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La Izquierda Diario
23 de juin de 2017 Twitter Faceboock

Relations transatlantiques
L’Europe s’éloigne non seulement de Trump, mais aussi des Etats-Unis
Juan Chingo

Une nouvelle ère s’ouvre en ce qui concerne les relations entre les Etats-Unis et l’Allemagne. Une ère de déconstruction de ce qui structurait les rapports transatlantiques, et d’augmentation du désordre mondial.

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La semaine dernière, le Sénat des Etats Unis a approuvé par une large majorité une augmentation des sanctions contre la Russie, un pays dont les sénateurs considèrent qu’il contribue à la déstabilisation en Syrie et en Ukraine et qu’il interfère avec les processus électoraux dans d’autres pays. Adoptant une ligne dure, principalement pour faire payer à Moscou sa supposée implication dans la campagne présidentielle américaine de 2016 à travers des attaques cybernétiques, cette augmentation des sanctions – qui sera inscrite dans la loi et ainsi plus difficile à lever – cherche à limiter la capacité de Trump à relâcher, suspendre ou annuler les sanctions existantes dans le cadre de sa recherche de relation plus étroite avec la Russie. Ces sanctions pourraient être complètement approuvées par la Chambre des Représentants.

Le gazoduc Nord Stream 2 au cœur de la dispute

Ce qui inquiète les capitales européennes, c’est l’impact que pourrait avoir cette initiative sur les entreprises qui participent au gazoduc Nord Stream 2 qui doit transporter le gaz russe à travers les eaux de la Mer Baltique en passant par l’Allemagne et d’autres pays européens. De cette manière, ce projet, appelé le gazofuc « Molotov-Ribbentrop 2 » [1] passant par la Pologne, pourrait dévier le gaz sibérien des oléoducs existant sous terre : à Yamal passant à travers la Biélorussie, ou bien en Ukraine vers le Sud-Est de l’Europe. Géopolitiquement, le Nord Stream 2 crée un arrangement spécifique avec l’Allemagne tout en sapant les intérêts économiques et de sécurité de l’Europe orientale et centrale, et en plaçant l’Ukraine à la merci du chantage du Kremlin. Il sera construit par Gazprom, associé avec cinq autres grandes entreprises qui financent la moitié du projet de 9,5 milliards d’euros : la française Engie, l’anglo-hollandaise Shell, l’autrichienne OMV et les allemandes Uniper et Wintershall (BASF). Dans cette dispute, qui divise les pays européens, un nouvel acteur imprévu est entré en scène : les Etats Unis. En effet, le texte qui vient d’être approuvé par le Sénat ne permet pas seulement l’imposition de « nouvelles sanctions à des secteur clés de l’économie de la Russie », mais la section 233 se réfère explicitement au développement des oléoducs. Bien que celui-ci ne cite pas expressément le controversé Nord Stream 2, il précise bien que le président peut imposer des sanctions à des entreprises qui investissent dans la construction d’oléoducs pour l’exportation de l’énergie. Les sanctions dirigées contre des entreprises qui opèrent dans le secteur de l’énergie sont un instrument optionnel et qui dépend de la Maison Blanche. « Si le Département du Trésor utilise cette mesure de manière agressive, il pourrait menacer de sanctionner n’importe quelle compagnie qui investit dans Nord Stream 2 », explique le think thank Atlantic Council [2].

Les sénateurs des Etats-Unis fondent leur décision sur...la menace à la sécurité énergétique du vieux continent. Ils jugent que « le gouvernement des Etats Unis doit prioriser le soutien aux exportations de l’énergie des Etats Unis pour créer des emplois et renforcer la politique extérieure des Etas Unis » ainsi que « aider les alliés des Etats Unis » [3]. Le même journal affirme que « Avec Nord Stream 2, ils savent que les exportations des Etats Unis de gaz de schiste, qui ont commencé modestement en 2017, souffriraient grandement de la concurrence avec le gaz russe. C’est une façon pour les Etats Unis de « promouvoir son propre gaz », explique Isabelle Kocher de Engie. Les compagnies des Etats Unis cherchent à exporter le gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe, après que l’administration de Barack Obama ait approuvé de lever les restrictions. Du point de vue stratégique nord-américain, le flux de gaz liquéfié peu cher en Europe permet de rompre le monopole de l’entreprise russe Gazprom et oblige à baisser les prix, de la même manière que le pétrole de schiste des Etats-Unis est en train de briser la domination de l’OPEP sur les prix du brut, modifiant le rapport de force et la dépendance des grands centres de production de matières premières énergétiques au niveau international.

La Lituanie et la Pologne ont ouvert des terminaux portuaires pour recevoir du gaz liquéfié. Le gaz de Gazprom est beaucoup moins cher, mais en terme géostratégique, le GNL est devenu suffisamment peu cher pour pouvoir modifier l’équilibre général des puissances, malgré la nécessité de le liquéfier, le transporter dans des barques congelées et ensuite de le regazéifier.

