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Greenwashing au salon du Bourget : Macron promet 8,5 milliards pour subventionner « l’avion du futur »

Macron a profité du salon du Bourget pour légitimer la stratégie de greenwashing du secteur de l’aéronautique avec à la clé un beau chèque pour le patronat : 8,5 milliards d’euros pour financer « l’avion vert du futur ». Loin d’être une bonne nouvelle pour la planète, ça ne l’est pas non plus pour les salariés du secteur.

Violette Renée

27 juin 2023

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Greenwashing au salon du Bourget : Macron promet 8,5 milliards pour subventionner « l'avion du futur »

Crédits photos : Macron en direct sur France24

« Nous serons encore demain une très grande nation de l’aéronautique qui va réussir à réconcilier l’industrie, le climat et la souveraineté  » annonçait Macron la semaine dernière devant les salariés d’une usine Safran, quelques jours avant la 54ème édition du salon du Bourget.

Dans la lignée des annonces du projet de « loi industrie verte » et de ses 500 millions de cadeaux annuels au patronat, Macron a profité du plus grand salon aéronautique mondial qui se tenait du 19 au 25 juin en Seine Saint Denis pour faire la tournée des patrons du secteur et défendre de nouveaux cadeaux pour ces derniers, tout en menant une opération de greenwashing sur un soi-disant « avion vert du futur ».

8,5 nouveaux milliards de cadeaux au patronat de l’aéro

Après s’être gavé d’aides publiques au plus fort de la crise du Covid, tout en supprimant massivement des postes, le secteur de l’aéronautique est en pleine forme.
En témoignent les 150 milliards de contrats signés au cours du salon du Bourget selon les organisateurs. Malgré son carnet de commandes bouclé pour les dix prochaines années, plus de 850 nouvelles commandes conclues au Bourget, et des profits records en 2022, le patronat d’Airbus et plus généralement du secteur aérien français devrait bénéficier de nouveaux cadeaux très généreux de la part de Macron.

En effet, quelques jours avant l’ouverture du salon du Bourget, le président annonçait une pluie d’argent magique pour le secteur. Comme le rapporte Libération, « 300 millions d’euros par an [seront mobilisés] sur la période 2024-2030 pour la conception de nouveaux avions et de nouveaux moteurs », auxquels s’ajoutent «  200 millions d’argents publics et privés […] alloués au développement de petits avions électriques ou à hydrogène » ainsi que la création d’une filière de « biocarburants » français pour l’aéronautique. Le journal récapitule : « Au total, 8,5 milliards d’euros seront mobilisés d’ici à 2027. », « A quoi s’ajoutent 9 milliards déjà promis pour développer la filière de l’hydrogène dans l’Hexagone dans le cadre du plan ‘‘France 2030’’. »

Au Bourget, Macron était donc en opération légitimation de ces milliards versés au patronat de l’aéronautique : « comme on ne veut pas perdre de parts de marché, ni dans les moteurs ni dans les autres secteurs, on va continuer à mener cette bataille » a-t-il expliqué.

Du côté des élus locaux de la région Occitanie, centrale dans l’aéronautique, cette politique est applaudie des Républicains au PS. Pour Carole Delga, présidente PS de la Région Occitanie, il faudrait même la renforcer. Auprès de La Dépêche, elle évoque des annonces « nécessaires » mais regrette que les fonds « ne soient pas plus conséquents ». Elle se prend à rêver de 300 millions par ans supplémentaires pour la conception de nouveaux avions et de 150 pour de nouveaux moteurs.

Rendements des moteurs, petits avions électriques, biocarburants : les trois « piliers » du greenwashing

Ce 54ème salon du Bourget s’est placé sous le signe du greenwashing. Macron justifié dans ce sens les milliards donnés au patronat : « [L’idée] qui consiste à dire “il faut tout arrêter”, en quelque sorte, et “il faut renoncer à la croissance”, je ne la crois pas raisonnable », avant de défendre la « création de richesses » afin de « financer l’innovation dont vous avez besoin pour décarboner », rapporte Le Monde.

Un argumentaire tout droit puisé dans la rhétorique du patronat du secteur, dont Macron s’est fait le meilleur défenseur. Après les 1,5 milliards d’euros offerts sur trois ans au secteur à partir de 2020 pour développer un avion vert, dont les ambitions se voient réduites d’années en années, les 8,5 milliards d’euros supplémentaires sont répartis sur les trois piliers de la stratégie climat des grands groupes de l’aéronautique, à commencer par Airbus : l’amélioration du rendement des moteurs, les petits avions à hydrogène et électriques, et enfin les « biocarburants ».

Trois piliers qui sont en réalité des béquilles rhétoriques au service du maintien du secteur aéronautique et de l’intensification du trafic, Boeing comme Airbus annonçant un doublement de leur flotte d’ici 20 ans, malgré l’incompatibilité de cette dynamique avec la crise écologique.

Les gains sur l’efficacité énergétique des moteurs, qui représentaient récemment le centre de la communication du secteur, sont en réalité immédiatement annulés par l’augmentation du trafic aérien. En effet, ce dernier double tous les 15 ans quand le dernier moteur LEAP de Safran n’a fait perdre que 20% de consommation. La croissance du trafic aérien est par ailleurs la stratégie phare d’Airbus qui prévoit de vendre 1000 avions civils par an dès 2025. Aucune baisse à la marge des consommations des moteurs ne saurait compenser l’intensification prévue du trafic aérien. Au final, ces 20% d’économies d’énergie ne finissent que par arranger les compagnies aériennes, pour lesquelles les coûts des carburants représentent 20 à 40% du prix d’un billet.

