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Enquête du Poing Levé

Précarité. L’alimentation, source de détresse des étudiants qui « dorment sans rien manger »

Repas sautés, malnutrition, recours massif aux banques alimentaires : avec plus de 5 000 réponses, l'enquête nationale du Poing Levé sur les conditions de vie étudiantes dresse un tableau catastrophique de la précarité alimentaire chez les jeunes.

Cathu Isnard

27 mars

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Précarité. L'alimentation, source de détresse des étudiants qui « dorment sans rien manger »

Crédits photo : Revolution Permanente

A l’occasion de la sortie des chiffres définitifs de l’enquête, nous republions cet article

Tous les prénoms ont été modifiés.

85% d’étudiant-es pauvres et 30% contraint-es de se nourrir dans les banques alimentaires : un phénomène en hausse avec l’inflation

Alors que les moins de 25 ans représentent déjà la classe d’âge la plus pauvre, l’inflation est venue enfoncer un peu plus la jeunesse dans la précarité. Notre enquête révèle qu’en 2023, 85% des étudiant-es se situent ainsi sous le seuil de pauvreté.

Un constat terrible, sans aucun doute aggravé par l’inflation alors qu’entre septembre 2021 et septembre 2023, les prix des produits énergétiques ont augmenté de 32 % et ceux de l’alimentaire de 21 %.. Le contexte inflationniste et l’explosion des prix des biens de première nécessité frappent de plein fouet les budgets des plus pauvres, pendant que les salaires et les aides sociales n’augmentent pas. Une situation catastrophique, dont les étudiants sont parmi les premiers touchés.

Sur ce point, l’enquête nationale du Poing Levé sur les conditions de vie étudiantes, lancée à la mi-octobre, a permis de donner la voix à de nombreux étudiants et étudiantes en situation de grande précarité. Parmi les plus de 5 000 réponses, plusieurs centaines d’étudiant-es ont témoigné in extenso de leur situation « difficile », « galère », voire carrément « invivable ». Face à l’inflation, les étudiant-es peinent en effet à assurer leurs besoins essentiels, à commencer par se nourrir et se loger convenablement. Plus de 85 % des étudiant-es interrogé-es ont ainsi diminué leurs dépenses alimentaires ces derniers mois en raison de la hausse des prix, et nombreux sont les étudiant-es qui sautent un voire plusieurs repas par jour.

Par exemple, Julie, étudiante en master à Paris, raconte : « Je sens une pression sur mon budget encore plus forte avec l’inflation. Je travaille deux fois plus qu’au début de mes études pour payer le simple quotidien : les factures et les courses ». C’est également le cas d’Inès, étudiante en licence à l’Université Paris 8 (Saint-Denis), qui ne mange qu’une fois par jour la majorité du temps. « Je travaille en restauration. A la fin de chaque service, on me donne un repas, il s’agit des seules fois où je mange un vrai repas. En dehors de ça, l’inflation ne me permet pas 3 repas par jour : je n’en ai qu’un environ ».

Nombre d’étudiant-es, contraint-es de se serrer la ceinture depuis des mois, n’ont ainsi plus les moyens de se nourrir et les queues devant les banques alimentaires ne cessent de s’allonger. Plus d’un tiers des étudiant-es sondé-es a déjà eu ou prévoit d’avoir recours à ces aides matérielles. C’est dans une de ces files d’attentes que nous avons rencontré Yasmine, étudiante marseillaise. Elle témoigne : « Généralement je dors le soir sans rien manger, je vois des gens qui galèrent à côté, qui mangent rien, on n’a pas trop le temps d’aller chercher les associations chaque jour, chaque week-end, avec les études, les partiels, les examens, on ne pourra pas faire ça ». Même son de cloche chez Zoé, étudiante en master à Paris 3 qui se privait déjà « de sorties avec [ses] amies », et dont la situation s’est dégradée au point qu’« il y a des journées de cours où [elle] n’avale rien ».

Outre la précarité alimentaire, les étudiant-es sont aussi frappés de plein fouet par la « crise » énergétique : parmi les deux tiers d’étudiant-es ayant réduit leur consommation énergétique en 2023, 84 % l’ont fait en raison du prix de l’électricité, dont la hausse vient en réalité alimenter les profits exorbitants des multinationales du secteur.

Alors que la jeunesse était déjà en première ligne lors de la crise du Covid-19, elle continue encore aujourd’hui de payer les conséquences de la politique des grandes entreprises, soutenue sans relâche par le gouvernement. En effet, la hausse des prix, notamment dans l’agro-alimentaire, s’explique davantage par une hausse des taux de marge des entreprises que par une inflation « importée ». Les multinationales de l’agro-alimentaire, en situation quasi-monopolistique, surfent sur la crise pour s’enrichir encore plus sur le dos des travailleurs et de la jeunesse. C’est cette politique de hausse des prix de plus en plus agressive qui a permis le doublement des profits du secteur entre 2021 et 2022.

