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La Izquierda Diario
12 de avril de 2017 Twitter Faceboock

Des punchlines qui font mouche
A propos du contenu subversif de la campagne Poutou
Juan Chingo

Le caractère absolument inédit de cette campagne relève de la phase terminale de la longue crise organique du capitalisme hexagonal. Les deux alliances sociales qui ont gouverné le pays depuis le début des années 1980, à savoir la gauche et la droite classique, se sont progressivement désagrégées. Depuis la publication de notre dernier article, « Elections toboggan et crise organique du capitalisme français », l’incertitude n’a cessé de croître.

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Moins de deux semaines avant le scrutin, quatre candidats sont en position d’arriver au second tour : Emmanuel Macron, Marine Le Pen, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon. C’est ce dernier, d’ailleurs, qui bénéficie de la dynamique la plus positive ces derniers temps. Il figure aujourd’hui en troisième position dans les enquêtes d’opinion, devançant Fillon, toujours englué dans les affaires.

Mais derrière le côté vertigineux de la situation, la séquence actuelle révèle les difficultés à construire un nouveau bloc historique de gouvernement. Trois projets, aujourd’hui, occupent l’espace vacant laissé par le bipartisme traditionnel.

On trouve, tout d’abord, la tentative macronienne de construction d’un bloc moderniste bourgeois. Cette option politique est en lien avec les objectifs de Macron par rapport à l’Europe et au néolibéralisme, mais il est aujourd’hui socialement minoritaire. En effet, il s’appuie sur les secteurs favorisés de la société et son projet politique achoppe toujours sur la continuité durable du clivage gauche-droite dans l’opinion en dépit du chemin parcouru par ce digne héritier de Holande. Il se place en effet dans le sillage de l’actuel locataire de l’Elysée dans la mesure où Hollande a été le premier président ou premier ministre de gauche, depuis 1981, à ne pas intégrer le PCF à son gouvernement, composant historique de ce bloc de gauche. Parallèlement, Hollande a essayé de réformer l’un des instruments clef du compromis social à la française, à savoir le Code du Travail, dynamitant ce faisant, avec la Loi El Khomri, ce qui restait de l’alliance moribonde de la gauche.

En contrepoint à ce projet, on trouve le pôle souverainiste de droite, avec Marine Le Pen. A la différence du projet macroniste, il manque d’homogénéité sociale et de cohérence de projet. Le point commun fédérateur est le souverainisme. Néanmoins, le bloc lepéniste est un agrégat électoral formé par des secteurs sociaux disparates, parfois opposés entre eux d’un point de vue politique, comme dans le cas des secteurs ouvriers ou de petits commerçants, dont l’orientation est hétérogène par rapport à des questions comme le rôle de l’Etat et des services publics, la question du profit des entreprises et du monde de l’entreprise en tant que tel. Il s’agit là de contradictions sociales et économiques profondes que personne ne sait réellement comment contenir au cas où le FN venait à arriver au pouvoir.

La destruction du bloc de gauche classique a cédé la place non seulement à une option bourgeoise progressiste incarnée par Macron mais également à une « gauche de la gauche », en l’occurrence à Mélenchon et à la France Insoumise (FI). En 2012, le mélenchonisme agissait comme secteur de pression sur le bloc de gauche classique, capitalisant la frange la plus radicale des antisarkozystes. Aujourd’hui, le projet de ce grand admirateur du mitterrandisme tourne ouvertement autour du souverainisme de gauche : la Marseillaise et le drapeau tricolore ont définitivement remplacé l’Internationale et le drapeau rouge dans les meetings et les rassemblements. Mélenchon se refuse à être, comme en 2012, le nouveau Georges Marchais. Il est revenu au schéma populiste plus classique où le peuple s’oppose aux élites, laissant de côté la structuration de la société en classes antagoniques. Dans sa « révolution citoyenne », la classe ouvrière se dissout comme l’une des composantes du bloc hétérogène des classes populaires, remisant le programme historique et le rôle potentiellement hégémonique du prolétariat avec ses méthodes de lutte et ses organismes de combat propres et indépendants de toute option bourgeoise.