La réponse brutale de l’Allemagne et de l’Autriche

D’une même voix et au nom de l’Union Européenne, l’Allemagne et l’Autriche se sont unies pour répondre brutalement à l’initiative du Sénat nord-américain : « Nous ne pouvons accepter la menace d’imposer des sanctions illégales extraterritoriales à des compagnies européennes qui ont participé aux efforts pour étendre l’alimentation énergétique ! » ont affirmé le Ministre des Affaires étrangères allemand et le chancelier autrichien dans un communiqué commun. Sigmar Gabriel et Christian Kern ajoutent dans leur communiqué que « L’amendement prétend protéger les emplois dans l’industrie du gaz et du pétrole des Etats-Unis », mais que « Les sanctions politiques ne doivent d’aucune manière être liées à des intérêts économiques », ajoutent-ils, avant de continuer en menaçant d’une grande détérioration des relations transatlantiques : « Menacer d’imposer des sanctions à des entreprises d’Allemagne, d’Autriche et d’autres pays européens dans le cadre de ses rapports commerciaux avec les Etats-Unis s’ils participent ou financent des projets de gaz naturel qui impliquent la Russie, comme le Nord Stream 2, cela impacte à nouveau les relations euro-américaines de manière négative ». Ces déclarations, malgré sa prudence habituelle, ont été soutenues par la chancelière allemande Angela Merkel, dont le porte-parole a dit qu’elle partageait « le même niveau de préoccupation » avec « la même véhémence ».

Une nouvelle époque pour les relations entre les Etats-Unis et l’Allemagne

Cette nouvelle collision diplomatique se passe dans le cadre d’un climat de tension croissante entre Washington et Berlin. La chancelière allemande, Angela Merkel, a rompu récemment avec son discours traditionnellement modéré pour déclarer que l’Europe ne pouvait plus compter avec l’allié états-unien comme cela avait été le cas jusqu’à présent, suite à la décision de Trump d’abandonner l’Accord de Paris concernant le changement climatique. Dans une phrase qui a fait date lors d’un meeting de campagne de son parti à Munich, la leader démocrate-chrétienne avait affirmé que « Les temps pendant lesquels nous pouvions compter complétement sur les autres sont terminés. Voilà ce que nous avons appris ces derniers jours ». Sa dernière affirmation à ce propos, que nous avons citée plus haut, est révélatrice d’un nouveau saut dans les affrontements entre l’Europe et les Etats-Unis. C’est à la fin mai que Merkel a directement pointé du doigt Trump et son administration, se positionnant de fait dans le même camp que les opposants de Trump à Washington, c’est à dire en particulier ses opposants au Congrès. Mais ce coup du secteur antirusse de « l’establishment » nord-américain frappe surtout ceux qui sont d’habitude ses alliés sur le territoire européen. Ainsi, ce n’est pas seulement Trump que les allemands dénoncent, mais Washington dans son ensemble. C’est un saut dans la division au sein des relations transatlantiques, qui prend un caractère véritablement structurel et une logique de cercle vicieux, car il renforce à son tour la politique anti-européenne de Trump. Depuis des mois, Washington n’est pas avare de critiques envers Berlin, à propos du surplus commercial allemand, qui déséquilibre la balance commerciale dans les deux pays, et à propos de la contribution allemande à l’OTAN que Trump considère insuffisante.

Autrement dit, l’action du Sénat américain et la réponse brutale du gouvernement allemand rendent visible que les conflits entre les Etats Unis et l’Allemagne ne se sont pas intensifiés uniquement du fait de l’élection de Trump, mais qu’ils ont des racines objectives bien plus profondes, comme nous l’avions déjà remarqué en différentes occasions ces dernières années (voir par exemple http://www.revolutionpermanente.fr/La-crise-de-la-Deutsche-Bank-et-la-guerre-financiere-mondiale ou http://www.revolutionpermanente.fr/La-tension-entre-les-Etats-Unis-et-l-Allemagne-s-accentue) Il faut noter que depuis la réunion du G7 de laquelle Merkel est sortie choquée du comportement du président nord-américain, le gouvernement allemand a travaillé de manière systématique pour étendre leurs relations politiques et économiques mondiales. Après que le premier ministre chinois Li Keqiang et le premier ministre indien Narendra Modi ont visité Berlin au début de juin, Merkel a visité l’Argentine et le Mexique, tandis que le gouvernement organisait une importante conférence sur l’Afrique à Berlin dans les derniers jours.

De son côté, Sigmar Gabriel a critiqué l’action de l’Arabie Saoudite soutenue par les Etats-Unis contre le Qatar, qui était dirigée surtout contre l’Iran. Lors d’une déclaration, Gabriel a défendu l’émirat et a averti contre une « trumpification » des relations dans la région. Les « derniers gigantesques accords d’armement entre le président états-unien Trump et les monarchies du Golfe » ont intensifié « le danger d’une nouvelle course à l’armement ». C’est « une politique complètement erronée, et certainement pas la politique de l’Allemagne ». Cette opposition de l’Allemagne aux Etats-Unis et à Trump s’est intensifiée depuis le triomphe de Macron en France, la relance de l’axe franco-allemand et la discussion sur la construction d’une armée européenne.

