé un véritable arsenal de guerre pour mater les émeutes. Macron et sa clique insistaient sur la nécessité de rétablir « l’ordre, l’ordre, l’ordre » dans les quartiers, le tout en pointant la responsabilité des parents « défaillants » des émeutiers, et d’un « problème d’intégration » pour expliquer la colère d’une jeunesse confrontée quotidiennement aux violences racistes, policières et économiques dans des quartiers pauvres. De leur côté, la droite et l’extrême droite avaient profité de la séquence pour pousser, dans la même logique, leur programme xénophobe afin de réprimer toute personnes étrangère ou racisée, dite « issues de l’immigration ».

Aujourd’hui, l’exécutif, la droite, et l’extrême droite se sont alignés dans la promulgation d’une loi d’une brutalité historique à l’encontre des étrangers, intégrant des points réactionnaires que de nombreux élus ont pu exprimer l’été dernier en surfant sur la diabolisation des révoltes. Au cœur des propositions répressives, notamment celles visant à précariser l’accès aux titres de séjour et à la nationalité, on retrouve l’idée foncièrement raciste d’une différence culturelle des quartiers créant une incapacité à s’adapter à la nation française, ses « valeurs républicaines » et son « ordre public ». Cet argument idéologique permet de justifier la réponse de l’État : surveiller et punir, tout en poursuivant la fabrique d’un ennemi intérieur nécessitant de renforcer continuellement l’appareil policier aux frontières, dans les quartiers, mais également contre toute contestation sociale face à un gouvernement ultra impopulaire.

La déchéance de nationalité, un symbole d’une victoire revendicative de la droite et l’extrême droite

Pendant les révoltes, une large partie de la classe politique et médiatique avait dressé un portrait d’une jeunesse sauvage, responsable d’un déchaînement insensé contre l’ordre public et la France. Si le racisme soutenant ces idées a été plus ou moins explicité selon les rattachements politiques, la droite et l’extrême droite ont pleinement assumé leurs arguments pour pousser leur programme sur l’immigration, alors qu’ils étaient engagés dans un bras de fer politique avec l’exécutif sur son projet de loi.

De nombreux élus de droite et d’extrême droite avaient réclamé la déchéance de nationalité pour les jeunes révoltés. Dans ce sens, le sénateur républicain Bruno Retailleau avait déclaré : « Certes, ce sont des Français, mais ce sont des Français par leur identité. Malheureusement, pour la deuxième, la troisième génération, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques ». Une rhétorique qui a alimenté la surenchère xénophobe autour de la déchéance de nationalité, dont la modification constitue aujourd’hui l’un des volets les plus controversés de la loi Immigration.

Dans le projet de loi actuel, la déchéance de nationalité s’appliquera pour les binationaux ayant acquis la nationalité française, condamnés pour homicide volontaire de policier ou gendarme. Cette mesure reste largement symbolique : selon les statistiques officielles, entre 0 et 3 décès de policiers et gendarmes par an sont liés à des agressions, et il n’y a aucunes données sur des homicides de policiers commis par des personnes binationales. Mais si ce volet risque de n’avoir que peu de réalité, l’adoption d’une modification au code civil sur la déchéance de nationalité, réforme constitutionnelle portée par le gouvernement socialiste de François Hollande, reste néanmoins une victoire revendicative pour les Républicains.

La sénatrice Républicaine Valérie Boyer, qui avait demandé la déchéance de nationalité de Karim Benzema suite à son tweet en soutien aux palestiniens, s’est notamment félicitée de l’adoption de cette mesure qu’elle a présenté comme une « première marche » avant de pouvoir « aller plus loin, et notamment revoir la Constitution, et revoir les traités et ensuite… nous pourrons retrouver notre souveraineté ».

Faciliter les expulsions, durcir l’accès au titre de séjour : des attaques contre les étrangers et leurs enfants

Si dans l’état, la déchéance de nationalité reste peu applicable, d’autres mesures adoptées viennent faciliter les expulsions, y compris pour les personnes ayant grandi en France. En effet, pour les enfants nés de parents étrangers, le droit du sol automatique est supprimé. Il faudra désormais faire une demande de naturalisation entre 16 et 18 ans, et en cas de condamnation pour crime, toute personne étrangère née en France ne pourra pas accéder à la nationalité.

A cela s’ajoute l’automatisation des expulsions pour tout crime ou délit puni de trois ans de prison ou plus - ce qui comprend des catégories comme vol simple ou recel de biens. Jusqu’ici, les étrangers arrivés en France avant 13 ans, résidant dans le pays depuis plus de 20 ans, ou encore arrivés depuis plus de dix ans ainsi que les parents ou conjoints de Français bénéficiaient d’une protection quasi-absolue contre les expulsions. Ils se retrouveront désormais exposés à la possibilité d’expulsion pour un simple vol. Des attaques violentes qui visent les étrangers au sens large, et particulièrement les enfants d’immigrés, y compris ceux ayant grandi en France.

C’était le scénario rêvé pour le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, chef d’orchestre de Wuambushu, l’opération d’expulsion massive à Mayotte, et qui menait récemment une campagne sur les réseaux pour appuyer le besoin d’expulser plus de « délinquants étrangers ». Un point qui servira également aux intérêts de la droite et l’extrême droite, soucieux de jouer la surenchère sécuritaire pour jouer au plus dur aux frontières, et qui prévoient de continuer sur ce terrain en amont des élections européennes.

Aussi, plusieurs volets compris dans la loi vont venir conditionner l’accès au titre de séjour au « respect des principes de la République ». Tout demandeur d’un titre de séjour devra souscrire un contrat d’engagement, et le non-respect de ces « principes » dont les contours restent extrêmement flous pourrait justifier le refus ou retrait du titre. Le respect de ces « principes » ainsi que « l’ordre public » sera également exigé pour obtenir la régularisation par le travail. Les « principes de la République » ont ainsi été rajouté partout dans le texte, y compris dans un volet sur la responsabilité des parents étrangers, qui devront s’engager à « assurer à [leur] enfant une éducation respectueuse des valeurs et des principes de la République et à l’accompagner dans sa démarche d’intégration ». Une formulation qui est non sans rappeler les propositions d’Eric Ciotti durant les révoltes qui voulait alors emprisonner les parents de « délinquants », ou encore les propositions récentes de la ministre des Solidarités et de la Famille Aurore Bergé, qui a annoncé la mise en place de « travaux d’intérêt général pour les parents défaillants ».

En somme, derrière ces mesures, qui comportent encore de nombreuses zones d’ombres, apparaît nettement une rhétorique raciste totalement décomplexée, selon laquelle certaines familles seraient culturellement inadaptées à la société française, et face auxquelles il faudrait renforcer toujours plus la répression d’État. Un discours largement manié par le gouvernement et Macron lui même, qui dénonçait encore la « décivilisation » de la France sur France 5 ce mercredi soir pour justifier son projet de loi ultra réactionnaire.


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