Tout chez Mélenchon tend à mettre en avant un simple changement de constitution dans le cadre du système de domination actuel. Après l’échec de l’expérience de Syriza, en Grèce, Mélenchon soutient pour l’Europe un mystérieux Plan B mais il table surtout sur une hypothétique modification des Traités et de la politique bruxelloise en pariant sur le poids plus important de la France, seconde puissance européenne, par rapport à la Grèce, pour peser sur le cours néolibéral et austéritaire de la politique de l’UE. Néanmoins, indépendamment des limites de son programme et des difficultés qui se posent à lui pour transformer les scores électoraux de la France Insoumise en force partidaire, le fait qu’il existe un espace politique large à la gauche de la gauche laisse à voir la polarisation réelle en cours sur l’échiquier politique français. Soudainement les analystes qui, jusqu’à présent, n’en avaient que pour la « droitisation des classes populaires », se cassent le nez sur une tout autre réalité, à l’instar des marchés financiers : désormais, le risque, ce n’est plus Le Pen au second tour mais Mélenchon.

Dans ce cadre, le fait que les anticapitalistes fassent entendre leur voix, ce qu’a fait Philippe Poutou lors du débat à 11, avec une prestation mise en avant par l’ensemble de la presse internationale, du Guardian en passant par le New York Times et le Financial Times, voilà une confirmation de la radicalisation du climat de même que du caractère subversif de la campagne du candidat du NPA sur l’échiquier politique hexagonal.

Les caractéristiques (de la crise) du champ politique et médiatique français : l’exclusion délibérée des secteurs populaires

En France, cela fait des décennies que les classes populaires sont orphelines de représentation politique. C’est la thèse que soutiennent dans leur dernier ouvrage, L’illusion du bloc bourgeois, Bruno Amable et Stefano Palombarini. Selon les deux chercheurs, les caractéristiques spécifiques de la crise française reposent sur l’exclusion plus ou moins complète des classes populaires des alliances sociales sur lesquelles, au cours des dernières décennies, l’action gouvernementale, de droite comme de gauche, a essayé de s’appuyer.

Dans le cas du bloc de droite, ses difficulté trouvent leur source dans le fait qu’après le boom économique d’Après-guerre et avec la chute de la croissance économique, il est de plus en plus difficile d’articuler les intérêts de l’artisanat, des commerçants et des petits entrepreneurs et ceux des ouvriers et des employés du privé qui, dans le passé, de façon non majoritaire mais néanmoins de manière significative, ont pu voter pour une droite hégémonisée par les classes moyennes et supérieures du capitalisme privé français. Alors que petits et gros patrons font pression pour davantage de libéralisation du marché du travail et des « charges » en tout genre, les salariés, même de droite, cherchent quant à eux davantage de protections face à la crise.

Cependant, l’exclusion des classes populaires du bloc de la gauche, qui opère un saut qualitatif à la suite des déceptions générées par le mitterrandisme et qui se poursuit jusqu’au quinquennat Hollande, a d’autres origines. Il s’agit d’une tentative délibérée des partisans de l’Europe du capital au sein même de la gauche –dont les principaux représentants n’étaient autres que Jacques Delors, ministre socialiste et président, par la suite de la Commission Européenne, Michel Rocard et sa « deuxième gauche » ou encore François Mitterrand, co-artisan du Traité de Maastricht- de liquider l’alliance politique de la gauche en en excluant le PCF et en déplaçant son barycentre davantage vers le centre. Dans ce cadre, les ouvriers en tant que sujet susceptibles d’être gagnés au projet bourgeois européiste sont balayés d’un revers de la main.
Il en résulte qu’on finit par présenter les ouvriers comme des sujets conservateurs et culturellement arriérés, perdus définitivement au frontisme et qui constituent, de surcroît, un obstacle à tout processus de « modernisation libératrice » de l’Hexagone censée permettre de libérer l’énergie des outsiders contre les insiders, ces derniers étant absolument rétrogrades et arc-boutés sur leurs privilèges passéistes. Ces insiders seraient autant de défenseurs du « conservatisme » ne permettant pas que se déploie la destruction créatrice du capital, la seule issue pour que la France puisse redevenir un acteur à la hauteur de ses prétentions et capables de concurrencer l’Allemagne où le « sale boulot » a déjà été accompli, précisément sous un gouvernement « de gauche », celui de Gehrard Schröder.

C’est en ce sens que dans l’un de ses documents intitulés « Gauche : quelle majorité pour 2012 ? », Terra Nova, think tank très proche du PS, soulignait déjà il y a cinq ans combien « l’identité de la coalition historique de la gauche était à trouver dans la logique de classe : les travailleurs ‘exploités’ face aux patrons et représentants du capital ; les salariés modestes, ouvriers et employés, contre les cadres et classes moyennes supérieures. Naturellement, cette structure de classe, entièrement centrée sur les valeurs socioéconomiques, n’a pas disparu : les employés et ouvriers votent, encore aujourd’hui, plus pour la gauche que l’ensemble de l’électorat. Mais elle s’est fortement estompée et la tendance est à sa disparition. La recomposition en cours se fait sur les valeurs. Elle se structure autour du rapport à l’avenir : l’investissement dans l’avenir contre la défense du présent. La nouvelle gauche a le visage de la France de demain : plus jeune, plus féminin, plus divers, plus diplômé, plus urbain. Cette France de demain, en construction, est unifiée par les valeurs culturelles : elle veut le changement, elle est tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive. La France de demain s’oppose à un électorat qui défend le présent et le passé contre le changement ». Pour Terra Nova, l’un des défenseurs de ce bloc bourgeois moderniste, la gauche devrait se recomposer non plus tant sur la base d’une logique de classe mais de valeurs.

