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Atteinte à la laïcité

En pleine offensive contre les abayas, Macron lance une collecte pour les églises en ruine

Macron a annoncé lancer une grande campagne de dons pour sauver les édifices religieux des petites communes. Une nouvelle illustration de la laïcité à géométrie variable du gouvernement, en pleine offensive islamophobe sur les abayas.

Tristane Chalaise

18 septembre 2023

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En pleine offensive contre les abayas, Macron lance une collecte pour les églises en ruine

Capture d’écran Vidéo BFM-TV

A l’occasion des journées du Patrimoine vendredi dernier, Emmanuel Macron a choisi de se rendre dans la petite commune de Saumur-en-Auxois (Côte-d’Or), bouclée par la police pour éviter toute déconvenue au Président. L’objectif ? Promouvoir le lancement d’une collecte nationale pour préserver le « patrimoine religieux » des communes de moins de 10 000 habitants, avec une défiscalisation des dons de 75 % jusqu’à 1000 €.

Sous prétexte de préserver le patrimoine religieux, un nouveau cadeau de l’Etat à l’Eglise catholique

Si Macron a bien choisi son vocabulaire, évoquant le « patrimoine religieux », il apparait que la mesure va avant tout bénéficier aux édifices associés au culte catholique, largement majoritaires en France, et en particulier dans les petites et moyennes communes, où l’église est souvent le seul monument religieux. Selon le recensement effectué par l’Observatoire du patrimoine religieux en 2018, sur les 71 920 édifices religieux que compte la France, 50 999 sont en effet consacrés au culte catholique, contre, par exemple, 448 synagogues et 1131 mosquées. Parmi ces édifices, ce sont à nouveau les églises catholiques qui représentent la grande majorité des monuments religieux « d’intérêt patrimonial », avec plus de 20 000 églises classées, contre moins de 200 synagogues et 6 mosquées.

Comme on peut le lire sur le très officiel site vie-publique.fr, les lieux de cultes catholiques sont déjà, en France, en majeure partie financés par les communes, et donc l’Etat. Et ce en vertu de la loi du 2 janvier 1907, qui, suite à un tour de passe-passe législatif, déclare que la majorité des biens de l’Eglise catholique devenus propriété des communes en 1905 sont « affect[és] à l’Église catholique, à titre gratuit, exclusif et perpétuel ». En se donnant pour objectif de réunir, d’ici 4 ans, 200 millions d’euros pour la rénovation des édifices religieux, c’est quasiment la même somme qu’Emmanuel Macron fait économiser à l’Eglise catholique, qui bénéficie d’un coup de pouce supplémentaire pour ne pas avoir à rénover elle-même ses lieux de culte.

La défiscalisation à 75 % des dons de moins de 1000 €, contre les 66 % accordés habituellement, va encore augmenter la participation de l’Etat. Emmanuel Macron ne tente même pas de s’en cacher : selon ses propres mots, l’avantage fiscal porté à 75 % de la somme versée « correspond à l’investissement de l’État »… dans la préservation des lieux de culte.

Remettre l’église au milieu du village et renvoyer les musulman-e-s hors de l’école : la laïcité à géométrie variable de Macron

Le choix de lancer une campagne de souscription en faveur des églises, en partie financée par l’Etat, alors même que le gouvernement vient d’imposer l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires, a le mérite de clarifier la conception de la « laïcité » promue par la macronie. La « laïcité » n’existe visiblement que lorsqu’il s’agit de stigmatiser et d’exclure les musulman-e-s ; lorsqu’il s’agit de l’église catholique, il ne s’agit plus de religion, mais de « patrimoine », et il devient normal pour l’Etat de financer le culte.

