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Perspectives

Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Les Etats-Unis et l’Egypte ont donné leur feu vert à demi-mot. Les Etats arabes ferment les yeux. L’invasion de Rafah peut commencer.

Enzo Tresso

22 avril

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Invasion de Rafah : une nouvelle étape dans le génocide des Palestiniens

Après s’être aligné sur les exigences étatsuniennes et avoir riposté de manière limitée aux attaques iraniennes du 13 avril, Netanyahou a pu monnayer sa modération et obtenir l’accord des Etats-Unis pour la prise de Rafah. Alors que le Congrès vient de voter une nouvelle enveloppe d’aide à Israël de 26 milliards de dollars et que les bombardements de Rafah ont repris, faisant une trentaine de morts en deux jours et deux nuits d’horreur, Netanyahou revient à sa guerre coloniale et se prépare à prendre Rafah. Bien que l’invasion de la ville où se sont réfugiés plus d’un million et demi de Palestiniens, exilés par l’invasion du nord et les bombardements massifs, aurait des effets apocalyptiques, Israël et l’Egypte s’accommodent des conséquences à venir de la poursuite des opérations. Al-Sissi semble avoir accepté les demandes d’Israêl et se tient prêt à accueillir les réfugiés palestiniens que l’attaque rejettera au-delà de la frontière dans une nouvelle prison à ciel ouvert, construite à la hâte dans le désert du Sinaï, tandis qu’Israël a fortifié l’autoroute 749 qui coupe l’enclave d’est en ouest en dessous de Gaza City, empêchant les Gazaouis de revenir au nord.

L’attaque de l’Iran aura ainsi permis à Netanyahou de disposer d’une monnaie d’échange suffisante pour accomplir ses buts de guerre, troquant une riposte modérée qui préviendrait le risque d’une guerre régionale contre le feu vert étatsunien pour l’invasion de Rafah.

Un accord sordide : Rafah ou l’Iran

En frappant l’annexe du consultat iranien à Damas, Israël se donnait un double objectif. Premièrement, il s’agissait, pour l’Etat colonial, de poursuivre sa campagne vengeresse contre des hauts dignitaires de l’axe de la résistance. Après l’élimination, au début de l’année, de Razi Moussavi, à Damas, et de Saleh al-Arouri à Beyrouth, l’assassinat de Mohamed Reza, général des forces al-Qods des Gardiens de la Révolution et plus haut-gradé iranien assassiné depuis l’assassinat de Soleimani, en 2020, par les Etats-Unis, participe de cette « tactique de l’embrasement ». En second lieu, il s’agissait pour Netanyahou de réactiver partiellement l’ennemi iranien afin de contraindre les Etats-Unis, de plus en plus critique à son égard, à mettre de côté leurs critiques et à faire bloc derrière Israël pour combattre son ennemi historique au Moyen-Orient.

Menacés par la désertion d’une partie de leur électorat, les démocrates ont en effet multiplié les déclarations critiques à l’égard d’Israël afin d’en enrayer l’érosion. Alors que les minorités racisées et la jeunesse constituent une importante masse de manœuvre pour les démocrates qui exploitent la crainte que suscite le probable retour de Donald Trump au pouvoir, le soutien inconditionnel des Etats-Unis à l’effort de guerre de Tsahal les a en partie détournées du vote démocrate, ouvrant une fissure dans le système bipartisan, à la gauche de l’aile la plus progressiste du parti. Tandis que l’état-major démocrate appelait le gouvernement israélien à organiser de nouvelles élections, le président Biden a également lancé des opérations de largage humanitaire dans la bande de Gaza et annoncé la construction d’un port provisoire au large de Gaza City pour contourner le refus des Israéliens de laisser entrer de l’aide humanitaire à Gaza.

D’autre part, alors que les Etats-Unis ont redéfini depuis la présidence de Barack Obama leurs terrains d’engagement et ont recalibré la stratégie de projection de leur puissance économique et militaire vers l’Indopacifique et tentent d’encercler la Chine en construisant une ceinture de contention des Philippines au Japon, l’aventurisme de Netanyahou et le spectre d’une guerre régionale avec le Liban risquaient de contraindre les Etats-Unis à réinvestir massivement une région qui est comme la mauvaise conscience de l’impérialisme, après le bourbier irakien et la catastrophe afghane.