Vers un désordre mondial

Comme nous l’avions affirmé depuis l’élection de Trump, il est clair qu’est en marche un changement dans la politique mondiale, avec des nombreuses implications. Les relations et les institutions mondiales qui, durant des décennies, ont établi le cadre pour le développement de l’économie mondiale capitaliste et ses politiques, sont en jeu. La tentative de Trump, lors des réunions du G7 et de l’OTAN, d’assurer de meilleures conditions économiques aux Etats Unis qu’à ses alliés européens, et spécifiquement à l’Allemagne, ont engendré un retour de flamme, comme nous l’avons vu. La perspective même que la tension bilatérale puisse se relâcher lors de la réunion du G20 le mois prochain à Hambourg semble freinée par la chancelière allemande, la cheffe politique la plus puissante d’Europe. Au contraire, malgré le protectionnisme déclaré de Trump, elle souhaite faire un pas en avant dans la libéralisation des échanges commerciaux au sein du G20.

Quelques stratèges nord-américains de politique extérieure qualifient ces événements de recul historique pour Washington. Jacob Heilbunn, éditeur de The National Interest explique que : « Chaque administration américaine depuis 1945 a cherché à travailler étroitement avec l’Allemagne et l’OTAN », mais les Etats-Unis de Trump ont « poussé Merkel a créer une superpuissance allemande » [4] Et il ajoute : « Alors que la France a élu Emmanuel Macron président, Merkel met à nouveau à l’ordre du jour un axe franco-allemand qui pourrait partager un programme commun économique et militaire. Ceci irait dans le sens d’une diminution significative du prestige et de l’influence états-unienne à l’étranger. Imaginons, par exemple, que Merkel décide de défier la volonté de Trump de sanctionner et d’isoler l’Iran et d’établir des relations commerciales avec la Corée du Nord, incluant la vente d’armes ».

Nous n’en sommes pas là. Mais l’approche de Trump envers l’Europe et envers d’autres pays est basée sur l’idée qu’il pouvait défier les règles du jeu et obtenir ce qu’il voulait. Le problème est que cela pousse l’Allemagne à se transformer en superpuissance de l’Europe, qui poursuivra inévitablement ses propres intérêts. Après tout, il s’agit de la nation qui a inventé le terme de « realpolitik ». La probabilité est réelle, mais comme nous l’avons déjà dit, et à différence de ce stratège américain, pour nous Trump ne fait qu’accélérer des tendances préexistantes dans les relations transatlantiques, qui viennent de la crise de 2008 et qui ont augmenté sous la présidence Obama, même si celle-ci, à la différence de Trump, savait couvrir les intérêts nord-américains grâce à une relation particulière avec Merkel, y compris dans des moments contraires aux intérêts géoéconomiques de l’Allemagne, comme dans le cas des sanctions controversées envers Moscou.

Mais ce qui est clair, c’est que ce stratège est encore un peu trop pressé : ce que nous observons surtout, c’est la déconstruction de l’architecture transatlantique. Celle-ci avance au rythme de l’opposition et de l’incohérence anti-Trump à Washington, ainsi qu’à celui des offensives du trumpisme et des difficultés de l’Allemagne pour affirmer son leadership européen dans le cadre de la puissance de l’influence nord-américaine en Europe et en Allemagne, depuis plus de deux tiers de siècle. Le vide que crée la déconstruction de cette influence ne peut pas être rempli si facilement, et d’autant moins dans le cadre du désordre exacerbé qui caractérise Washington, comme conséquence de la division de l’élite et des éléments de pouvoir. Ni l’Allemagne, ni l’Union Européenne ne sont à la hauteur pour pouvoir remplir ce vide. Dans ce cadre, le désordre nord-américain ne peut qu’augmenter le désordre mondial.

Notes :
[1] Le Traité de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS, connu sous le nom de Pacte Ribbentrop-Molotov, a été signé entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique par les ministres des relations extérieures des deux pays Joachim von Ribbentrop et Viatcheslav Molotov. Le pacte a été signé neuf jours avant le début de la Seconde Guerre Mondiale, et a inclus une répartition réactionnaire en zone d’influence de l’Europe de l’Est. L’idée de Staline que cela permettrait d’empêcher l’invasion de l’URSS par le régime nazi s’est révélée totalement illusoire.
[2] El País 16/6/2017.
[3] Cité dans “La ‘ guerre du gaz ’ sort des frontières de l’Europe », Le Monde 17/6/2017.
[4] “Is Trump pushing Merkel to create a German Super power ?”, The National Interest 28/5/2017.

 
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