Dans ce cadre, on ne peut que souligner le caractère intéressé des études consistant à montrer le FN comme « le nouveau parti de la classe ouvrière ». Il s’agit non seulement d’exagérer le niveau du péril Le Pen. Cela sert également la tentative de construction d’un bloc bourgeois en opposition complète avec les intérêts des classes populaires en déclarant que la crise du rapport entre la gauche et le monde ouvrier est inéluctable et sans retour. La réalité est tout autre. Patrick Lehingue démontre dans Les classes populaires et le FN, publié en 2017 aux Editions du Croquant, que si l’on prend en compte le taux d’abstention et les non-inscrits sur les listes électorales de même que celles et ceux qui ne peuvent voter car non-Français, seul un ouvrier sur sept vote FN. Il s’agit-là d’une influence loin d’être aussi organique que celle dont a pu jouir, à certaines périodes, le PCF, au sein du monde du travail. En ce sens, le FN représenterait, du moins en termes statistiques, la meilleure ou, pour être plus précis, la moins pire des options pour des classes populaires ou qui, du moins, les sous-représenterait le moins.

Le discours de Poutou, un tir de barrage contre la « pensée unique » stigmatisant le caractère conservateur et culturellement rétrograde des ouvriers

L’intervention de Poutou lors du débat à 11 ne marquera pas seulement les annales de l’histoire des présidentielles de la V° République comme l’ont signalé plusieurs journalistes à commencer par Laurent Joffrin dans un édito de Libération. Poutou y a fait la démonstration de la potentialité hégémonique d’un discours et d’un programme ouvrier indépendant face aux politiciens de profession, aux corrompus et à l’impunité de la vie politique. Il a dénoncé tout autant ceux qui, comme François Fillon, invitent à se serrer la ceinture tout en se servant allègrement ou les Le Pen qui utilisent les prébendes et les bénéfices d’un système qu’ils prétendent combattre au nom des « petites gens ».

Plus généralement, l’apparition d’un ouvrier anticapitaliste comme Philippe Poutou de même que la popularisation de ses interventions ont montré qu’il était possible de présenter et de défendre un discours et un programmes forts et hégémoniques de la classe ouvrière et que le mot « travailleur », qui avait été rayé de l’espace médiatique, conservait une résonance particulière pour des millions d’exploités et d’opprimés.

Si l’on en juge de la sympathie suscitée par Poutou sur les lieux de travail, d’études, dans les quartiers et sur les réseaux sociaux mais, également, et de façon inversement proportionnelle, la haine qui s’est déchainée dans la grande presse, chez les journalistes et soi-disant philosophes, véritables chiens de garde du capital, la classe ouvrière n’est pas destinée à être exclue du champ politique ni à être le sujet amorphe et désespérant du projet souverainiste et xénophobe du FN. Bien au contraire, la classe ouvrière a tous les ressorts, si elle dépasse ses divisions, si elle lutte pour un programme hégémonique à même de refléter les aspirations profondes de tous les secteurs, notamment des secteurs les plus exploités du prolétariat que sont les précaires, les chômeurs et les jeunes des quartiers, pour se transformer à nouveau en « classe dangereuse » pour la domination de la bourgeoisie.

Le discours et la campagne électorale de Poutou montrent combien à partir d’une logique de classe, à contre-courant de toute logique citoyenniste qui préside au projet stratégique d’un « Podemos à la française » que défend une partie de l’ancienne direction de l’ex-LCR (première minorité du NPA), il est absolument possible d’en finir avec le piège identitaire ou basé sur de soi-disant valeurs néolibérales/modernisatrices versus conservateur/traditionnalistes. Ces deux projets sont également bourgeois et réactionnaires, l’un défendant un néolibéralisme européiste alors que l’autre se veut le rempart d’un nationalisme chauvin. De ce point de vue, la campagne de Poutou, qui n’a pas fini, a servi à donner du moral et de l’espoir à toute une fraction des exploités.

 
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