Ainsi, alors même que les églises catholiques bénéficient des largesses de la République, le ministère de l’Intérieur, par le biais de la loi séparatisme, a renforcé le contrôle des mosquées et lieux de culte musulmans, imposant la fermeture à certaines d’entre elles. De même, alors que le gouvernement prétend voir se multiplier de prétendues « atteintes à la laïcité » dans les écoles publiques, le président de la République défend sa présence, en tant que « président d’un pays laïc » (sic. !) à la messe du Pape à Marseille. C’est d’ailleurs lui, qui, en vertu du Concordat, participe à la nomination de l’archevêque de Strasbourg, tandis que le même texte impose la participation de l’Etat au financement des « cultes reconnus » en Alsace-Moselle – c’est-à-dire les cultes catholiques, protestants et israëlites.

Le même deux poids, deux mesures persiste dans les écoles. Alors que la « laïcité » est devenue un mot-clé pour cibler les musulman-e-s dans les écoles publiques, au travers de l’interdiction du port du voile, puis des robes longues, les écoles privées sous contrat, à 96 % catholiques, bénéficient du financement de l’Etat, pour un montant qui s’élevait à plus de 8Mds d’euros en 2022 !

Islamophobie et retour aux « racines chrétiennes » : diviser pour mieux régner et séduire toujours plus à droite

Il s’agit ainsi, d’un côté, d’exclure les musulmanes de l’école, en faisant de la multiplication des « signes religieux » et de la religion musulmane la responsable de la crise que traverse l’institution scolaire – et du reste des maux de la société – tout en soutenant ouvertement l’église catholique, sous couvert de « tradition » et de « patrimoine ». Une manœuvre qui s’inscrit dans un contexte politique plus global : au sortir de la révolte des banlieues, et alors que les crises se sont accumulées pendant que l’inflation atteint des niveaux records, il s’agit de mettre au pas la jeunesse des quartiers populaires, tout en faisant toujours plus des musulman-e-s un « ennemi de l’intérieur ».

En même temps, il s’agit pour le gouvernement de donner des gages à sa droite. En annonçant une nouvelle souscription pour le financement des églises dans les communes de moins de 10 000 habitants, le président de la République répond en effet à la demande de la centaine d’élus LR et centristes qui, en février dernier, appelaient dans le Journal du Dimanche à « défendre nos petites églises rurales ».

Emmanuel Macron tente par ailleurs de s’adresser aux populations des petites villes et des zones rurales, attachées à la préservation de leur lieu de vie d’autant plus que des années de politiques austéritaires l’ont dégradé. Macron a ainsi beau jeu de promettre la rénovation des églises dans les villages, alors même que son gouvernement poursuit la fermeture des services publics et des transports de proximité, la réduction des subventions accordées aux mairies des petites communes, et que les différentes crises économiques ont accéléré la fermeture des commerces en milieu rural.

A l’inverse d’une laïcité à deux vitesses, abrogation des lois islamophobe et des lois favorisant l’Eglise catholique, et ouverture à tou-te-s des monuments historiques !

Alors même que Macron instrumentalise une fois de plus la laïcité et le rapport de l’Etat au religieux pour servir son agenda politique, il est toujours plus urgent de réclamer l’abrogation de toutes les lois islamophobes, mais aussi de toutes les lois favorisant l’Eglise catholique et tout autre culte et religion.

Tout en réclamant l’abrogation de la loi de 2004, de la loi séparatisme, de la circulaire portant sur les abayas, de la future loi immigration et de toutes les lois racistes et islamophobes portées par le gouvernement, nous devons lutter pour la fin du Concordat et du financement par l’Etat des institutions religieuses et des écoles confessionnelles, qu’elles soient catholiques, juives, musulmanes ou rattachées à tout autre religion.

De même, s’il apparait nécessaire de préserver certains monuments en raison de leur valeur historique, de leur esthétique, ou de l’attachement de la population a un édifice, ces derniers ne doivent pas être réservés à l’usage « exclusif et perpétuel » d’un groupe, qu’il soit religieux ou social, mais doivent être accessibles et ouverts à toutes et tous, gratuitement et sans que subsistent des « passe-droits » législatifs.


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