Une majorité d’étudiant-es interrogé-es favorables à la hausse des salaires et l’instauration d’un revenu étudiant

Alors que le coût de la vie explose, de nombreux jeunes sont contraints de travailler en même temps que leurs études pour survivre et se nourrir [1]. Comme l’illustre l’enquête du Poing Levé, les étudiant-es travailleur-euses constituent l’une des franges les plus exploitées du monde du travail, avec des statuts majoritairement précaires : 7,8% sont en intérim, 27,5% en CDD et 3 % en auto-entrepreneuriat.

Pour autant, cela ne leur permet pas de sortir de la pauvreté, contrairement à ce qu’affirme Macron qui défend l’intégration croissante des jeunes au monde du travail face à la hausse de la précarité. En effet, les étudiant-es qui travaillent sont plus susceptibles de recourir aux banques alimentaires (33,5% contre 33% pour les étudiant-es en moyenne), réduisent davantage leurs dépenses que les autres (74,4% des étudiant-es ayant une activité professionnelle ont réduit leurs dépenses d’énergie, pour 68,4% des étudiant-es en moyenne), et sont plus souvent SDF (13,6% contre 10,6%).

Par ailleurs, ils sont davantage sujets au décrochage scolaire (1 étudiant-e travailleur sur 2 a déjà envisager d’interrompre ses études, contre 42,2% sur l’ensemble des sondé-es). Avec en moyenne 15h d’activité rémunérée par semaine, ces étudiant-es travailleur-euses, majoritairement issu-es des classes populaires, sont en effet confrontés à la difficulté de poursuivre leurs études. C’est le cas pour Louisa, étudiante en licence à l’Université de Toulouse 2, qui nous partage sa situation « très difficile » : « Je suis forcée de finir ma licence et de travailler directement, la condition étudiante est bien trop compliquée. C’est invivable, je ne vais pas faire de master après, j’en peux plus de galérer ».

Face à la précarité alimentaire et l’impossibilité de concilier études et travail, des centaines d’étudiant-es ont profité de l’enquête du Poing Levé pour soumettre un certain nombre de propositions politiques. Parmi elles, les repas à 1€ pour tous-tes au CROUS (que la majorité présidentielle a refusé de généraliser), des tarifs préférentiels pour les étudiant-es dans les supermarchés, ou encore la gratuité des transports.

Alors que 19 % des sondé-es ont déjà recours aux banques alimentaires et que 12 % comptent y recourir en 2024, ce type de mesures pourraient permettre de pallier à l’urgence de la situation que traversent les étudiant-es. Pour autant, il est nécessaire d’y conjuguer des revendications structurelles visant à mettre fin à la précarité étudiante et à l’appauvrissement généralisé de la population, car la baisse drastique du niveau de vie des étudiant-es, n’est qu’une des conséquences dramatiques des politiques gouvernementales qui ne servent que les intérêts du patronat, auxquelles il va falloir s’affronter.

C’est dans cette perspective que Le Poing Levé défend la hausse d’au moins 400 euros de l’ensemble des revenus, la hausse du SMIC à 1 800 euros, et leur indexation sur l’inflation. En effet, ce sont les seules mesures qui peuvent réellement permettre aux travailleur-euses de subvenir convenablement à leurs besoins, et 88% des étudiant-es sondés y sont favorables.

Mais plus profondément encore, alors que le travail étudiant organise l’échec scolaire et donc la fermeture des universités aux plus précaires, il est nécessaire de défendre l’instauration d’un revenu étudiant pour toutes et tous, attribué indépendamment des nationalités ou des filières. Un tel revenu, à hauteur du SMIC et financé par un impôt fortement progressif sur les grandes fortunes, permettrait que chacun-e puisse suivre ses études sans avoir à se demander comment se nourrir demain, comme c’est le cas pour Louisa, Yasmine, Zoé et des centaines de milliers d’étudiant-es. Une mesure radicale qui génère une forte adhésion parmi les sondés de l’enquête : 79 % sont pour que le grand patronat finance un revenu étudiant pour toutes et tous.

Autant de mesures qu’il va falloir s’atteler à défendre, dans un contexte marqué par une offensive réactionnaire du gouvernement, de la droite et de l’extrême-droite contre les couches les plus précaires de la population, incarnée par la Loi Immigration récemment adoptée à l’Assemblée Nationale, et qui promet de nouvelles attaques contre la jeunesse et les universités. Un contexte dans lequel les étudiants ont un rôle à jouer, afin de proposer une alternative au futur que la classe dominante veut nous imposer, qui comprend l’abolition la loi immigration et toutes les lois racistes et sécuritaires, la fin à Parcoursup, Mon Master, Bienvenue en France et toutes les mesures sélectives à l’université, et qui permette de sortir des centaines de milliers d’étudiants de la précarité. Des combats qu’il va être urgent de mener dans la séquence à venir.

Pour retrouver la brochure du Poing Levé sur la précarité étudiante, cliquez ici.

Le rapport scientifique de l’enquête nationale du Poing Levé sur la précarité est également consultable en intégralité en ligne


[1OVE 2020 : 40 % des étudiant-es occupent une activité rémunérée pendant l’année universitaire



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