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Islamophobie

Interdiction de l’abaya. Caméras de surveillance, chantage, harcèlement, des lycéennes témoignent

Depuis la rentrée scolaire, les jeunes femmes musulmanes ou assimilées comme telles ont été la cible de l’islamophobie d’Etat avec l’interdiction du port de l’abaya dans les établissements scolaires. Humiliations, intimidations, chantages : six lycéennes ou jeunes étudiantes ont accepté de témoigner pour Révolution Permanente.

Enora Lorita

3 octobre 2023

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Interdiction de l'abaya. Caméras de surveillance, chantage, harcèlement, des lycéennes témoignent

Depuis début septembre et la circulaire de Gabriel Attal visant à interdire le port de l’abaya dans les établissements scolaires, une véritable traque s’est installée dans les collèges et les lycées contre les jeunes femmes musulmanes ou assimilées comme telles. Si les abayas étaient déjà prohibées par certains chefs d’établissements qui s’appuyaient sur la loi de 2004 et sur une circulaire de novembre 2022, cette rentrée scolaire a marqué une généralisation des pratiques de harcèlement contre les élèves. Six jeunes femmes, lycéennes ou récemment étudiantes, ont accepté de témoigner pour Révolution Permanente sur le harcèlement qu’elles ont subi dans leurs établissements respectifs.

Caméras de surveillances, chantage, menaces de sanction

Si l’on a vu à la rentrée scolaire des policiers postés devant plusieurs établissements pour s’assurer du bon déroulement de la politique islamophobe, les techniques d’intimidation ne se sont pas arrêtées aux grilles des écoles.

« 40 minutes d’humiliation qui m’ont paru une éternité »

Pour Fatima, qui était en terminale au lycée Villaroy à Guyancourt l’année dernière, le harcèlement s’est traduit par l’utilisation des caméras de vidéosurveillance du lycée par la direction : « En mai 2023, j’ai été convoquée avec une camarade de classe dans le bureau de la proviseure. Celle-ci m’a alors montré une vidéo prise par la caméra de surveillance située à l’entrée du lycée et m’a accusée d’être rentrée avec mon voile sur la tête. J’étais très en retard, et j’avais seulement gardé mon bonnet car la porte du lycée fermait. Puis, elle m’a posé des questions telles que « Pourquoi tu portes le voile ? » ou encore « Toi, tu vas à la mosquée ? » puis elle m’a dit « Tu penses que si je viens habillée comme je suis à la mosquée ils vont me dire quoi ? ». J’étais très choquée, stressée et j’avais peur. Face à toute cette pression psychologique que je venais de subir j’ai fondu en larmes dû à ces 40 minutes d’humiliation qui m’ont paru une éternité. »

Pour sa camarade de classe également convoquée, Maryam, à qui il a été reproché de porter une longue robe à fleurs, le flicage est aussi passé par l’étude des caméras de vidéosurveillance : « Pendant quarante minutes, j’ai attendu devant le bureau. J’ai vu mon amie sortir en larmes, elle avait du mal à respirer, je l’ai questionnée sur ce qui s’est passé et le motif de la convocation mais elle était trop mal pour me répondre. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris, que mon tour allait passer et que ça allait être tout sauf une simple convocation pour « discuter » d’un sujet. Je suis entrée dans le bureau et la proviseure m’a fait comprendre que je devrais me taire le long de cette convocation. Elle a tourné son ordinateur vers moi pour me montrer une vidéo de la caméra de surveillance située devant le lycée. Puis la proviseure a commencé par justifier sa convocation en m’expliquant qu’il était hors de question qu’elle laisse passer ma tenue de la veille. J’étais vêtue d’une abaya large à fleurs, jugée trop longue et par conséquent provocante et à connotation religieuse. Elle m’a alors accusé de ramener l’islamisation au lycée avec ma tenue et que j’entravais la laïcité. Je n’ai pas accepté le fait que ce bureau se transforme en tribunal, j’ai expliqué que c’était une simple robe. »

Pour Maryam, qui a décidé de ne pas se laisser faire, l’entretien tourne alors aux menaces de sanctions disciplinaires : « Ils n’ont pas apprécié que je me justifie. Ils ont donc commencé à hausser le ton envers moi afin de m’humilier, ils me reprochaient maintes et maintes choses que je n’ai pas faites. J’ai continué à répondre et à me défendre, alors la proviseure a décidé de sortir mon dossier afin de voir sur quoi elle pourrait me sanctionner. Ayant un dossier exemplaire, la proviseure n’a pas su rétorquer à ma défense et a commencé à me menacer. Elle m’a dit que ce serait dommage que j’ai un avertissement ou un signalement sur mon dossier. Pendant toute la convocation elle a utilisé des propos réducteurs pour justifier le fait que je devrais me taire car j’étais une enfant et qu’ils étaient adultes. Mais une « enfant » mérite-elle de subir autant de pression psychologique venant d’un corps pédagogique ? ».