S’alignant sur les Etats-Unis, qui avaient annoncé qu’ils ne participeraient ni ne soutiendraient une attaque directe contre l’Iran, Israël a fait le choix de riposter de manière limitée, frappant, dans la nuit du 18 au 19 avril, les alentours d’Ispahan, à proximité d’une base nucléaire iranienne, sans viser directement le site. Utilisant des drones lancés depuis le territoire iranien par des infiltrés, Israël n’a pas revendiqué l’attaque. L’Iran a de son côté nié l’existence de l’incident, dépêchant, tout d’abord, des journalistes pour montrer les habitants en train de vaquer à leurs occupations puis publiant plusieurs communiqués niant qu’il y ait eu la moindre attaque. Non-revendiquée, la riposte permet à l’Iran de ne pas appliquer sa nouvelle doctrine de riposte [1] mais témoigne encore une fois de sa fragilité. Comme le rapporte le Washington Post, certains membres du cabinet de guerre désiraient riposter immédiatement contre l’Iran. L’intervention de Biden a convaincu Netanyahou de ne pas mettre en application les propositions maximalistes de Benny Gantz qui militait pour des raids aériens coordonnés sur plusieurs bases militaires et sites stratégiques, dont certains proches de Téhéran.

La riposte mesurée d’Israël lui permet en effet de conserver les gains tactiques indéniables que la riposte iranienne lui a permis d’accumuler. Relativement isolé sur la scène internationale, Israël a pu bénéficier du soutien des puissances impérialistes qui ont resserré les rangs autour de lui. Il a pu récupérer en partie son image de « pays agressé » et jouer à nouveau de la rhétorique de la « menace existentielle » qui lui offre un bouclier médiatique propice à la poursuite de ses opérations coloniales. En outre, l’attaque iranienne a permis à Netanyahou de se réimposer comme chef de guerre, après le fiasco sécuritaire du 7 octobre, auprès de l’opinion publique israélienne et a progressivement suspendu le mouvement des mobilisations qui avait pris, début avril, une ampleur inédite. Enfin, elle marque une étape décisive du processus de normalisation des relations diplomatiques entre Israël et les régimes réactionnaires voisins.

Après avoir montré à Israël l’importance du soutien étatsunien lors des opérations d’interception et offert à l’Etat colonial un puissant « parapluie aérien », le président Biden semble être parvenu à obtenir de Netanyahou qu’il renonce à réhausser à nouveau le niveau des tensions régionales, au risque de précipiter l’embrasement de la région. Les craintes des Etats-Unis ont toutefois offert à Netanyahou l’occasion de monnayer sa modération et d’obtenir, en contrepartie d’une riposte mesurée, le feu vert des Etats-Unis pour l’invasion de Rafah.

L’invasion de Rafah peut commencer

Le 20 avril, la chambre des représentants approuvait une nouvelle enveloppe d’aide à Israël de 26 milliards de dollars par 366 voix favorables contre 58 rejets. Dans un message posté sur X, le premier ministre a offert ses remerciements pour « le soutien puissant et bipartisan des Etats-Unis à l’égard d’Israël et de la civilisation occidentale », remerciant ses « amis » états-uniens pour leur collaboration. Le vendredi 19 avril Tsahal procédait à des bombardements aveugles sur Rafah, tuant une dizaine de Palestiniens en une nuit d’horreur. D’après le rapport de l’hôpital al-Najjar, six enfants figurent parmi les morts identifiés ainsi que deux femmes. Comme le rapportait Abou Mohammad Ziyadah, réfugié à Rafah, à l’AFP, « les gens dormaient paisiblement. Comme vous pouvez le voir, il n’y avait pas de combattants, pas même d’hommes adultes, à l’exception du chef de famille. Il n’y avait que des femmes et des enfants ». Dans la nuit du 20 au 21 avril, quelques heures après le vote des députés étatsuniens, Tsahal bombardait à nouveau le dernier refuge des Palestiniens rejetés au sud et tuait seize personnes, donc une femme enceinte et neuf enfants.

Alors que l’armée israélienne a reconvoqué deux brigades de réservistes et a déplacé certaines de ses forces le long de la frontière entre Gaza et Israël, retirant la 98ème division de commandos de Khan Younès, le communiqué de l’armée laissait présager du début d’une nouvelle phase des opérations : « Aujourd’hui, dimanche 7 avril, la 98e division de commandos de l’armée israélienne a terminé sa mission à Khan Younès. La division a quitté la bande de Gaza afin (…) de se préparer à de futures opérations […]. Nos forces se préparent à la poursuite de leurs missions (…) dans la zone de Rafah ».

