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6 de février de 2023 Twitter Faceboock

Loi Immigration
Titre de séjour « métier en tension » : une violente attaque contre les travailleurs sans-papiers
Louisa Eshgham

Vantée dans plusieurs médias comme le volet progressiste du nouveau projet de loi immigration, le titre de séjour « métier en tension » représente en réalité une régression importante pour les travailleurs sans papiers, et s’inscrit dans la même logique xénophobe que les autres mesures décriées de ce projet.

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Darmanin a présenté mercredi dernier en conseil des ministres le deuxième dossier important du gouvernement dans la période, son projet de loi immigration. L’un des trois grands volets du projet est intitulé « intégration des étrangers par le travail et par la langue » avec comme mesure phare l’instauration d’un titre de séjour « métier en tension » qui vise à poser le cadre de la régularisation de travailleurs sans papiers exerçant dans des secteurs dits en tension, dans lesquels les employeurs peinent à recruter.

Cette mesure est largement présentée dans les médias comme la caution progressiste d’un projet de loi qui serait un « en même temps », avec des aspects anti-immigration d’un côté et de l’autre ce volet qui faciliterait les régularisations. Ce titre de séjour est ainsi présenté, y compris par des associations de défense des droits de l’homme et certains intellectuels comme une mesure qui serait « une avancée qui reste incomplète », elle serait « louable mais peu ambitieuse » selon la directrice de France Terre d’asile.

Pourtant, le problème de cette mesure n’est pas qu’elle ne va pas assez loin mais qu’elle s’inscrit dans la même logique xénophobe que le reste du projet de loi puisqu’elle aggraverait en réalité la situation des travailleurs sans-papiers.

L’immigration choisie : moins de régularisations, plus de précarisation

Actuellement, la possibilité pour un travailleur sans papier d’être régularisé par le travail existe et est régie par la circulaire dite circulaire Valls de 2012. Pour y être admissible, la personne doit à la fois remplir des conditions de séjour en France (trois ans minimum) et de travail : 8 mois de travail sur les 2 dernières années, 30 mois de travail sur les 5 dernières années, ou bien 24 mois de travail dont 8 au cours de la dernière année, en cas de durée de séjour inférieure à 5 ans. En plus de cette durée de séjour et de travail, une « promesse d’embauche » doit être remplie par l’employeur, qui doit donc consentir à régulariser le travailleur en fournissant au salarié un CERFA.

Le projet de loi, qui rendrait de facto la circulaire Valls obsolète, modifie ces conditions d’attribution : le salarié devrait dorénavant justifier de 3 ans de résidence en France minimum, 8 mois de travail au cours des deux dernières années dans un des secteurs dit en tension, et être toujours en poste dans un de ces secteurs au moment de l’examen de la demande. Dans de tels cas, le salarié se verrait attribuer « de plein droit » une carte de séjour d’une durée d’un an. Deux changements sont donc prévus : d’une part le CERFA de l’employeur n’est plus requis dans le nouveau projet de loi, et d’autre part le titre ne vise que les secteurs dits en tension. Ainsi, il s’agit en réalité de limiter les cas dans lesquels la régularisation sera possible, et d’un saut important dans la logique raciste de l’immigration choisie.

Si ce projet de loi était adopté, les cas de régularisation par le travail seraient restreints aux seuls travailleurs des secteurs en tension. Aujourd’hui, même si évidemment les travailleurs sans-papiers sont dans les secteurs les plus difficiles et précaires du marché du travail, ces mêmes secteurs ne figurent pas tous pour autant sur la liste des métiers dits en tension. Par exemple, un nombre important de travailleur sans papiers travaillent dans le nettoyage, secteur extrêmement difficile et mal payé, mais qui ne fait actuellement pas partie des métiers en tension. Si aujourd’hui ces travailleurs peuvent espérer être régularisés par ce biais, à condition d’obtenir un CERFA, ils en seraient exclus avec la nouvelle législation.

Dans le même sens, la liste des secteurs « en tension » pourrait varier rapidement et rendrait potentiellement difficile de remplir la condition de deux ans d’exercice dans ce secteur. Cela contraindrait par exemple un travailleur qui exerce depuis un an dans la restauration dit en tension à un instant T, à devoir changer de travail pour un nouveau secteur en tension si celui-ci ne figure plus sur la liste.