Violences, humiliations et pressions psychologiques

Pour certaines jeunes femmes, le harcèlement est allé jusqu’à des intimidations physiques. C’est le cas de Sarah*, 16 ans et élève dans un lycée de la ville de Plaisir dans le 78, dont la CPE de son lycée s’est permise de tirer sa robe qui était trop ample à son goût : « Cet incident s’est déroulé à la période où le débat sur l’abaya commençait à prendre de l’ampleur. Ce jour-là, j’avais une longue robe avec une couture horizontale sous la poitrine. J’avais rendez-vous avec la CPE concernant mes vœux d’affectation. Ma CPE est arrivée, nous avons avancé et elle s’est retournée vers moi de façon inattendue et a attrapé ma robe d’un geste que je qualifie de violent en me disant « C’est quoi ça ? ». J’ai tout de suite été très surprise et surtout choquée de son geste qui n’avait pas lieu d’être selon moi. Puis elle a continué en disant « Ah c’est juste une robe longue » j’ai simplement répondu « oui », toujours en état de choc. Elle a peut-être vu la couture et cela l’a fait changer d’avis. »

Sarah poursuit : « Cette loi mise en place par le gouvernement vise les musulmans bien que cet habit soit culturel car ils savent que ce vêtement est majoritairement porté par des jeunes filles de confession musulmane et elle vise aussi à restreindre et contrôler la façon de s’habiller des femmes en général. Une robe ne m’a jamais empêchée d’apprendre. »

« Le CPE m’a menacé en me disant que j’allais avoir un avertissement et m’a accompagné dans les toilettes pour que je me change. Je me suis sentie humiliée ».

Toutes les jeunes femmes racontent des moments humiliants et traumatisants. Leila*, lycéenne, s’est par exemple vue invectiver par sa professeure devant toute sa classe : « Ce jour-là, j’étais venue en classe comme d’habitude avec ma robe, on ne m’avait jamais fait de remarque dessus. J’étais en classe, la professeure de français est entrée dans la salle, m’a regardée et m’a dit : « tu vois ça [en montrant ma tenue], je ne peux pas. Va voir le CPE ». Ce dernier m’a menacé en me disant que j’allais avoir un avertissement et m’a accompagné dans les toilettes pour que je me change. Je me suis sentie humiliée ».

Les témoignages des jeunes femmes montrent aussi que ce harcèlement s’étend bien au-delà de l’abaya et vise les jeunes femmes musulmanes ou assimilées comme telles, quels que soient leurs vêtements. C’est le cas de Sophia*, également lycéenne, qui s’est vu subir un interrogatoire à l’entrée du lycée alors qu’elle portait un jogging et un pull : « J’allais au lycée comme d’habitude avec un jogging et un pull, on ne m’avait jamais fait de remarque dessus. Arrivée devant le lycée, je voulais rentrer mais trois membres du personnel de l’établissement m’ont interpellée. L’un d’entre eux a dit : « Qu’est-ce qu’on en fait de cette jeune fille ? » en s’adressant à ses collègues. Une d’entre elles a répondu : « Qu’est-ce que je lui fais ? ». Puis on m’a demandé si je n’avais pas trop chaud dans cette tenue et si je pouvais enlever mon pull à plusieurs reprises en insistant. J’ai répondu négativement à toutes leurs questions et ils m’ont enfin laissé entrer. J’étais en colère et j’ai trouvé ça ridicule. »

Salma*, qui porte des kimonos par peur des représailles, s’est aussi faite invectiver à de nombreuses reprises : « Je n’osais pas mettre de abaya ou des robes longues au vu des représailles que subissaient mes amies au lycée. J’ai donc trouvé une alternative et ai commencé à mettre des kimonos car je me sens plus à l’aise avec des vêtements amples et larges. Mais mon lycée m’a fait comprendre de manière claire et non pédagogue que ma tenue les dérangeait. Apparemment pour des raisons de sécurité, ma tenue serait dangereuse pour moi ainsi que pour mes camarades. » Des prétendues raisons de sécurité qui ont également été avancées par la proviseure de Maryam qui lui a indiqué que sa longue robe à fleurs était dangereuse en cas d’incendie car elle ne pourrait pas s’enfuir et mettrait ses camarades en danger pour évacuer.

Toutes témoignent d’un sentiment d’exclusion très fort, comme le résume Salma : « Comment vais-je maintenant exprimer mon identité à travers des vêtements que je ne peux plus mettre ? Les regards et remarques désagréables et méprisantes jouent énormément sur mon moral. Peu importe le lycée, je ne me sentirais jamais à ma place. ». Ces témoignages montrent que l’interdiction de l’abaya, s’appuyant sur la loi islamophobe de 2004, a vocation à instaurer un contrôle et une discipline sexiste et raciste des tenues des élèves. Plus que jamais, il est urgent que l’ensemble du mouvement social se solidarise des élèves réprimées et exige la fin de l’interdiction de l’abaya et mais aussi l’abrogation de la loi de 2004 et de toutes les lois racistes et islamophobes qui l’ont succédé.

* Les prénoms ont été modifiés.


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