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Violences policières

Affaire Théo : le procès débute, la police déjà blanchie de la qualification de viol

Près de 7 ans après les faits, le procès de l’ « affaire Théo » a débuté ce mardi et devrait durer jusqu’au 19 janvier. Pourtant au cœur des débats, la justice a déjà écarté la qualification de viol pour le coup ayant déchiré le rectum du jeune homme.

Joshua Cohn

10 janvier

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Affaire Théo : le procès débute, la police déjà blanchie de la qualification de viol

Crédit photo : Wikimedia Commons Clicsouris

Ce mardi 9 janvier a débuté le procès de 3 policiers impliqués dans la désormais célèbre « affaire Théo » devant la cour d’assises de Bobigny en Seine-Saint-Denis. Ce procès se tient près de 7 ans après les faits et 3 ans après la décision du juge d’instruction de renvoyer 3 policiers devant une cour d’assises pour violences volontaires aggravées, tout en en blanchissant un quatrième, finalement non poursuivi, et en écartant la qualification de viol.

Une succession de coups et d’insultes racistes

Pour rappel, le 2 février 2017, 4 policiers qui réalisaient des contrôles d’identité à Aulnay-sous-Bois procèdent à l’interpellation violente de Théo Luhaka. Un premier accusé reconnaît avoir giflé Théo. Un deuxième admet l’avoir jeté contre un muret. Le troisième en plus de plusieurs coups de matraque portés sur le dos de Théo, déclare avoir réalisé un « geste d’estoc », une technique enseignée en école de police qui consiste à frapper violemment l’arrière de la cuisse de la personne interpelée avec une matraque afin de déstabiliser ses appuis et l’immobiliser. Le quatrième, blanchi par le juge d’instruction et non poursuivi, aurait « simplement » assené « deux ou trois coups de pied ».

Une version policière des faits bien en dessous de la réalité décrite par Théo qui rapporte une succession de coups, d’insultes racistes et un crachat. Son avocat, Antoine Vey, rappelle également dans des propos reproduits par Franceinfo, la violence qu’a subi Théo après son interpellation : « Notamment le fait de laisser dans une voiture de police, puis au commissariat, quelqu’un en train de perdre du sang. On voit sur les vidéos les policiers mettre des claques à Théo qui est menotté ».

Mais ce qui retient l’attention dans cette affaire, c’est bien ce que le troisième policier appelle pudiquement un « geste d’estoc » ou « estocade » et qui, selon ses dires, aurait atteint involontairement le rectum et causé une déchirure de 10 centimètres laissant des séquelles durables. Pour la partie civile en revanche, cette blessure a été portée à dessein alors que les policiers se trouvaient avec Théo hors de portée des caméras de surveillance.

L’abandon abject de la qualification de viol

Si les débats devant la cour d’assises portent sur l’intentionnalité du coup de matraque, la qualification de viol, en revanche, a été écartée en 2021 lorsque le juge d’instruction a décidé de renvoyer les 3 policiers devant une cour d’assises. Selon elle, ni l’élément matériel ni l’élément moral du viol ne seraient réunis en l’espèce. Franceinfo rapporte ses conclusions : « Aucun propos à connotation sexuelle n’a été tenu par les policiers interpellateurs, ce que Théodore Luhaka a lui-même confirmé ».

Une affirmation qui ignore la réalité de ce qu’est un viol, aussi bien quant à ses conséquences pour la victime que quant aux motivations de son auteur. Selon Franceinfo, l’avocat de Théo déclare en effet qu’« il se sent comme quelqu’un qui a été violé, avec les mêmes préjudices psychologiques, en plus des préjudices physiques permanents qui atteignent son intimité et sa virilité ». Le dernier expert proctologue consulté, deux ans et demi après les faits, estimait de son côté « probable que Théodore Luhaka subisse des séquelles permanentes d’un niveau plus ou moins important ».

Le raisonnement simpliste de la juge d’instruction pour écarter d’intention du viol, s’en tenant à l’absence de propos à connotation sexuelle, avait été contredit dès 2017 par l’avocat de Théo à l’époque… un certain Eric Dupond-Moretti ! Il affirmait alors : « L’intromission d’un objet dans un sexe ou dans un anus, c’est un viol. (…) Sinon, il suffirait aux gens qui se servent d’objets de dire : ‘Il n’y avait aucune intention sexuelle, on voulait seulement des violences’ pour qu’il n’y ait plus personne envoyé devant une cour d’assises ».

Une affaire exemplaire des violences sexuelles commises par la police

Si l’affaire Théo est exemplaire des affaires de violences policières qui ont rythmé l’actualité politique de ses dernières années et suscité des mouvements de solidarité, comme l’affaire Adama depuis 2016 ou l’affaire Nahel l’an dernier, le cas de Théo a la particularité d’interroger également le rôle des violences sexuelles dans l’arsenal policier, comme arme pour soumettre, humilier et briser les individus.

Durant la bataille contre la réforme des retraites, 4 étudiantes avaient par exemple rapporté avoir été humiliées verbalement et palpées sous leurs sous-vêtements par des policiers qui leur disaient : « Je vais te fouiller dans la chatte » ou encore « faut que je fouille dans ta culotte, t’es sale, ça me dégoute, tu sens mauvais ».

Dans un contexte de violences d’État exacerbées comme la guerre d’Algérie, les violences sexuelles ont fait parties des armes utilisées pour briser la résistance des combattants algériens. Gisèle Halimi a ainsi rendu célèbre le cas de Djamila Boupacha, militante du FLN arrêtée et torturée par la France et qui subissait, entre autres sévices, des viols perpétrés au moyen d’une bouteille.

En écartant la qualification de viol, et en refusant de reconnaître qu’une violence sexuelle puisse relever non pas seulement d’une intention sexuelle de son auteur, mais d’une intention de soumettre et d’humilier sa victime, l’institution judiciaire participe une fois de plus dans cette affaire à couvrir les violences policières en minimisant leur ampleur.


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