Pour les avions territoriaux, c’est à dire une minorité des émissions de gaz à effet de serre du secteur, le patronat et Macron communiquent sur un avion à hydrogène ou électrique : deux technologies qui posent d’importants problèmes techniques et écologiques. A titre d’exemple, les enseignants-chercheurs de l’Atelier d’Ecologie Politique de Toulouse calculaient en 2020 que la production de l’énergie électrique nécessaire au passage à l’hydrogène des vols de l’aéroport régional Toulouse-Blagnac « nécessiterait 190 km² de surface couverte par des éoliennes (entre 400 et 650 éoliennes suivant leur puissance) ou 37 km² par des panneaux photovoltaïques. La surface sur laquelle seraient installées les éoliennes représenterait presque deux fois celle de la ville de Toulouse ; les 37 km² de panneaux photovoltaïques, quant à eux, couvriraient la surface combinée des villes de Blagnac et Colomiers ». Un modèle tout simplement intenable à large échelle.

Enfin, les « biocarburants » reposent sur un enfumage du même genre. Si les avions Airbus sont d’ores et déjà livrés avec des moteurs hybrides, ils ne sont utilisés qu’à la marge par les compagnies aériennes. Et pour cause : ces carburants, par leur faible disponibilité et leur moins bonne efficacité énergétique, sont beaucoup moins rentables que l’imbattable kérosène. « Actuellement, moins de 1 % du plein des avions provient de carburants verts », relève ainsi Libération. Pour répondre à la demande en biocarburants, Macron a annoncé la construction d’une raffinerie de carburants d’aviation « durables » à Lacq, dans la poursuite du greenwashing des raffineries Total de La Mède et Grandpuits, dénoncé dans les rapports d’associations écologistes.

Entre l’accaparement des sols, les méthodes agricoles intensives, la compétition avec la production alimentaire, ou encore la convergence avec l’industrie pétrolière des agrocarburants, même la Cour des Comptes, pas spécialement connue pour ses penchants écolos, a dû avouer un « bilan environnemental négatif et un bilan climatique décevant » de ces agrocarburants dans un rapport de 2022, comme le relève Reporterre.

Une affirmation de l’écologie pro-patronale et anti-sociale de Macron

Ces « Green Tech » ont un seul intérêt pour les industriels : pouvoir communiquer sur une transition verte dans les différents secteurs économiques. Dans le même mouvement que Total ou encore PSA, l’aéronautique tente depuis plusieurs années de prouver sa compatibilité avec la décarbonation. Cette stratégie des dirigeants politiques et industriels repose sur la préservation du fleuron de l’industrie française et européenne à tout prix. Ces nouveaux investissements vers des innovations permettent ainsi au patronat européen d’assurer la pérennité de son leadership mais aussi de renouveler ses marges, tout en présentant une image verte.

En effet, ces « technologies vertes » permettent d’ouvrir des chaînes de valeur inédites. En aucun cas le pari de l’accaparement de ces nouvelles marges ne vont permettre de meilleures conditions salariales, les logiques du « au plus juste » précarisent en effet toujours davantage l’ensemble de la chaîne de valeur et entraîne une flexibilisation toujours accrue de la main d’œuvre.

Avec sa tournée des patrons au Bourget, et l’annonce des milliards pour l’aéronautique, Macron réaffirme son projet pour l’écologie : un outil publicitaire utile pour gaver les starts up et le patronat d’aides publiques. Dans le même temps, il criminalise les militants écologistes avec la dissolution des Soulèvements de la Terre, la convocation d’organisations écologistes et du mouvement social à une commission d’enquête parlementaire en vue de les réprimer pour la mobilisation de Sainte Soline et la bataille des retraites et l’organisation de raids policiers à l’encontre de militants écologistes.

La séquence voit également la liquidation du fret ferroviaire par le gouvernement et l’UE, face à laquelle les cheminots se mobilisent. Une liquidation qui montre les priorités du gouvernement et du patronat : favoriser la route et l’aérien, tout en saccageant les transports véritablement bas-carbone. Le secteur aérien est en effet particulièrement stratégique pour le patronat et le gouvernement français : profondément lié au secteur militaire, il est avec un bilan excédentaire de 22,7 milliards d’euros et un chiffre d’affaires annuel de plus de 100 milliards d’euros le premier contributeur à la balance commerciale extérieure française.

Autant d’éléments qui expliquent ces cadeaux, et prouvent que Macron et le patronat s’accrocheront obstinément à l’expansion de ce secteur ultra polluant malgré l’approfondissement de la crise écologique. Alors que le secteur retrouve des ailes grâce à la manne d’argent public, les travailleurs de l’aéronautique ont dû subir des conditions de travail dégradées, une intensification des rythmes ou encore des plans de restructuration au plus fort de la crise du Covid, et n’ont récolté à l’issue de celle-ci que le mépris patronal. Aujourd’hui ils font face à l’inflation ou encore à des suppressions de postes. D’ailleurs, ils ne verront en aucun cas sur leurs salaires la couleur de ces aides massives versées par le gouvernement au secteur. Face à la pression toujours plus importante sur les salaires et sur les ressources naturelles, la question du contrôle ouvrier sur la production est d’une actualité brûlante. Ni les ouvriers d’Airbus ni la population n’ont à gagner à une accélération de la production d’avions de ligne : plus que jamais, l’écologie se doit d’être anticapitaliste.


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