Le début d’une campagne de bombardement massive annonce le pire, maintenant que trois brigades stationnent à la frontière et se tiennent prêtes à intervenir au besoin. Tandis que le plan de Netanyahou, communiqué en février au cabinet de guerre fixait comme objectif de guerre la prise du corridor de Philadelphie et la construction d’une zone-tampon sous contrôle israélien entre l’Egypte et Gaza, il semble que Tsahal profite de l’accord tacite des Etats-Unis pour commencer sa mise à exécution. Le protocole génocidaire méthodiquement exécuté par Tsahal dans les autres villes de l’enclave menace d’être appliqué à nouveau : des bombardements massifs préparent l’entrée des troupes terrestres ; les forces de Tsahal se déploient ensuite quartier par quartier et les vident de leurs habitants ; les commandos plastiquent ensuite les immeubles et rasent systématiquement les habitations.

Recentrant toute sa puissance de feu sur Rafah, Tsahal semble prête à prendre la ville en dépit des conséquences apocalyptiques d’une éventuelle invasion. Alors que la vie de 350 000 enfants est menacée par la famine et que 80 000 Palestiniens pourraient mourir des effets indirects de la guerre d’ici août, une invasion de Rafah ferait des dizaines de milliers de mort et rejetterait des centaines de milliers de Palestiniens sur les routes de l’exil. Celles-ci sont pourtant déjà balisées.

Après avoir témoigné de ses réticences, le président al-Sissi a désormais accepté les conditions israéliennes et, selon certains médias égyptiens, aurait consenti à accueillir une partie des réfugiés palestiniens en contrepartie de quoi Israël prendrait en charge le remboursement partiel de la dette souveraine égyptienne. Après avoir construit un sas fortifié dans le Sinaï capable d’accueillir près de 100 000 réfugiés et signés des accords avec l’Union Européenne pour contenir les éventuels exilés sur son propre territoire et les empêcher de franchir la Méditerranée, al-Sissi s’accommode désormais des conséquences catastrophiques d’une invasion et achève ses préparatifs : isolant les réfugiés dans une prison à ciel ouvert, il désire couper cette « nouvelle Gaza » du reste du monde pour éviter que les Palestiniens rejetés hors de l’enclave ne se mêlent à la population égyptienne, acceptant sans sourciller de jouer le rôle de gardien de camp que lui délègue Israël.

Du côté de Tsahal qui maintient une présence importante au nord, des rapports font état de la fortification de l’autoroute 749 qui coupe d’est en ouest l’enclave, au sud de Gaza City. Alors que les Gazaouis qui tentent de remonter vers le nord se font abattre par les forces de Tsahal, il semble que la fonction tactique de l’autoroute fortifiée est d’empêcher le retour des Palestiniens et de transformer le centre de l’enclave en une zone d’accueil des futurs flux de réfugiés.

Lire aussi : Génocide à Gaza. La mobilisation du peuple jordanien montre la voie

Les Etats-Unis se satisfont d’avoir évité une guerre régionale et donnent leur feu vert pour la réalisation du projet génocidaire d’Israël. Al-Sissi a trahi son propre peuple et, marchandant le sort du peuple palestinien, cédé aux diktats de l’Etat colonial. Les nouvelles prisons du peuple palestinien sont déjà prêtes dans le Sinaï, au sud, et dans le centre de l’enclave, sous l’autoroute 749. Les Etats arabes ferment les yeux tandis que les puissances impérialistes opinent du chef. Tout est prêt. L’invasion de Rafah peut commencer. Il n’est qu’une force qui puisse inverser le cours de la situation : la mobilisation massive des peuples arabes et le rebond des mouvements de soutien à la cause palestinienne qui secouent le cœur des métropoles impérialistes, aux Etats-Unis et en Europe. Il n’a jamais été aussi urgent de consolider ce deuxième front et de priver Israël de l’appui des puissances régionales et occidentales en brisant les genoux de notre propre impérialisme. À l’image de la mobilisation du peuple jordanien, des actions des étudiants des universités étatsuniennes, qui se soulèvent et résistent à la répression, et des militants et syndicalistes français, comme Anasse Kazib, menacé par l’Etat et la police antiterroriste, qui continuent de dénoncer inlassablement le génocide des Palestiniens, le mouvement pour la Palestine pourrait jouer un rôle déterminant dans la situation et faire obstacle à la course fanatique choisie par Israël.

Lire aussi : Criminalisation des militants pour la Palestine : l’autre face du soutien au génocide d’Israël


[1Pierre Ramond, « Pourquoi l’Iran a attaqué Israël ? Comprendre la doctrine de la “nouvelle équation” », Le Grand Continent, 14 avril 2024, lire ici.



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