Cette mesure reviendrait à contraindre encore plus qu’aujourd’hui les salariés sans papiers à combler les besoins structurels de main d’œuvre du patronat dans certains secteurs, s’ils veulent espérer être régularisés. Cela vise à entériner dans la loi que ces travailleurs sont des travailleurs de seconde zone, qui doivent être maintenus à tout prix dans les secteurs les plus difficiles et mal payés, dans lesquels les patrons peinent donc à recruter. Il s’agit d’un saut dans la logique d’immigration choisie et la fabrique de travailleurs sans papiers les plus surexploitables possible, afin de faire baisser les coûts de la main d’œuvre dans des secteurs qui ne sont pas délocalisables, tels que le bâtiment ou la restauration. En plus d’être une mesure raciste, il s’agit d’une attaque d’ampleur contre l’ensemble du monde du travail puisque, dans la même logique que la réforme de l’assurance chômage et du RSA, il s’agit de couper les vivres, ou en l’occurrence expulser, les travailleurs qui refusent de pourvoir les emplois vacants.

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Individualiser au maximum les démarches de régularisation

Si le nouveau titre de métier en tension vise à adapter les possibilités de régularisation aux besoins structurels du patronat français, il évincerait aussi l’employeur du processus de régularisation, le salarié n’ayant plus besoin du CERFA rempli par son patron pour déposer un dossier de régularisation. Vantée par certain comme une manière de restreindre la dépendance du salarié sans papier à son patron, il n’en est rien.

D’abord, parce que le salarié devra malgré tout prouver qu’il a travaillé dans un secteur en tension, ce qui implique de fournir des bulletins de salaire, alors que beaucoup de travailleurs sans-papiers ne sont jamais déclarés et peinent à prouver leurs années de travail en France faute de contrat de travail ou de bulletins de paie. Ensuite, parce que même en cas de régularisation, le travailleur sera toujours aussi durement soumis à la pression de l’employeur et à la crainte de perdre son travail, puisque dans ce cas c’est l’espoir de voir son titre de séjour renouvelé qui s’envole.

Au-delà de ça, le dispositif actuel nécessitant le CERFA de l’employeur est à l’origine de nombreuses grèves pour l’obtention de ces documents et pour la régularisation. Dans ce contexte, retirer au patron ce pouvoir peut aussi être une manière d’éviter que les luttes pour la régularisation ne s’expriment sur le terrain de la grève et du rapport de forces contre l’employeur, en individualisant au maximum les démarches de régularisation.

Ainsi, il s’agit de faire accepter aux travailleurs sans papiers que s’ils veulent être régularisés, ils n’ont qu’à travailler dans les secteurs en demande, en acceptant les conditions de travail dégradées voire dangereuses et les bas salaires. Pourtant, c’est les luttes collectives de sans-papiers qui ont toujours conduit à l’amélioration de leurs conditions de vie et d’existence, et y compris à des victoires en termes de régularisations.

La circulaire Valls, qui est venue poser des critères objectifs pour être régularisé, est d’ailleurs elle-même une réponse du gouvernement aux grèves historiques des travailleurs sans papiers des années 2008-2009, les plus importantes grèves de travailleurs sans papiers en France, qui s’étaient alors coordonnés depuis plusieurs entreprises pour partir en grève ensemble, occuper leurs lieux de travail, et exiger la régularisation.

Ni amendable ni négociable, il faut faire front contre ce projet de loi !

Au-delà de cette mesure, c’est la loi dans son ensemble qui représente une offensive xénophobe énorme. Les intentions du gouvernement sont claires et affichées : traquer les sans-papiers, faciliter les expulsions, imposer l’assimilation par la langue et la culture française dans une logique coloniale et raciste en conditionnant le droit au séjour à des test de langues sélectifs, etc.

Pour cette raison, l’ensemble de la gauche doit rompre avec l’idée qu’il pourrait y avoir des volets progressistes ici ou là et qu’il y aurait des mesures à négocier. A l’inverse d’une logique visant à « investir la question de la loi immigration » pour la tirer plus à gauche l’urgence doit être de construire la mobilisation dans la rue et par la grève pour faire reculer le gouvernement sur ce projet.

En ce sens, le mouvement massif contre la réforme des retraites actuellement en cours peut être un point d’appui pour lui infliger une défaite, sur la réforme des retraites mais aussi sur la loi immigration, à condition que les organisations du mouvement ouvrier s’emparent de la revendication du retrait de ce projet de loi et que cette question soit portée à la base des assemblées générales et interprofessionnelles, partout où elles existent. Au-delà du retrait de la loi immigration, c’est la régularisation immédiate de tous les sans-papiers qui doit être portée avec force. Seule mesure capable de répondre à la précarisation raciste des travailleurs de sans-papiers que leur impose le patronat, main dans la main avec le gouvernement.

 
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